[ [ [ Le colmatage du réacteur n° 2 de Fukushima échoue - Yannis Lehuédé

Ça ne s’arrange pas vraiment à Fukushima.

Hormis l’ampleur de la catastrophe, la principale différence qu’on puisse enregistrer avec le précédent de Tchernobyl, c’est qu’il y vingt-cinq ans les autorités soviétiques représentées par Mikhaïl Gorbatchev, avaient eu le courage d’assumer qu’il faille en tirer des conséquences politiques. Le secrétaire général du PCUS voyait là « un nouvel argument fort en faveur de réformes profondes. »

Le 14 mai, vingt jours après la catastophe (qui lui avait été cachée les premiers jours) Gorbatchev prononçait une allocution télévisée dans laquelle il reconnaissait l’ampleur de la catastrophe et admettait que des dysfonctionnements profonds ont eu pour conséquence que « ni les politiques, ni même les scientifiques n’étaient préparés à saisir la portée de cet événement ».

Aujourd’hui, bien au contraire, vingt jours après la catastrophe, Nicolas Sarkozy réaffirmait, en totale inconscience criminelle, qu’il n’y aurait pas d’autre solution que… de continuer dans la voie suicidaire que la nucléocratie impose à l’humanité depuis près d’un demi-siècle.

Paris s’éveille

LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 04.04.11 |

Malgré tous les efforts déployés par les ingénieurs de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima Dai-Ichi, de l’eau contaminée continuait, lundi 4 avril, à se répandre dans l’océan Pacifique en raison d’une fuite du réacteur n°2, comme l’ont montré les tests d’étanchéité effectués sur place à l’aide de colorants.

Cette annonce intervient après plusieurs tentatives, pendant le week-end, de colmater la fissure découverte samedi dans un puits de béton de ce réacteur, à l’aide de mélanges de sciure, de journaux, de polymères et de ciment. "Nous espérions que les polymères fonctionneraient comme des absorbants, mais ils n’ont encore produit aucun effet visible" et n’empêchent pas l’eau de s’écouler, a déploré Hidehiko Nishiyama, directeur général adjoint de l’Agence japonaise de sûreté nucléaire et industrielle.

REJET DE MILLIERS DE TONNES D’EAU CONTAMINÉE

L’agence de presse japonaise Jiji a par ailleurs annoncé, lundi, qu’en plus de cette fuite, l’exploitant de la centrale de Fukushima, l’opérateur Tokyo Electric Power (Tepco), allait rejeter dans la mer 11 500 tonnes d’eau radioactive qui s’est accumulée dans les installations accidentées par le séisme et le tsunami du 11 mars.

Un porte-parole de la société Tepco a précisé que "quelque 10 000 tonnes d’eau stockées dans des cuves et 1 500 tonnes actuellement dans les réacteurs 5 et 6" seront déversées dans l’océan Pacifique : une "mesure de sécurité" selon le porte-parole du gouvernement, Yukio Edano, qui a souligné qu’il s’agissait d’une eau faiblement radioactive. Tepco a cependant précisé que ce liquide dépassait de cent fois les seuils autorisés de radioactivité.

La société Tepco a enfin fait savoir qu’au moins quatre des six tranches de la centrale seraient mises hors service une fois la crise actuelle réglée, ce qui pourrait prendre plusieurs années, voire plusieurs décennies. "Nous ne sommes pas sortis de la situation d’urgence, mais elle est à peu près stabilisée. La principale préoccupation des Japonais est de savoir quand la fuite de substances radioactives s’arrêtera", a déclaré dimanche Goshi Hosono, collaborateur du premier ministre japonais, Naoto Kan. "Combien de temps cela prendra ? Je pense que l’échéance pourrait être fixée à plusieurs mois", a-t-il ajouté.

LE GOUVERNEMENT SÉVÈREMENT JUGÉ

Très impopulaire avant même la catastrophe, le chef du gouvernement, Naoto Kan, qui s’est rendu pour la première fois samedi dans la zone dévastée, a été sévèrement mis en cause pour sa discrétion dans la gestion de la crise nucléaire et de la situation humanitaire, trois semaines après la catastrophe qui a plongé le Japon dans une crise sans précédent depuis la seconde guerre mondiale.

Selon les derniers bilans, le séisme et le raz-de-marée du 11 mars ont fait près de 28 000 morts et disparus. Plus de 163 000 sinistrés sont toujours hébergés dans des structures provisoires, et Tokyo a évalué le coût de la catastrophe entre 190 et 298 milliards de dollars.

Tombée à 24 % d’opinions favorables, la cote de popularité de Naoto Kan s’est toutefois redressée ensuite pour atteindre désormais 31 %, selon un sondage réalisé pour le quotidien Yomiuri. Près de 70 % des personnes interrogées jugent néanmoins qu’il n’est pas à la hauteur de ses responsabilité et 19 % réclament sa démission, tandis que les deux tiers des Japonais se disent également favorables à la formation d’un gouvernement d’union nationale.

Le Parti démocrate, dont est issu Naoto Kan, a indiqué avoir engagé des discussions avec le Parti libéral-démocrate (PLD), principale mouvement de l’opposition, en vue de la formation d’un tel gouvernement de coalition. Mais rien n’indique qu’un accord soit en vue.

UN LOURD IMPACT SUR L’ÉCONOMIE

Les chefs d’entreprise du secteur manufacturier sont en outre pessimistes en ce qui concerne l’évolution des affaires pour les trois prochains mois, selon l’enquête Tankan, de la Banque du Japon. La baisse de l’indice trimestriel est toutefois moins importante que certains analystes le craignaient.

La crise nucléaire risque par ailleurs d’entraîner une révision des objectifs de Tokyo en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, a averti le vice-ministre de l’environnement, Hideki Minamikawa. "Il est vrai que notre objectif pourrait être affecté de façon importante", a-t-il confié au Yomiuri.

"Des implications énormes pour l’énergie nucléaire"

Le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie nucléaire (AIEA), Yukiya Amano, a inauguré, lundi 4 avril, à Vienne, la réunion de la Convention sur la sûreté nucléaire, qui intervient alors qu’une crise nucléaire majeure frappe le Japon et la centrale de Fukushima.

La Convention sur la sûreté nucléaire, adoptée en 1994 par les membres de l’AIEA, approuvée par la France un an plus tard, est aujourd’hui ratifiée par tous les pays exploitant des réacteurs nucléaires.

Lors d’un discours d’introduction à cette réunion, qui doit durer jusqu’au 14 avril, Yukiya Amano a indiqué que trois des six réacteurs de la centrale dont le combustible menaçait d’entrer en fusion sont désormais dans un état stable.

Mais il s’est également exprimé concernant l’impact de la catastrophe industrielle en cours : elle aura selon lui "des implications énormes pour l’énergie nucléaire et nous confronte tous à un défi majeur. (...) Nous ne pouvons pas reprendre une approche routinière" après un tel accident, a-t-il souligné. "Les inquiétudes de millions de personnes à travers le monde sur la sécurité de l’énergie nucléaire doivent être prises au sérieux".

"L’adhésion rigoureuse aux normes de sûreté internationales les plus robustes et une transparence totale, en temps normal comme en temps difficile, sont vitales pour rétablir et conserver la confiance du public", a enfin déclaré Yukiya Amano.

02.04.11

Controverse

En répondant, mercredi 30 mars, à un parlementaire sur l’éventualité d’un "moratoire" sur le réacteur de troisième génération EPR, après l’accident de Fukushima, André-Claude Lacoste, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ne se doutait sans doute pas que ses propos feraient le tour du monde. "Si la question d’un moratoire se pose, et nous nous la posons, ce sera sur la construction de Flamanville 3", dans la Manche, par EDF, avait dit M. Lacoste.

Cette déclaration a été commentée jusqu’en Inde, où "elle devrait intéresser le gouvernement", selon The Hindu. Le quotidien rappelle qu’Areva doit construire six EPR à Jaitapur, dans l’Etat du Maharashtra, "pour un montant de 15 milliards d’euros". Le ministre de l’environnement Jairam Ramesh, qui avait donné son feu vert à l’EPR, s’interroge désormais publiquement sur ce choix.

Dans une lettre au premier ministre indien, M. Ramesh plaide pour l’adoption d’une filière purement indienne afin de donner à l’autorité de sûreté, qu’il souhaite indépendante, une meilleure maîtrise technique. Les autorités indiennes ont annoncé leur intention de réexaminer les critères de sûreté de l’ensemble des projets, mais les conséquences en termes de calendrier ne sont pas connues, indique-t-on à Areva.

Un document interne daté du 25 mars, révélé par l’association Sortir du nucléaire, montre que le groupe français suit de très près les conséquences des audits de sûreté demandés dans la plupart des pays nucléaires et anticipe des reports de construction dans plusieurs d’entre eux (Japon, Royaume-Uni, Italie, Inde...).

La sortie de M. Lacoste a aussi suscité une réponse, indirecte, de Nicolas Sarkozy, grand promoteur du nucléaire français à l’exportation. Depuis Tokyo, où il était venu apporter le soutien du G20 au Japon, le président de la République a rappelé, jeudi, que la France a "pris des engagements de réduction des gaz à effet de serre. Pour les remplir il n’y a pas cent cinquante solutions, il y a le nucléaire". Selon M. Sarkozy, "le problème est un problème de normes de sûreté plus que de choix de l’énergie nucléaire, pour laquelle il n’y a pas d’alternative à l’heure actuelle".

Dès jeudi soir sur France Info, M. Lacoste précisait sa pensée sur Flamanville 3 : "Je n’appellerais pas ça un moratoire. Je dirais : pratiquement, qu’est-il possible de faire de façon à ne pas bâtir telle ou telle partie de la centrale qui serait ensuite appelée à être modifiée pour améliorer la sûreté ?".

En clair, dans la mesure où un audit a été demandé par le premier ministre François Fillon sur le parc nucléaire français et que Flamanville 3 est loin d’être achevé, la balle est dans le camp d’EDF. L’ASN indique qu’en Finlande, son homologue est dans les mêmes dispositions d’esprit à l’égard de l’EPR d’Areva en construction à Olkiluoto.

À Flamanville, le coût de l’EPR est passé à 5 milliards d’euros, contre 3,3 initialement prévus, et sa mise en route en 2014 aura au moins deux ans de retard. En Finlande, Oilkiluoto 3 devait initialement être achevé en 2009 pour 3 milliards d’euros, mais ne sera pas mis en service avant fin 2013 pour un prix qui a presque doublé. Fukushima pose une question simple à EDF et Areva : prendre et perdre quelques mois supplémentaires de réflexion peut-il être un bon investissement ?

Hervé Morin

En Allemagne, le groupe RWE s’oppose à Mme Merkel

Le tournant nucléaire amorcé par Angela Merkel vire au pugilat avec le lobby nucléaire allemand. Vendredi 1er avril, l’électricien RWE a attaqué en justice le moratoire décidé par la chancelière sur la prolongation des centrales nucléaires, qui prévoit de suspendre pendant trois mois les réacteurs les plus anciens, dont celui de Biblis A, exploité par le groupe. De nombreux juristes, dont l’ancien président de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, estiment que le moratoire ne repose sur aucune base juridique. Les autres exploitants nucléaires (E.On, EnBW et Vattenfall) n’ont pour l’instant pas déposé plainte.

[Source : Le Monde]