[ [ [ "95% des gens sont comme des zombis. C’est normal ça ?" - Yannis Lehuédé

Entretiens téléphoniques avec les sans-papiers retenus au centre de Vincennes.

Où l’on apprend, entre autres choses, comment la politique consiste aujourd’hui à les matraquer de somnifères… qui font dormir 48 heures !

Première personne :

«Je suis retenu ici depuis 5 jours. Je ne vais pas mentir, on est nourri ici. Moi pour l’instant je n’ai pas eu de problème. Mais il y a des cas d’expulsions aberrants, j’ai vu quelqu’un qui a un père et qui s’est fait expulser.

Les policiers rentrent dans les chambres, ils nous violent notre intimité. Il y a un retenu qui avait redécoré sa chambre pour essayer de rendre son lieu de vie plaisant. Les policiers sont venus une nuit sans prévenir et ont arraché les posters. C’est pour nous mettre un coup sur le moral.

Il y a quelques jours, ils ont mis un médicament dans la bouche d’un détenu qui s’était embrouillé avec quelqu’un. Il a dormi 48h. On est pas des bêtes, on a pas à nous filer des médicaments sans nous prévenir.

Il faut qu’à l’extérieur les gens sachent. »

Deuxième personne :

«C’est la merde, c’est le sbeul, il y a pas d’hygiène.

Les médicaments qu’ils nous donnent sont super forts, ça fait dormir 48 heures.

Il y a tout le temps des bagarres, ça va cramer ici, il y a des gens qui sont ici pour rien. Moi par exemple , on m’a souvent posé la question pourquoi je suis ici alors que je parle le français sans accent. Je suis ici depuis dix jours.

Ils mettent les médicaments dans les barquettes de bouffe et ils savent à qui ils veulent les donner.

Par exemple, il y a un retenu que je n’avais pas vu depuis 48 heures, je lui ai posé la question où il était, il m’a répondu qu’il avait dormi pendant tout ce temps. Ils donnent ça pour adoucir les mœurs, pour pas que les gens parlent avant qu’ils prennent l’avion, ils droguent les gens gratuitement, les médicaments ont des noms et des couleurs bizarres, et lorsque les retenus se réveillent, ils ont faim mais ils ont passé l’heure des repas et il faut attendre le lendemain pour manger.

Là en ce moment je suis dans une salle en haut et ça gueule en bas.

95 % des retenus sont drogués aux cachetons. C’est normal ça ?

Il y a un retenu pour le calmer, ils ont mis dans sa barquette un médicament, il a échangé sa barquette avec un autre retenu parce qu’il a capté qu’on voulait l’endormir. L’autre gars, il a fait que dormir. Le lendemain les flics l’ont vu debout et lui ont demandé pourquoi tu ne dors pas ? Les flics voulaient faire ça parce qu’il a un vol le lendemain. Comme ça il aurait pas de force pour faire du bruit ou refuser, il prendrai l’avion avec douceur.

95% des gens sont comme des zombis. C’est normal ça ?

Quand tu vas à l’infirmerie parce que tu as mal à l’ongle, l’infirmière te donne un somnifère. Je suis allé pour un rhume, le comprimé qu’on m’a donné, il rend mou, tu baves, tu as la bouche pâteuse. Je sais pas si c’est de la morphine ou quoi.

Pour nous endormir, y’a même des playstation avec des jeux, juste avant de te renvoyer au pays !

On en libère trois, y’en a 20 qui arrivent, il y a des dames de GEPSA en ce moment qui passent dernière moi, elles font le tour des chambres pour savoir s’il y a de la place, les gens mettent des matelas par terre pour dormir.»

Le retenu s’absente une seconde pour aller voir un employé de gepsa et
demander combien ils sont dans le centre.

«Ah non ! Ça il a pas le droit de me le dire ! À cet étage il y a 24 chambres, sur la gauche ce sont des chambres de 4, et sur la droite ce sont des chambres de 2 mais il y a toujours un matelas en plus par terre. On peut aller voir les autres retenus dans l’autre bâtiment. Ce sont des bâtiments provisoires, pas en béton, parce que en fait le centre a brûlé. Il y a un chantier à côté pour un troisième bâtiment en construction.

En bas ça s’embrouille avec les flics. On est pas des criminels, on est juste en situation irrégulière. Même un ballon de foot ils veulent pas, alors on l’a fabriqué nous même. Y’a des tables de ping pong mais y’a pas de raquette.

La police est venue arracher un poster de basket dans ma chambre, même ça c’est interdit. On veut décorer la chambre où on vit pour rendre l’endroit plus personnel et ben même ça c’est interdit , soit disant les posters ça prend feu, alors que leur matelas là... Les nouveaux matelas c’est de la pacotille, sur les couvertures y’a marqué pénitentiaire et elles sont dégueulasses, je suis rentré sans boutons et maintenant j’en ai plein sur le visage.

L’ASFAM, ils sont bêtes comme leurs pieds, ils sont payés à rien foutre, ça vous enfonce parce qu’ils vous donnent des faux espoirs en étant là, mais en fait, ils font rien pour nous. On parle à peine 5 minutes avec la fille et après elle a l’air saoulée, fatiguée. Elle est censée arriver à 9h30 mais elle vient à midi. Les astuces qu’elle donne c’est pour préparer la valise ou qu’on nous rapporte de l’argent, mais elle nous donne pas d’astuces pour sortir d’ici.

Au niveau juridique, elle sert à rien, elle peut juste faxer des lettres aux avocats. Quand on lui demande pour faire les appels elle dit toujours que c’est trop tard, qu’il fallait le faire au commissariat. Elle nous garde 5 minutes en faisant signe qu’il y a la queue derrière. On essaie de prendre des conseils entre nous, on prend des cartes téléphoniques, on appelle nous même, puisque l’asfam sert à rien, son boulot c’est d’enfoncer les gens, de nous faire perdre l’espoir.

Quand tu es nouvel arrivant elle est censée t’appeler, mais si j’étais pas allée la voir elle ne m’aurait jamais appelé. Elle dit qu’elle a beaucoup de dossiers, je lui ai demandé d’appeler l’avocat, elle m’a dit qu’elle le ferai, je lui ai demandé de le faire devant moi, c’est normal non ? Elle l’a pris comme une insulte.

Il n’y a qu’une seule association et une dame à qui on donne de l’argent pour qu’elle nous fasse des courses.

En fait, la police, l’Asfam, tous, ils ont le même objectif c’est de nous faire couler. C’est un cercle vicieux. En fait ils s’entendent tous, on peut compter sur personne.»

[Source : fermeturetention@yahoo.fr]

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