[ [ [ Des écoutes à la surveillance du peuple - Yannis Lehuédé

On ne finit pas de découvrir l’ampleur des révélations sur les écoutes de la NSA, l’agence de renseignements américaine. Pour les rares qui suivent le monde discret de l’espionnage - comme Reflets.info, il n’y a rien de surprenant, mais c’est en revanche inquiétant.

On a l’habitude de pointer du doigt l’impérialisme américain - pas pour son espionnage économique - et la Chine pour la surveillance massive des opposants. Peu relatent l’avance technologique de l’Iran ou de la France. Même la NSA accorde au "pays des Droits de l’homme" une place de choix tant au niveau géo-stratégique que dans la maîtrise technique des outils de surveillance de la population.

La presse étrangère a révélé voilà plus de quinze jours l’accord "Lustre" qui lie les USA et la France dans le domaine policier. L’Europe aura dénoncé dans un rapport le caractère anti-démocratique de certains de ses États policiers, dont la France.
Pourtant, les agissements des services de renseignement sont désormais au cœur de débats parlementaires en Grande-Bretagne ou en Allemagne... mais pas en France !
La police se vante même d’arrêter "préventivement" de nombreux hooligans identifiés avant une rencontre sportive, une initiative assez banale mais à la légitimité fort douteuse. On se souviendra du film d’anticipation Minority Report dont le sujet était d’arrêter des personnes avant qu’ils ne commettent un crime.

Avec le silence des gouvernements successifs sur ce domaine "sacralisé", le grand public découvre l’ampleur des dispositifs que lorsque des documents sont révélés à la suite de fuites, souvent la partie émergée de cet iceberg (comme le montrent les vidéos-conférences présentées tout en bas de cette page). Ce manque d’information publique permet à peine de visualiser l’évolution de ce véritable État dans l’État, à l’ère du numérique qui décuple ses possibilités.
Les parlementaires semblent se laisser guider par les possibilités techniques que leur offre cette matrice logicielle et se contentent de la codifier dans la législation, sous la direction "bienveillante" des spécialistes du quadrillage de la population.
Et l’influent idéologue français Alain Bauer ne cache pas que le nouvel "ennemi intérieur" est indifféremment terroriste, écologiste et politique !

A la vue de certains portiques truffés de caméras sur les autoroutes comme pour la mal-nommée "Ecotaxe" (voir la photo plus bas) - mais on ne doute pas que l’opportunité d’identifications des véhicules servira à d’autres services de l’État -, on ne s’étonnera pas qu’ils soient devenus une cible du mécontentement, tel un symbole d’une nouvelle Bastille...

Paris s’éveille

Un portique
Un portique "Ecotaxe" (partenariat public-privé)
source : Le Dauphiné

#NSA, #Snowden #Lustre : la séquence « tontons fingueurs »

C’est pas moi, c’est lui… La séquence tontons flingueurs est semble-t-il enclenchée. Le patron de la NSA, Keith Alexander, sous serment devant le Congrès américain, a expliqué que les centaines de millions de communications privées écoutées en Europe avaient été transmises à son agence par… ses alliés de l’OTAN. En clair : les européens ont mis sous écoute leurs populations (mais pas que) et ont transmis celles-ci aux USA. #Spanous®, donc…

Dans le même temps, le Parlement européen a publié un rapport explosif qui remet sérieusement en question la réalité de la nature démocratique de certains pays Européens, notamment la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, la Suède et – dans une moindre mesure – les Pays-Bas. Le Parlement, en se basant sur des sources ouvertes, notamment des articles de presse, relève que ces cinq pays se sont livrés à des écoutes massives à l’encontre de leurs propres populations.

Le rapport ne s’embarasse pas de précautions diplomatiques : "Les objectifs et l’ampleur de la surveillance [mise en place] sont précisément au coeur de ce qui différencie les régimes démocratiques des Etats policiers".

« incompatible avec les règles de base de la démocratie »

Pour les rédacteurs, l’atteinte portée aux principes de base de la démocratie par les programmes de surveillance mis en place par des Etats membre de l’Union Européenne ne fait aucun doute : "d’un point de vue légal, les programmes de surveillance des populations Européennes sont incompatibles avec les règles démocratiques de base, et compromettent la préservation des Droits de l’Homme pour les citoyens Européens et ceux qui résident sur le continent" . Plus loin, le rapport enfonce le clou et affirme que « les programmes de surveillance au sein de l’Europe sont incompatibles avec les règles de base de la démocratie et du droit, qui sont le fondement de la charte des Droits Fondamentaux Européens et de la Convention Européenne des Droits de l’Homme »

Ce rapport dénonce par ailleurs les stratégies mises en place par les différents services de renseignement et destinées à contrer toute critique. Il dénonce le fait qu’il « n’existe aucune raison de croire que la surveillance mise en place [...] n’est destinée qu’à lutter contre le terrorisme ou à contrer des menaces extérieures. Bien au contraire, il apparait au regard des informations à notre disposition que les données collectées par ces programmes sont utilisée à des fins bien plus variées » . Plus loin, le rapport explique que « la distinction entre des écoutes ciblées à des fin d’investigations criminelles, qui peuvent être légitimes si elles sont encadrées par la loi, et une surveillance de masse dont l’objectif reste incertain est de plus en plus flou. C’est l’objectif et l’aspect massif de cette surveillance qui est précisément au cœur de ce qui distingue un régime démocratique d’un Etat policier ».

L’Europe en danger

Ce même rapport pointe par ailleurs l’aspect mortifère pour l’institution Européenne, de la surveillance de masse, soulignant que : « Ces multiples révélations affectent directement les citoyens et les institutions Européennes, remettant en question leurs capacités à défendre les droits de ses ressortissants », il note également que « l’absence de réponse du parlement Européen porterait un coup sévère à la confiance portée aux institutions Européennes par les citoyens des pays membres » .

Mais au delà du constat d’impuissance que les citoyens Européen pourraient faire vis à vis des institutions Européenne, le rapport parlementaire souligne ce qu’il n’hésite pas à qualifier de trahison de la part de certains Etats Membres : « les acteurs de la société civile, les journalistes des plus prestigieux média européens, ainsi que des ONG défendant les Droits de l’Homme considèrent que l’attitude de la NSA [et de certains services de renseignement Européens] ne sont pas acceptables. [...] En Angleterre, la société civile considère des actions comme pouvant être qualifiées comme des actes de guerre électronique, et comme une forme de trahison vis à vis des autres Etats membres ».

Les USA recadrent le scandale Snowden

Mardi 29 octobre, le Wall Street Journal écrivait que les millions de communications récoltées en France, en Espagne ou en Italie l’avaient été par les services de renseignement de ces pays. Pour le général Keith Alexander, les média Européens « n’ont rien compris » aux documents sur lesquels ils s’appuient pour faire leurs articles, ce qui n’est guère surprenant tant la dimension technique est omniprésente – incompréhensible pour la plupart des journalistes, qui s’imaginaient encore menacés dans leur travail par de simples fadettes il y a encore un an.

« Ces millions de communications interceptées ont été récoltées par les services de pays alliés des USA et en dehors de leurs frontières. Il s’agirait de communications récoltées sur des zones de guerre. » , explique Keith Alexander.

Si les USA ne nient pas la véracité des documents diffusés par Edward Snowden à la presse, ils s’agacent de l’incapacité des médias Européens à les interpréter. Surprise (ou pas) : le recadrage effectué par le général Alexander à travers un témoignage sous serment devant une commission d’investigation du Sénat va dans le sens des analyses faites par Reflets ces dernières années.

Est-ce dû au fait que les journalistes de Reflets sont aussi (et avant tout ?) des experts en matière de technologies, ou plus simplement que Reflets est à la solde des illuminati et de la CIA, il appartient aux lecteurs d’en juger.

La France, Big Brother de l’Afrique ?

Le témoignage du patron de la NSA vient confirmer l’une des hypothèses défendue par Reflets depuis un certain temps : une collaboration étroite entre la France et les Etats-Unis, basée sur la position stratégique de la France dans l’architecture globale des réseaux connectant le continent Africain au reste du monde, et dont une bonne partie aboutissent (et sont écoutés) en France.

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C’est sous le doux nom de « Lustre » qu’un tel accord aurait été signé « il y a quelques années » – fin 2011 à priori -, comme le révèlent les derniers documents de Snowden apparus ce week-end dans la presse Allemande. Etrangement, aucun journal français ne semble trouver utile l’idée de se pencher sur cet accord « Lustre », seuls France Culture et RFI ont fait echo à l’article publié lundi par Reflets.

Il reste à voir comment les populations d’Afrique et du Moyen Orient réagiront à la découverte que la France est pour eux ce que la NSA est au reste du monde. Indifférence, comme la population Française elle même, qui ne réagit guère aux révélation faites par Edward Snowden, ou indignation comme c’est le cas en Allemagne où cette affaire a pris une place centrale dans la récente campagne présidentielle.

Petits arrangements entre amis

Récapitulons : pour la France, ce seraient donc 70 millions de communications qui auraient été récoltées en un mois dans des zones géographiques où nous sommes présents dans un conflit (Afghanistan ou Mali par exemple). Pour l’Espagne ce sont 60 millions de communications…

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Visiblement les gens parlent beaucoup dans des zones de guerre…

Dianne Feinstein, du commité sur l’espionage du Sénat américain a corroboré les affirmations des maitres espions américains : « Ce ne sont pas les Etats-Unis qui collectent des informations sur la France et l’Allemagne. Et cela n’a rien à voir avec leurs citoyens, cela concerne des interceptions des zones de guerres où l’OTAN est impliquée comme l’Afghanistan ».

Tiens… L’Espagne et l’Italie ont disparu de la scène.

L’offensive américaine pour se dédouaner des écoutes en Europe semble assez logique mais il faut croire sur parole les services de renseignement américains qui avouent ne pas encore avoir examiné de près les documents en question, ou les responsables politiques qui supervisent ces services depuis des années avec les risques évidents de collusion.

Si ces révélations américaines sont déjà aujourd’hui à la Une d’El Pais par exemple, on se demande combien de temps elles tiendront en première page, si elles y arrivent en France, tant les sujets de la plus haute importance sont légion ici : l’écotaxe, les Roms, les otages français libérés, Leonarda, Nabila ?

Ce mardi, Le Monde a choisi, un peu forcé sans doute par les déclarations de Keith Alexander, d’évoquer l’accord « Lustre » et reprend les informations de Reflets. Les informations recueillies selon Le Monde auprès d’un responsable français du renseignement corroborent l’analyse de Reflets publiée dimanche dernier :

La DGSE a établi, depuis la fin de 2011, un protocole d’échange de données avec les Etats-Unis. Ces informations viennent préciser celles publiées par « Le Monde » sur la collecte par la NSA de plus de 70 millions de données téléphoniques concernant la France. (« Le Monde »)

Selon nos informations, recueillies auprès d’un haut responsable de la communauté du renseignement en France, la direction des services extérieurs français, la DGSE, a, en effet, établi, à partir de la fin 2011 et début 2012, un protocole d’échange de données avec les Etats-Unis.

La France bénéficie d’un positionnement stratégique en matière de transport de données électroniques. Les câbles sous-marins par lesquels transitent la plupart des données provenant d’Afrique et d’Afghanistan atterrissent à Marseille et à Penmarc’h, en Bretagne. Ces zones stratégiques sont à la portée de la DGSE française, qui intercepte et stocke l’essentiel de ce flux entre l’étranger et la France.

En clair, près de trois ans après les premières révélations de Reflets sur l’infrastructure mise en place par la France et ses championnes du DPI (le 22 février 2011), la théorie abracadabrantesque développées à longueur de colonnes, selon laquelle la France a délocalisé ses écoutes et siphonne les données circulant sur les câbles sous-marins posés par Alcatel Submarine Networks ou Orange Marine, avec l’aide probable des infrastructures Eagle d’Amesys, commence à devenir une quasi-certitude…

Pour autant, il est plus qu’improbable que cette infrastructure soit décortiquée par une quelconque commission d’enquête parlementaire de ce côté-ci de l’Atlantique, tant les gouvernements de droite comme de gauche ont œuvré pour qu’une chape de plomb la recouvre.

Les théories développées par Reflets nous ont même valu l’honneur d’être traités de Trolls par le conseiller en communication de Fleur Pellerin. Aziz Ridouan va peut-être revoir sa position à la lumière des dernières révélations (Accord « Lustre » par exemple). Et nous expliquer comment la France de Nicolas Sarkozy et de François Hollande a pu migrer d’une démocratie à un Etat policier pratiquant l’écoute de masse, comme l’explique le Parlement européen ?

Il faudrait peut-être aussi que Jean-Jacques Urvoas nous explique pourquoi, ou sur la base de quoi, il affirmait au Point que la France ne pratique pas d’écoutes massives.

En effet, si un membre de la Délégation parlementaire du renseignement peut affirmer sans sourciller une pareille énormité, il est clair que la représentation parlementaire prend ses électeurs pour des imbéciles. Ou pas.

[Source : Reflets.info]

Vidéo-surveillance

Le traitement des données de surveillance de masse (tandem homme-machine)

Françafrique 2.0
[Source : Cours surveillance à Science-Po]