[ [ [ Le Parti socialiste acte son virage idéologique sur la question de la (...) - Yannis Lehuédé

Ainsi, pour répondre au fameux discours de Grenoble, vomi par Sarkozy au cœur de l’été, le Pari socialiste s’est empressé de définir sa propre doctrine en matière de sécurité. On aurait pu s’attendre à ce que le scandale soulevé par l’outrance présidentielle suscite en réponse une réflexion diamétralement opposée. Que nenni ! En somme, tout se passe comme si ces dames et ces messieurs du Parti socialiste avaient été convaincus par le discours de guerre civile proclamé par le chef de l’État. Au fond, le Parti socialiste reprend à son compte toutes les conceptions ultra-sécuritaires du sarkozysme, pour ne revendiquer que d’en être éventuellement un meilleur exécuteur. Et c’est comme ça qu’ils veulent gagner les élections ?

Rappelons que, contrairement à l’analyse proposée ci-dessous par Le Monde, la gauche perd toujours quand elle trahit ses valeurs. Et ceci pour une raison bien simple, et pas du tout métaphysique : lorsque l’électeur de gauche a le sentiment que ses idéaux ne sont pas défendus, il s’abstient. Sans aller chercher loin, si Ségolène Royal a perdu contre Sarkozy, c’est bien parce que l’électorat de gauche a eu le sentiment de voir un peu trop de discours cocardiers – or, son chant de ralliement, c’est l’Internationale, pas la Marseillaise –, et bien trop de discours sécuritaires – en particulier contre les mineurs – qui ne la distinguait en rien de son adversaire de droite dont c’était le cheval de bataille.

L’analyse inversée que propose Le Monde ci-dessous est bien à l’image de ce grand égarement de la gauche. Lionel Jospin prétendait avoir perdu à cause de "la sécurité" ? C’est qu’il ne brillait pas plus par la qualité de son analyse politique après avoir perdu qu’avant d’aller à la défaite. Il ne se souvenait peut-être pas de l’énorme protestation qu’avait suscité la politique mise en œuvre par son ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, vis-à-vis des sans-papiers ? On attendait alors que soit tenue la promesse de régularisation des sans-papiers pour laquelle il avait été élu. Ne serait-ce que pour le symbole, il aurait fallu assumer une régularisation générale, au lieu de maintenir une politique indigne qui fait qu’aujourd’hui il n’est pas rare de trouver des étrangers résidant en France qui attendent leur régularisation depuis ce temps-là.

La gauche pense-t-elle sérieusement pouvoir gagner les élections en se fondant simplement sur la répulsion de la droite ? Encore faudrait-il qu’elle ne soit pas repoussante elle-même.

C’est le talon d’Achille du PS, peut-être une des causes des deux défaites électorales aux élections présidentielles de 2002 et de 2007. En 2002, Lionel Jospin, premier ministre de cohabitation de Jacques Chirac, avait avoué : “Sur la sécurité, j’ai péché par naïveté.” En 2007, le candidat Nicolas Sarkozy avait fait de la sécurité son arme de campagne. Malgré son “ordre juste” et “l’encadrement militaire” des jeunes délinquants, Ségolène Royal n’avait pas réussi à contrer le procès fait à la gauche “d’angélisme” et de “laxisme”.

Mercredi 17 novembre, à l’occasion d’un forum sur la sécurité organisé à Créteil (Val-de-Marne), les socialistes devaient acter leur virage idéologique sur la question de la sécurité en proposant un “pacte national de protection et de sécurité publique”. Le PS a tiré la leçon de ses échecs, grâce notamment à la pression de ses élus locaux, obligés dans leur ville à une gestion rigoureuse de ces questions. L’objectif est affiché : les socialistes veulent inventer “une nouvelle politique de sécurité”.

Les travaux ont été confiés au sénateur et maire de Dijon, François Rebsamen, partisan depuis longtemps d’un discours décomplexé sur le sujet, et à Jean-Jacques Urvoas, député du Finistère et secrétaire national à la sécurité. Les socialistes veulent inverser le rapport de force avec la droite au moment où le bilan du chef de l’État en matière de lutte contre la délinquance est contesté. “La sécurité est un droit fondamental au même titre que l’éducation et la santé. (…) Nous refusons la société de la violence et des zones de non-droit”, affirme en préambule le texte avant de pourfendre la politique de Nicolas Sarkozy, une politique “d’opérations spectacles”, “de discours vengeurs médiatisés à l’outrance”, “relevant d’une gesticulation visant à donner l’illusion de l’action”. A cette politique d’”affichage et de l’agitation” le PS veut opposer “l’efficacité”. Le parti affirme vouloir s’attaquer “aux racines de l’inégalité”.

Mais les socialistes sont prudents. “Des réponses existent. Aucune n’est miraculeuse”, prévient le texte. “Le mal est profond et il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que la mesure magique n’existe pas”, estime Martine Aubry. Le PS, qui n’avait pas planché sur ce sujet depuis près de dix ans – le dernier texte remontait à mars 2001 -, propose une politique “globale”, fondée sur quatre piliers : prévention, dissuasion, sanction, réparation. Il comporte 22 propositions.

Pour les socialistes, la sécurité publique passe par l’accroissement de “la présence des gendarmes et des policiers dans la rue”. Cela suppose de revenir “sur les milliers de suppressions d’emplois”, tout en favorisant une meilleure intervention de l’Etat dans “les endroits les plus dégradés”, comme le relève Jean-Jacques Urvoas. “L’État n’est pas tenu partout de la même manière”, explique l’élu.

Aussi le projet évoque des “zones prioritaires” à l’intérieur desquelles un magistrat du parquet sera “spécialisé et désigné comme référent”. Sans revenir à la police de proximité, créée par Jean-Pierre Chevènement en 1999, – “l’argent public se raréfie, on n’aura pas les moyens de financer 20 000 adjoints de sécurité comme cela avait été le cas”, note Jean-Jacques Urvoas – les socialistes veulent déployer “une police des quartiers” qui aura “pour mission de témoigner de l’engagement durable de l’État”. Le projet socialiste prévoit de porter “l’effectif total des gendarmes à 100 000 et celui du corps d’encadrement et d’application de la police nationale (gardiens de la paix) à 105 000″.

En matière de répression, le document souligne la nécessité d’ouvrir un “éventail de réponses pour une sanction proportionnée de chaque acte”. L’un des premiers objectifs est de ”répondre à chaque acte par une sanction rapide et juste”. En ce qui concerne les jeunes et les auteurs d’infractions mineures, le PS préconise de développer “des travaux d’intérêts éducatifs” dans les établissements scolaires et des “travaux d’intérêt général” pris en charge dans des “lieux de réparation”.

Au plan législatif, le texte indique que “la gauche n’est prisonnière d’aucun dogmatisme et saura opérer le tri nécessaire pour garder ce qui fonctionne”. “Mais ce qui doit être changé ou abrogé le sera”, est-il précisé. Afin de clarifier “les rôles des forces de sécurité qui interviennent sur le territoire”, les socialistes élaboreront une loi d’orientation qui fixera “la répartition des compétences entre l’État et les entreprises de sécurité privée”.

Le PS souhaite que les maires puissent “coordonner la politique territoriale publique de prévention”. Les missions des polices municipales devront être “recentrées sur leurs fonctions de tranquillité publique”. Le PS ambitionne de passer “de la politique du chiffre à la culture du résultat”.

Yves Bordenave et Sophie Landrin Article paru dans l’édition du 18.11.10

[Source : Le Monde]

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