[ [ [ Dans mon avion, une expulsée et ses deux enfants : « Help me » - Yannis Lehuédé

Encore un vol de la Royal Air Maroc qui transportait des sans-papiers. Comme tous les jours. Souvent les récits rapportent des faits de résistance et de protestation qui généralement parviennent à empêcher l’expulsion. Cette fois, la personne qui témoigne rend compte de sa honte à n’avoir rien fait. Les passagers honteux se demandaient ce qu’ils auraient pu faire. C’est pourtant bien simple : il suffit de refuser de s’asseoir, ou même de signaler ostensiblement qu’on refuse d’attacher sa ceinture de sécurité, et qu’on ne se pliera à aucune consigne tant que la personne embarquée de force n’aura pas été débarquée.

Il y a quelques années, au début de l’ère sarkoziste de déchaînement de la "politique du chiffre", les voyageurs protestataires étaient parfois embêtés, débarqués eux-mêmes, gardés à vue, puis poursuivis. Leurs procès ont plutôt été l’occasion d’une belle popularisation de leur pratique, et il semble que ces dernières années, les flics d’Hortefeux se soient calmés sur ce plan. Du coup, on voit passer nombre de témoignages de protestations qui aboutissent simplement à la non-expulsion par cet avion (quitte à retenter l’expulsion par un prochain vol).

Par Dominique Verrier | Comédien | 29/12/2010 | 11H41

J’aimerais vous raconter une histoire dont j’ai été témoin. Je viens de passer une semaine au Mali avec une compagnie théâtrale pour jouer un spectacle au centre culturel français de Bamako. J’étais très content de cette opportunité qui me permettait de découvrir un pays d’Afrique que je ne connaissais pas.

Nous étions neuf ce jeudi 9 décembre, et devions partir de Paris-Orly à 16h30 avec la compagnie Royal Air Maroc par le vol AT 765.

En montant dans l’avion, nous découvrons que nous sommes placés tout au fond. Bon. Trois hommes s’y tenaient debout et formaient un rempart devant les derniers sièges.

En s’approchant pour prendre nos places, ils nous ont tout de suite fait comprendre que ce n’était pas la peine de leur parler ou d’essayer de communiquer d’une façon ou d’une autre.

Nous avons très vite compris que, derrière eux, se trouvait quelqu’un qui n’avait pas choisi d’être là. Une jeune femme, de 25 ans environ, et deux enfants un an et demi peut-être pour l’un, et trois ans pour l’autre , étaient à moitié cachés par les trois colosses.

Cette jeune femme nous implorait en psalmodiant un « help me » (aidez-moi) répétitif, inlassable. Toute tentative de demande d’explication de notre part a été immédiatement stoppée par les trois gardiens.

En une seconde, nous nous sommes retrouvés dans la situation que personne ne souhaite vivre : être témoin d’une expulsion sans pouvoir agir.

Se rouler par terre pour empêcher l’avion de décoller ?

Alors que faire ? Invectiver les trois hommes ? Hurler pour que tout l’avion soit au courant ? Courir à l’avant et tambouriner à la porte de la cabine de pilotage pour alerter le commandant de bord (qui devait l’être déjà) ? Se rouler par terre pour empêcher l’avion de décoller ?

Nous avons sans doute tous pensé à ça. Pour ma part, je peux dire que j’ai hésité une seconde. Une seconde de trop.

Je n’ai rien fait et mes camarades non plus. Nous nous sommes assis à nos places, tétanisés.

Pendant ce temps, la jeune femme disait toujours « help me ». Ce « help me » a duré peut-être une heure, ou plus, jusqu’à ce que l’avion décolle enfin et qu’elle s’endorme, épuisée.

Je me suis rendu compte plus tard qu’elle avait les chevilles, les genoux et les coudes attachés ! Il est vrai qu’elle représentait un danger réel pour la sécurité du territoire français, avec ses deux enfants...

Nous n’avons plus décroché un mot entre nous. Nous n’étions pas fiers. Je n’étais pas fier.

Expédiée comme un paquet indésirable

Nous devions faire une escale à Casablanca, au Maroc, et prendre un autre avion pour Bamako.

Avant de descendre, nous avons eu quelques bribes de renseignements : la jeune femme était Sri-Lankaise. Son mari, avec qui elle était arrivée par le Maroc, avait été reconduit immédiatement dans ce pays, mais la législation en vigueur ne permettant pas la même chose pour une femme avec des enfants. Il a fallu un peu plus de temps pour lui faire finalement subir le même sort.

On l’imagine très bien en garde à vue quelque part en France dans un centre
de transit pour étrangers, avec ses deux enfants. Pendant des jours, peut-être des semaines. Ne parlant pas un mot de français, ni même d’anglais à part ce « help me » avant d’être expédiée ailleurs, comme un paquet indésirable, par le vol AT 765 de la compagnie Royal Air Maroc.

On l’imagine encore mieux débarquant au Maroc, sans connaître davantage un
mot d’arabe, sans papiers, sans argent, sans connaître personneŠ

Elle ne restera pas longtemps sans que les services d’immigration de Mohammed VI ne s’occupent d’elle, et on imagine de quelle manière. Ou que la rue marocaine ne s’en charge.

France, terre d’asile ? Pays des droits de l’homme ?

On repense à de bien belles formules comme « France terre d’asile », ou « France pays des droits de l’homme », ou encore à la belle initiative « Touche pas à mon pote » (de

SOS-Racisme

[tel Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur], sont toujours à leur place dans leurs palais dorés ; si nous n’étions pas
dans un temps où d’autres serviteurs zélés font voter des lois iniques
contre les étrangers.

Alors aujourd’hui on ne sourit plus, on ne rit même pas jaune. On a honte, tout simplement.

[Source : RESF]

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