[ [ [ Vitre et reflets de post-production - Yannis Lehuédé

 

Ce plan a été particulièrement hardu à réaliser. On ne se douterait de rien en regardant sa version truquée (ci-dessus), et pourtant... La vitre du passager avant-droite n’était pas fermée pendant la prise lors du tournage !

Pour replacer le passage dans le contexte du film, le personnage qui est jeté de la voiture fait son apprition dans l’histoire, il se fait larguer par sa copine. Dans la version d’origine, on voit nettement que c’est un homme qui conduit la voiture (à travers le pare-brise et la vitre passager). Comme c’était une scène difficilement remplaçable pour que le spectateur comprenne, il fallait absolument recréer la vitre.

Sur l’image, les difficultés sont multiples : la caméra n’est pas fixe, la voiture roule puis s’arrête et la portière est ouverte puis refermée. Un soucis supplémentaire réside dans le reflet d’un projecteur dans le rétrovisuer qui provoque un halo de lumière à travers la portière.

Avec tous ces mouvements et déformations de l’encadrement de la vitre, il était impossible d’impossible d’utiliser des techniques automatisées de suivi comme le "tracking". Un cache vectoriel a donc été créé avec de nombreux points d’ancrages pour contrôler sa position et sa forme changeante. Il a donc été "dessiné" selon les moments clés de l’animation puis ajusté image par image, en se basant sur les caoutchoucs de l’encadrement de la fenêtre, ce qui devrait être un repère parfait (surtout sur une image en 4k). Malheureusement, même en ajustant image par image les bords, le cache bouge terriblement lorsqu’on regarde le plan en vitesse réelle. Il a fallu modifier ses mouvements en les anticipants et ainsi faire des aller-retours avec les modifications image par image. Le moindre débordement du cache se voit terriblement à l’écran car la voiture prend toute la place, son mouvement est le sujet principal qui attire l’oeil et la vitre est au centre de l’image !

Une fois que le cache fut parfaitement ajusté, il a nécessité de recréer d’autres caches :

  • un pour le pare-brise,
  • un pour le rétroviseur,
  • un pour la voiture rouge que l’on voit au premier plan.

Cette dernière a des bords adoucis du fait du flou de profondeur de champ et du bougé. Son masque a donc des bords dous ajustés pour correspondre. Le cache du pare-brise sert uniquement à foncer l’intérieur de l’habitacle pour éviter de voir la silhouette du conducteur (on floutera légèrement son visage également). On aurait pu contourner le rétrovisuer avec le masque de la vitre, mais le fait de le rajouter par dessus est plus simple pour le "rotoscoping" de la vitre en elle-même.

Bien-sûr, un autre cache est créé pour l’intérieur de la vitre, à la fin du plan, lors de l’ouverture et la fermeture de la portière.

Ensuite, lorsque tout est ajusté et vérifié (sur une vidéo avec la vitre en noir, en vert, en blanc... pour bien la repérer), on peut recréer ce qu’elle devrait refléter (on la laissera légèrement transparent). Comme nous ne possédons aucune information de ce qu’il y a derrière la caméra ni de l’éclairage, on ne peut pas inventer ce que la vitre reflète. Par contre, la carrosserie et la vitre arrière nous l’indiquent. On a donc utilisé des morceaux de ces éléments pour réinventer la vitre. On a ainsi l’avantage de ne pas avoir à faire un étalonnage pour cette partie ni à rechercher le grain pour qu’il corresponde au reste de l’image !

Des "patates" (des zones ovoïdes prises dans l’images) ont été sélectionnées dans ces parties adjaçentes de la vitre et placées à l’intérieur de la zone de la vitre avant. Au début du plan, la vitre arrière ne reflète pas exactement ce que devrait refléter la vitre avant. On a donc utilisé ce qu’elle reflètra quelques images plus tard (ce que tous les logiciels de compositing ne permettent pas de faire, mais Discreet/Autodesk Combustion le permet). Les patates utilisées ont des bords adoucis et ont été collées pour former une large zone (plus grande que la vitre par sécurité) et superposées, en mélangeant celles de la vitre arrière et de la carrosserie pour éviter que les répétitions ne se voient à l’image. Evidemment, leur mouvements ont été ajustés à l’aide de "keyframes". Cet enchevêtrement de différents éléments, grossis pour certains, devait sembler réaliste à l’oeil, image par image comme en lecture à vitesse normale.

L’opacité de la vitre a été réglée pour varier au cours de l’animation. A la fin du plan, lors de l’ouverture de la portière, la vitre devait être plus transparente que précédemment, mais un vif reflet de lumière était visible dans le rétroviseur. Pour plus de réalisme, il a fallu le recréer dans le reflet de la vitre artificielle, à un autre moment que celui de l’éblouissement du rétrovisuer car ces deux éléments n’ont pas la même orientation. On s’est basé sur des morceaux de rétroviseurs agrandis pour la vitre. La partie de l’ouverture de la porte a également nécessité un autre travail. Comme le halo de lumière "bavait" sur le montant de la portière, il a fallu en recréer une partie, basée sur des morceaux de portière à proximité.

Ainsi, le halo indésirable sur la vitre est atténué et la portière n’est pas blanchie. La fin du plan est le prolongement de l’animation du début, le remplacement de la vitre est de moins en moins nécessaire au fur et à mesure que la voiture s’éloigne, comme au début du pan où la vitre est trop petite et trop lointaine pour qu’on perçoive la différence.

La dernière opération consistait à obscurcir le pare-brise et à flouter légèrement le visage du conducteur (qui est un personnage féminin dans l’histoire), en suivant la même techniques de patates et d’ajustements d’opacité ou de flou dans des zones bien définies. On aura fait attention de ne pas modifier le halo créé par les phares au début, ceci semblerait irréel et le spectateur se serait douté qu’un détail cloche, et ce dès le début du plan.

Finalement, on peut empiler les couches : la voiture rouge sur calque semi-transparent au premier plan, le rétroviseur puis la vitre (légèrement transparente), le pare-brise et enfin le reste du décor, derrière.

Ce trucage semble fonctionner de part son réalisme et le spectateur ne se doute de rien en regardant le film, alors que des dizaines d’heures ont été nécessaires pour recréer cette vitre !

Voilà le court-métrage en entier (le plan en question est à 3’44") :