[ [ [ Le bal des hypocrites - Yannis Lehuédé

Les déclarations vertueuses se multiplient, en France comme dans le monde entier, après la libération d’Aung San Suu Kyi. Les plus sincères sont probablement celles de la Thaïlande, où l’on dit espérer que cette libération permette une "réconciliation nationale" – qui sauverait la mise aux généraux criminels... ce que ces derniers espèrent bien aussi. La palme de l’hypocrisie revient toutefois à Nicolas Sarkozy, soutien inconditionnel de la dictature, ainsi qu’on a pu le voir lors de la répression de la "révolution de safran", en 2007, dont il avait donné le feu vert.

La veulerie de Bernard Kouchner n’est pas moindre dans ce dossier où il s’est compromis, longtemps avant d’accéder au Quai d’Orsay, en osant un rapport à décharge de Total. Rappelons que Total est non seulement un soutien essentiel de la dictature depuis vingt ans, mais le bénéficiaire de l’exploitation de travail forcé – ainsi que la compagnie pétrolière française l’a implicitement reconnu, en négociant une transaction avec des plaignants pour éviter qu’ils aillent en justice.

Signalons au passage, pour la bonne bouche, une savoureuse coquille dans le communiqué de Jean-Christophe Cambadélis, du Parti socialiste, qui appelle à l’avènement d’un "État de droite" en Birmanie – qu’il se rassure, c’est déjà fait...

LES RÉACTIONS

Émotion après la libération Aung San Suu Kyi

La libération de l’opposante Aung San Suu Kyi, symbole de la lutte pour la démocratie en Birmanie, a été libérée samedi 13 novembre après plus de sept années consécutives de résidence surveillée a suscité de nombreuses réactions en France et dans le monde.

En France

• Nicolas Sarkozy, président de la République française : "je me réjouie que Mme Aung San Suu Kyi retrouve aujourd’hui une liberté dont elle n’aurait jamais dû être privée. La France sera extrêmement attentive aux conditions dans lesquelles Mme Aung San Suu Kyi jouira de sa liberté retrouvée. Toute entrave à sa liberté de mouvement ou d’expression constituerait un nouveau déni inacceptable de ses droits". (Communiqué) [Rappelons ici que Nicolas Sarkozy est le principal responsable de la sauvage répression de la révolte des moines, dite "révolution de safran", en 2007. Avant de tirer sur la foule, les généraux avait bien pris soin d’attendre la position de la France, principal soutien de la dictature. Et c’est seulement au lendemain de l’annonce par Nicolas Sarkozy de ce qu’il n’y aurait pas de sanctions économiques – et que Total ne se retirerait pas – que la répression s’est déchaînée sur les moines.]

• Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères : "Il reste également de nombreux prisonniers politiques en Birmanie, et nous continuons à demander leur libération immédiate et complète. Seul le dialogue du gouvernement avec Aung San Suu Kyi et toutes les composantes de l’opposition, ainsi qu’avec les minorités ethniques, permettra à la Birmanie de prendre enfin le chemin d’une véritable réconciliation nationale". (Communiqué) [Rappelons ici que Bernard Kouchner est l’auteur d’un rapport scandaleux sur le chantier Total en Birmanie, présentant celui-ci comme ne posant aucun problème du point de vue des droits humains, parfaitement respectés selon lui au pays du travail forcé...]

• Martine Aubry, première secrétaire du PS : "C’est une immense joie d’apprendre la libération d’Aung San Suu Kyi, qui vit depuis 2003 un véritable calvaire, confinée chez elle sur ordre de la junte militaire birmane. La prix Nobel de la Paix "a fait preuve d’une force et d’un courage incroyables", et "sa libération est un signe d’espoir pour les Birmans qui vivent sous le joug d’un régime brutal. J’espère que cette libération ne sera pas temporaire, comme le furent les précédentes. J’appelle "la France et l’Union européenne à maintenir la pression diplomatique à l’égard de la Birmanie pour qu’Aung San Suu Kyi puisse reprendre une vie normale". (Communiqué) [Rappelons que depuis le début de l’implantation de Total en Birmanie, en 1990, le Parti socialiste a été plusieurs fois au pouvoir, et qu’il n’aura jamais rien fait pour faire cesser le scandale de ce soutien direct à la dictature la plus ignoble de la planète. Pour que le Parti socialiste devienne crédible sur ce point, encore faudrait-il qu’il demande formellement le retrait de Total. On attend encore.]

• Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP: "L’UMP se réjouit de la libération tant attendue d’Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix en 1991 et symbole de l’opposition non-violente au régime Birman, pour laquelle l’UMP s’était engagée en organisant dès 2007, rassemblements et pétition. Le Mouvement Populaire veut rendre hommage au courage d’Aung San Suu Kyi dont la libération est un véritable soulagement, et espère que celle-ci présage d’un avenir meilleur pour la Birmanie" et "salue la fermeté du président de la République et le soutien sans faille qu’il a apporté à cette figure emblématique de tous les combats pour la défense des Droits de l’Homme dans le monde" (communiqué). [Au grand bal des hypocrites, il ne manque pas grand monde...]

• Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national du PS à l’International : "C’est une bonne nouvelle pour les démocrates de ce pays qui se battent depuis plus de vingt ans contre la dictature. Daw Aung San Suu Kyi, qui est Présidente Honoraire de l’Internationale socialiste et Prix Nobel de la Paix 1991, était devenue le symbole de la lutte pour la démocratie et la liberté. Le Parti socialiste demandera au Conseil de l’Internationale socialiste qui se réunit à Paris lundi d’apporter tout son soutien à la réalisation du rêve de notre camarade et de millions d’hommes et de femmes birmans : l’avènement d’un Etat de droite [sic !] en Birmanie" (communiqué).

• Bertrand Delanoë, maire PS de Paris: "C’est avec beaucoup d’émotion et de joie que j’apprends la libération d’Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la Paix 1991, citoyenne d’Honneur de la Ville de Paris depuis 2004. Enfin, après 19 ans d’emprisonnements et d’assignations à résidence successifs, cette femme de combat et de courage a retrouvé la liberté (...) Face à un régime militaire qui l’a bâillonnée, elle a su risquer sa vie pour son peuple et n’a jamais renoncé à ses idéaux (...) Sa liberté doit être totale et durable. Je veux assurer Aung San Suu Kyi, et à travers elle, les démocrates birmans, de notre totale solidarité pour l’avenir, tout comme Paris s’est engagée à la soutenir depuis de nombreuses années (...) J’espère qu’elle pourra venir dans notre capitale, et le plus tôt possible pour recevoir en mains propres son diplôme de citoyenne d’Honneur de la Ville de Paris" (communiqué). [Il y aurait plus d’honneur à manifester un soutien réel en dénonçant le soutien inconditionnel que la France apporte depuis vingt ans à la dictature birmane.]

• Marielle de Sarnez (vice-présidente du Mouvement Démocrate) "salue la libération ce matin de la démocrate birmane Aung San Suu Kyi. C’est la preuve de la puissance contraignante de la communauté internationale. Toutefois, la prudence doit être de mise, une telle libération ayant déjà eu lieu en 2002 avant que la Prix Nobel de la Paix ne soit réassignée à résidence à peine un an plus tard. Il faut espérer que sa libération physique s’accompagne d’une réelle liberté politique. Puissions-nous voir dans cette libération un espoir crédible pour l’ensemble des prisonniers politiques, à commencer par le dissident chinois Liu Xiaobo, également Prix Nobel, dont nous réclamons et attendons la libération".

En Europe

• José Manuel Barroso, président de la Commission européenne : "Il est maintenant crucial qu’Aung San Suu Kyi bénéficie d’une totale liberté de mouvement et de parole et puisse participer pleinement au processus politique de son pays". Le président de la Commission européenne a également appelé à la "libération inconditionnelle" de toutes les personnes détenues pour leurs convictions politiques. "C’est la seule façon de garantir que les élections du 7 novembre en Birmanie soient le début d’une véritable transition vers la démocratie". (Communiqué)

• Jerzy Buzek, président du Parlement européen : "La libération d’Aung San Suu Kyi doit être considérée comme une première étape importante vers le changement politique. Les exactions commises par le régime militaire en Birmanie doivent être arrêtées", a ajouté M. Buzek qui a appelé à un dialogue "authentique pour un changement réel". (Communiqué)

• David Cameron, Premier ministre britannique : "Cela aurait dû être fait depuis longtemps. Aung San Suu Kyi est une inspiration pour nous tous, qui croyons à la liberté d’expression, à la démocratie et aux droits de l’homme. Son maintien en détention représentait une parodie de justice, qui avait pour seul but de réduire au silence la population birmane. Aung San Suu Kyi a droit à sa liberté. Le régime birman doit dorénavant la respecter". (Communiqué)

• William Hague, ministre britannique des Affaires étrangères : J’appelle le régime birman à "relâcher les 2.100 autres prisonniers politiques" détenus dans les geôles du pays "et entamer un véritable dialogue avec Aung San Suu Kyi ainsi que l’ensemble de l’opposition et des groupes ethniques". J’estime que la "détermination" de Mme Suu Kyi "face à ce scandale est une véritable source d’inspiration". "Je salue sa libération. On doit dorénavant lui permettre d’assumer le rôle qu’elle voudra jouer dans la vie politique de son pays, sans plus d’entrave ni de restrictions", et les élections organisées en Birmanie la semaine dernière "n’apporteraient ni la paix ni la prospérité".

• Nick Clegg, vice-Premier ministre britannique : J’appelle à la libération des "2.100 autres prisonniers" politiques, jugeant "aussi honteux" leur maintien en détention que l’avait été celui de Mme Suu Kyi. "Le régime birman devrait maintenant la laisser vivre en paix et lui permettre de jouir pleinement de sa liberté... Aussi bienvenue que soit cette nouvelle, nous ne devrions pas la laisser dissimuler le fait que le régime birman a un passé épouvantable en matière de droits de l’homme".

• Angela Merkel, chancelière allemande : Je me réjouie et "soulagée après la libération" de l’opposante. "Aung San Suu Kyi est une figure symbolique du combat mondial pour les droits de l’homme. Son pacifisme et son intransigeance ont fait d’elle un modèle". (Communiqué)

• Le ministère polonais des Affaires étrangères : "La Pologne espère que les autorités birmanes issues des élections du 7 novembre 2010 entreprendront d’autres actions en faveur d’une démocratisation de leur pays, notamment en libérant les autres prisonniers politiques et en nouant un dialogue constructif avec l’opposition démocratique et les minorités ethniques". (Communiqué)

• Karel Schwarzenberg, ministère tchèque des Affaires étrangères : "En Birmanie, il y a actuellement quelque 2.100 prisonniers politiques. Nous appelons le gouvernement birman à leur permettre de retrouver la liberté et à respecter pleinement leurs droits. Cette libération en elle-même, il n’est pas possible de la considérer comme une expression des efforts de démocratisation des milieux gouvernementaux militaires", souligne le texte. "Aung San Suu Kyi sait qu’elle a en République tchèque des amis fidèles qui l’ont soutenue. Nous lui souhaitons bonne chance, tout en espérant que nous pourrons lui rendre visite un jour."

À l’international

• Barack Obama, président américain : "Alors que le régime birman a été très loin pour isoler et réduire au silence Aung San Suu Kyi, elle a poursuivi son combat courageux pour la démocratie et le changement en Birmanie. Elle est mon héroïne et une source d’inspiration pour tous ceux qui œuvrent en faveur des progrès des droits de l’homme en Birmanie et partout dans le monde. Les Etats-Unis "se félicitent de sa libération longtemps espérée". (Déclaration transmise par la Maison Blanche)

• Le Thaïlandais Surin Pitsuswan, secrétaire-général de l’Association des nations du sud-est asiatique (Asean) : "Je suis très, très soulagé et j’espère que cela va contribuer à la réconciliation nationale en Birmanie et que Aung San Suu Kyi pourra jouer un rôle dans cette réconciliation nationale et j’espère que d’autres prisonniers politiques bénéficieront également de ce geste". (Déclaration à l’AFP) [Rappelons qu’avec la France la Thaïlande est un des principaux soutiens du régime militaire birman. On apprenait récemment encore que des réfugiés, fuyant la dictature, en Thaïlande ont été bombardé à coups de mortiers sur le territoire thaïlandais sans susciter la moindre protestation des autorités thaÏ...]

• Ricky Carandang, porte-parole du président philippin Benigno Aquino : C’est un "pas positif sur la bonne voie pour la Birmanie. Mais la question demeure: tous ses droits politiques vont-ils être restaurés, prendront-ils (les généraux ou pouvoir) plus de mesures substantielles en direction de la démocratisation".

• Seiji Maehara, ministre japonais des Affaires étrangères : "Le gouvernement voit cette libération comme un pas en avant. Nous espérons que le gouvernement birman prendra d’autres mesures positives dans le futur pour améliorer la situation des droits de l’homme, réaliser la démocratisation et la réconciliation nationale". (Communiqué)

• Stephen Harper, Premier ministre canadien : "C’est avec plaisir que j’apprends enfin la libération d’Aung San Suu Kyi (...). Elle est une championne indéfectible de la paix, de la démocratie et du respect des droits de la personne en Birmanie, bien qu’elle ait été assignée à résidence pendant 15 des 21 dernières années"(communiqué).

Les ONG

• L’organisation des droits de l’homme Amnesty International : "La libération d’Aung San Suu Kyi est certes la bienvenue mais elle ne fait que marquer la fin d’une condamnation injuste qui avait été prononcée illégalement, et ne représente en aucun cas une concession de la part des autorités. Le fait est que les autorités n’auraient jamais dû l’arrêter, ni aucun des autres prisonniers politiques en Birmanie. La junte birmane devait dorénavant "mettre un terme à l’injustice et à l’emprisonnement politique dans le pays".

• L’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch : "Sa libération est un stratagème profondément cynique du gouvernement militaire pour détourner l’attention de la communauté internationale de ces élections illégitimes. Si le gouvernement veut réellement accroître l’espace politique après les élections, alors il doit libérer tous les prisonniers politiques".

Organisations internationales

• Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU :"Le secrétaire général espère qu’aucune nouvelle restriction ne lui sera imposée et exhorte les autorités birmanes à consolider le geste d’aujourd’hui en libérant tous les autres prisonniers politiques. La démocratie et la réconciliation nationale exigent que tous les citoyens birmans soient libres de participer comme ils le veulent à la vie politique de leur pays", (un communiqué publié par un porte-parole de M. Ban)

• Navi Pillay, haut commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme : "C’est un signal positif (indiquant) que les autorités birmanes sont prêtes à aller de l’avant avec le sérieux défi de la transition démocratique, et le besoin d’une réconciliation nationale. De toute évidence, Aung San Suu Kyi peut apporter une contribution importante à ce processus. Je regrette qu’Aung San Suu Kyi n’ait pas été libérée avant les élections, "comme cela avait été demandé par le Secrétaire général de l’ONU", Ban Ki-moon. (Déclaration écrite)

• Le groupe de sages "The Elders" (les Anciens), qui réunit notamment Desmond Tutu et Jimmy Carter : "La libération d’Aung San Suu Kyi est un geste très important mais elle ne doit pas nous détourner du fait que plus de deux mille autres prisonniers politiques restent emprisonnés. Nous ne devrions pas oublier que la détention d’Aung San Suu Kyi a été utilisée afin de dénier la volonté de la population lors des élections d’il y a plus de vingt ans... Peu de choses semblent avoir changé depuis". (Communiqué)


[Source : nouvelobs]

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