[ [ [ Contre les rafles. - Yannis Lehuédé

Lundi 23 février 2009,

J’arrive au métro Barbés vers 17 heures, suite à un sms : "Un dispositif semble en place au métro Barbés (…) ". La semaine dernière j’en recevais un autre : "Rafle en cours devant le métro Barbes. Déjà quatre arrestations. Le camion est sur le boulevard au niveau du marché. "
C’est comme ça toutes les semaines.

Quand j’arrive, je ne vois rien ou plus précisément, la cohue de vendeurs de cigarettes, un homme me tend un papier… je le lirais plus tard : médium, voyance, guérisseur.
Un peu hagard, je fais le tour du métro. Pas de voiture ou de camion de police ni de gendarmerie. Est-ce que je suis arrivé trop tard ? Et s’il y a une rafle, est-ce que je saurais quoi faire ? Je me suis munis de mon enregistreur et de mon appareil photo.

Finalement sous le pont du métro, j’aperçois un homme d’une quarantaine d’année, blanc, qui se fait contrôler et fouiller. Les policiers sont au nombre de trois : deux noirs et un « arabe » avec un bonnet. Et oui, ici les policiers en civils sont colorés. Il faut être un peu discret quand même.
Je reste à observer cette scène à laquelle finalement je ne m’attendais pas. Je tourne autours d’eux, hésite à filmer, mon hésitation est repérable. Je rentre dans le métro, en ressort. Le gars est relâché. Je fais le tour et retrouve le même homme accompagné d’autres : Ils sont venus prévenir les gens qu’il y avait des contrôles de police à l’intérieur. Cela ne plaît visiblement pas à la police qui a contrôlé ce dernier et essayer de l’intimider me raconte t-il.

Chacun se poste à une entrée et glisse discrètement à l’oreille des gens : « Il y a des contrôlent à l’intérieur ».

Je finis par faire comme eux. En même temps, je discute avec les vendeurs de cigarettes. L’un d’eux me dit :
« Ah, ba oui y a la police, ils sont là. Ils s’en foutent de nous. Nous, ils nous connaissent tous. S’ils nous embarquent, ils nous relâchent vite. Ils nous prennent des cigarettes et ils nous relâchent. »

Je monte les escaliers pour voir de plus prés la situation. Là il y a des vendeurs de tickets et des types qui semblent bien être des policiers en civils. J’ai mon enregistreur à la main, ça intrigue les vendeurs, moi ça me donne un contenance. Je m’en sers comme d’un média, un moyen de communiquer, et je me dis qu’ils ne vont pas me contrôler si j’enregistre. Les vendeurs de tickets me parlent… Je cherche en même temps à repérer les policiers en civils. Ce n’est pas évident : un type avec un kaway rouge à tout à fait l’attitude du policier, il attend, il ne vend rien bien qu’il parle avec un autre qui semble être un vendeur de tickets… Mais comment reconnaître un vendeur de ticket, d’un policier en civil de Barbés ? Là, ils sont visiblement ensemble. En même temps j’explique aux jeunes qui me parlent que je suis venu parce qu’il y à des arrestations de sans-papiers ici, et que c’est ça que je suis venu enregistrer. Je parle assez fort et je suis sûr que le message sera rapporté. Finalement je leur demande abruptement en montrant le kaway rouge du menton :
« Eux ce sont des flics ! »
« Oui, oui, ce sont des flics. Y a souvent des flics ici. C’est qu’il y a beaucoup de monde »

Je redescends les marches et continu à prévenir les gens qu’il y a des contrôles à l’intérieur.
Qui prévenir ? A la tête, au regard ? Le dire à tous, au plus de monde possible. Je suis plutôt désemparé. Certaines personnes feront demi-tour, me remerciant :
« Ah, comment je fais alors moi ?Moi qui suis sapeur pompier ? C’est un contrôle d’identité ? »
Je réponds que oui, mais finalement ce n’est pas très claire pour moi.
Par deux fois des policiers en tenue, montent les marches et se disposent de l’autre côté des tourniquets. Pendant que les « civils » font des allés-retours.

Finalement, n’y tenant plus je suis l’homme au kaway rouge. Il traverse la rue et redescend dans le métro. Quand j’arrive il est comme dans le queue de la billetterie.
« Vous achetez un ticket ? »
« Pourquoi est-ce que vous me demandez ça ? » dit-il très calmement.
« ba, parce que vous étiez déjà devant la billetterie de l’autre côté. C’est marrant. » Ais-je répondu, mi-figue, mi-raisin… La situation m’exaspère il est très calme. Je ressors de l’autre côté. Ceux du « collectif de quartier », comme les appellent les vendeurs de cigarettes sont encore là.

On discute vaguement et puis voilà que le kaway rouge réapparaît. Je l’ignore. Finalement c’est lui qui vient me voir :
« Vous travaillez pour qui ? »
« pardon ? »
« Vous représentez qui ? »
« Mais je ne représente que moi monsieur, et vous ? »
« Moi aussi, je ne représente que moi-même »
« Et vous travaillez pour qui ? »
« Pour la mafia, et vous qu’est ce que vous faites, vous observez, là… »
« Oui je suis anthropologue, j’observe. Et les affaires ça marche ? Dans la mafia ? »
« Je ne suis pas dans la mafia, sinon je ne serais pas là. Mais je les connais tous. Ici il n’y rien de bien important. Les gens dangereux ce sont qui dealent entre Paris et New York »
« Ah oui, et ils ne prennent pas le métro ces gens là… »
« Ils sont dans la franc-maçonnerie. »

Dialogue surréaliste, qui a pourtant eu lieu sur les marches du métro. J’ai vu des contrôles mais personne se faire embarquer. Ce qui ne signifie pas que personne ne se soit fait embarquer. J’ai tourné un peu et perdu le « collectif de quartier » que je voulais interviewer !
Sur le quai, j’ai pris ces notes. Il fait nuit. La prochaine fois nous reviendrons avec une équipe de TV…

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