[ [ [ Adieu Christiania ? - Yannis Lehuédé

En 2007, la police intervenait à Chritiania, la seule ville libre du monde.

C’est en 1971, que ces 35 hectares de friche militaire à l’abandon était occupée par des hippies. Leur charte proclamait :

« L’objectif de Christiania est de créer une société autogérée dans laquelle chaque individu se sent responsable du bien-être de la communauté entière. Notre société doit être économiquement autonome et nous ne devons jamais dévier de notre conviction que la misère physique et psychologique peut être évitée. »

Un tel programme ne pouvait convenir à l’ordre nouveau européen, et depuis plusieurs années, les attaques sont incessantes contre ce dernier carré de la liberté.

Pas vraiment joyeux, l’hymne de Christiania, affirme obstinément : “Vous ne pourrez pas nous tuer”.

I kan ikke slaa os ihjel, un hymne qu’on pourrait reprendre, des faubourgs de Benghazi à la Place du Palais Royal, à Paris, où on enterrait les libertés en proclamant la naissance de l’État milicien, en passant par la place Tahir, au Caire, où les miliciens chassent les démocrates.

Ci-dessous un article paru le 7 mars 2011 dans le journal polonais Gazeta Wyborcza :

La ville libre de Christiania, près de Copenhague, a perdu son statut. Après quarante ans, la dernière enclave hippie d’Europe est en train de se plier aux lois du marché, écrit la Gazeta Wyborcza.

Fondée en 1971 par un groupe de hippies qui squattaient une base navale désaffectée de Copenhague, Christiania est devenue un phénomène mondial. Pour les experts, c’est une légende de la culture alternative, l’enclave la plus célèbre d’Europe et la dernière en activité. Après la Petite Sirène et le parc d’attractions de Tivoli, c’est aussi le troisième lieu le plus visité de la capitale danoise. Un million de touristes s’y rendent chaque année pour déambuler entre les baraquements ornés de fresques psychédéliques et se procurer illégalement du cannabis dans Pusher Street.

Christiania, qui s’est autoproclamée ville libre, possède son propre hymne (I kan ikke slå os ihjel, qui signifie "vous ne pouvez pas nous tuer", une chanson engagée du groupe de rock Bifrost), son drapeau (trois ronds jaunes sur fond rouge), sa propre monnaie et ses propres règles et usages. Il est interdit d’y venir en voiture (les résidents garent leur véhicule à l’extérieur), d’y courir (si vous courez, vous êtes pris pour un voleur), d’y prendre des photographies et d’y porter des gilets pare-balles.

Récemment, après quarante années d’existence, dont vingt-deux ans d’indépendance reconnue par la loi, Christiania a perdu son statut de ville libre. Le 18 février, la Cour suprême du Danemark a rejeté un appel des habitants de l’enclave contre un jugement de 2009 qui rendait à l’État le contrôle de l’ancienne base navale de 35 hectares. C’est donc une longue bataille juridique sur un statut obtenu en 1989 par les hippies et les squatteurs qui trouve son terme.

Les autorités veulent laisser le champ libre aux promoteurs

La lutte a commencé en 2004 lorsque le gouvernement conservateur de centre-droit d’Anders Fogh Rasmussen (aujourd’hui chef de l’OTAN) a révoqué une décision prise quinze années plus tôt par le gouvernement de gauche cédant le contrôle du territoire à ses habitants. En 2006, les avocats de Christiania ont fait appel de cette révocation, arguant qu’elle violait la Convention européenne des Droits de l’Homme. Mais la justice danoise a jugé qu’il n’y avait pas violation et que Christiania appartenait à l’État danois (plus précisément au ministère de la défense). Et que c’était de ce fait à l’État de statuer sur son avenir.

"La procédure juridique est terminée. Désormais, il est temps de penser à l’avenir", confie Thomas Ertmann, porte-parole de la communauté. Il reconnaît que les avocats représentant les 850 habitants de l’enclave – des hippies, des artistes et toutes sortes de marginaux – vont désormais devoir s’asseoir à la table des négociations avec le gouvernement.

"Nous avions besoin de ce jugement pour régler une fois pour toutes la question de savoir à qui appartient Christiania", commente Nils Vest, un réalisateur qui vit à Christiania depuis vingt ans et y dirige un studio de cinéma. "Une chose est sûre, Christiania survivra. Nous voulons rester dans les limites de la légalité, mais à nos conditions. Les conditions proposées jusque-là par le gouvernement sont inacceptables pour nous parce qu’elles déboucheraient certainement sur le démantèlement de Christiania".

Pour Nils Vest, l’administration en place a tout fait pour que Christiania tombe en ruines pour ensuite, sous prétexte de rétablir l’ordre et la prospérité, remettre la main sur les précieux hectares. Ce jugement va permettre aux pouvoirs publics d’inviter les promoteurs immobiliers à tirer partie des possibilités du quartier en matière d’investissements. Mais d’abord, ils devront trouver un accord avec les habitants parce qu’une expulsion par la force est inenvisageable pour des raisons tant politiques que sociales.

La métropole alternative de l’Europe

Le projet du gouvernement prévoit un retour à la normale : raser les cabanes et les maisons construites illégalement, supprimer le commerce des drogues douces (les drogues dures sont bannies par les résidents eux-mêmes) et se débarrasser progressivement des squatteurs. Le problème est que, d’après les spécialistes, cela signerait la fin d’une expérience de société à l’échelle mondiale. Depuis des années, viennent ici des gens qui ne parviennent pas à trouver leur place dans la société et souhaitent renoncer aux acquis de la civilisation moderne au nom de leur utopie.

"Nous somme la métropole alternative de l’Europe. La plus grande expérience de ce type", se flatte Nils Vest. "Quand vous avez la possibilité de vous gouverner vous-mêmes, vous prenez davantage soin de votre environnement", affirme-t-il. En dépit du jugement défavorable rendu par la justice danoise, Nils Vest est optimiste. Il pense que la coalition au pouvoir va perdre les prochaines élections et que les sociaux-démocrates, plus conciliants et plus favorables aux préceptes de la communauté de Christiania, vont leur succéder. Au cours des mois à venir, les habitants de l’enclave vont lever des fonds et souscrire des emprunts auprès des banques pour acheter le plus de propriétés "squattées" possible.

"La grande question maintenant est de savoir comment Christiania va être gérée. Nous voulons avoir notre mot à dire sur son devenir, le type de gens qui vont venir habiter là. Il est hors de question que nous laissions des gens extérieurs à la communauté se livrer à la spéculation immobilière", martèle Nils Vest.

[Source : presseurop]

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