C’est un revers cinglant pour le ministère de l’immigration : le
tribunal administratif de Paris a annulé, jeudi 30 octobre, l’appel
d’offres réorganisant la présence associative dans les centres de
rétention, où sont enfermés les Étrangers en
instance d’expulsion. Cette information, annoncée par la juridiction,
constitue une victoire pour les associations qui contestent depuis
deux mois la réforme engagée par Brice Hortefeux au motif qu’elle
porte atteinte aux droits des personnes «retenues». Depuis 1985,
seule la Cimade est autorisée à effectuer la mission d’aide
juridique. Le ministère entend mettre fin à cette situation de
«monopole» en instaurant de la concurrence et en éclatant la vision
globale dont dispose l’association d’obédience protestante.
La décision du juge des référés, saisi par le Groupe d’information et
de soutien des immigrés (Gisti), la Ligue des droits de l’Homme
(LDH), le Syndicat des avocats de France, les Avocats pour la défense
des droits des étrangers et le réseau ELENA, l’oblige à revoir sa copie.
Dans un communiqué publié dans la foulée, le ministère de
l’immigration affirme prendre acte du jugement et annonce qu’il va
«engager, immédiatement, un nouvel appel d’offres». Il estime
néanmoins que l’annulation est fondée sur un motif de «pure forme,
tenant aux modalités d’appréciation de la valeur technique des
offres, en ne mettant nullement en cause, sur le fond, la réforme
engagée».
La réalité est plus complexe. Lors de l’audience, qui s’est tenue
jeudi en début d’après-midi, le débat s’est focalisé sur la
possibilité, ou non, pour plusieurs associations de se regrouper, sur
la clause de neutralité et de confidentialité inscrite dans l’appel
d’offres et sur le rôle qu’auront à jouer les candidats sélectionnés.
Le juge a particulièrement insisté sur ce dernier élément qui peut
être résumé ainsi : la fonction de ou des associations se limite-t-
elle à la simple information des étrangers (via, par exemple, la
distribution de documents) ou est-elle au contraire centrée sur leur
accompagnement juridique ?
«La Cimade assure des prestations de simple information, mais elle a
aussi un rôle dans la rédaction de requêtes, de renseignements
juridiques sur des personnes dans des situations très délicates. Le
droit des étrangers est une matière complexe, qui suppose des
connaissances solides», a souligné le juge, notant qu’à la lecture de
l’appel d’offres, «on est un peu surpris» par les critères requis.
Dans ce document administratif, les critères d’attribution du marché
sont les suivants : 40% en fonction du prix (les offres les plus
compétitives financièrement) et 60% en fonction d’éléments plus
qualitatifs, parmi lesquels 15% dévolus à la «qualité de l’équipe».
Celle-ci est jugée en fonction de «la formation de base avec un
minimum de connaissances juridiques», «l’aptitude à répondre à
l’urgence», «l’expérience dans le domaine juridique et humanitaire
tant pour les responsables que pour les salariés et les bénévoles» et
la maîtrise de langues étrangères.
«Un minimum de connaissances juridiques»
Le juge a vraisemblablement estimé que la part faite au droit était
insuffisante. «Comment peut-on demander un minimum de connaissances
juridiques pour rédiger une requête», s’est-il interrogé lors de
l’audience. Ce à quoi l’avocat du ministère a rétorqué qu’il existe
des formulaires pré-établis pour ce type de procédure. «Dans cet
appel d’offres, il a fallu indiquer tous les enjeux. La place de
choix n’a pas été faite au juridique et d’autres critères ont été
retenus comme la réactivité, la présence sur place et la maîtrise de
langues», a-t-il ajouté.
Cette décision tombe mal pour le ministère de l’immigration, d’autant
que six associations (l’Assfam, la Cimade, le Collectif respect,
Forum réfugiés, France terre d’asile et l’Ordre de Malte) ont déjà
déposé leur candidature ; elles avaient jusqu’au 22 octobre pour le
faire. Les services de Brice Hortefeux doivent publier un nouvel
appel d’offres, même s’ils continuent d’affirmer que «cette réforme
est juste. Cette réforme est nécessaire. Cette réforme sera donc
conduite à son terme.» Les candidats, eux aussi, vont être amenés à
reformuler leurs intentions et il n’est pas certain que tous puissent
se prévaloir de l’expertise en matière juridique jugée indispensable
par le tribunal administratif.
Les associations opposées à la réforme gagnent, elles, un temps
précieux qui pourrait être mis à profit pour organiser,
éventuellement à plusieurs, des contre-propositions. Et cela, sans
attendre la décision du Conseil d’État, saisi par dix associations,
dont la Cimade. Elles peuvent enfin compter sur le soutien de
nombreux élus de droite et de gauche, qui viennent de faire part de
leur «vives préoccupations» à Nicolas Sarkozy dans une lettre
ouverte. Pour l’instant, le président de la République s’est gardé
d’intervenir sur ce dossier.
[mediapart]