[ [ [ Le retour au foyer prison - Yannis Lehuédé

Les résidents des foyers travailleurs migrants de l’Adoma (ex-Sonacotra) reçoivent leur nouveau règlement intérieur sur lequel on peut lire « Tout résidant devra... ».

Les résidents des foyers de travailleurs migrants de l’Adoma, ex-Sonacotra, société d’économie mixte, gestionnaire et propriétaire d’une centaine de foyers de travailleurs migrants, reçoivent depuis quelques mois une lettre exigeant qu’ils signent un nouveau règlement intérieur (RI), accompagné d’un fort chantage tel que: « Si vous ne signez pas, vous ne pourrez pas renouveler votre carte de séjour... ».

Actuellement les résidents de ces logements ont un statut proche de celui des résidents d’hôtels, ils n’ont pas le statut de locataires, sont le plus souvent des travailleurs immigrés, logent dans des chambrettes ou studettes minuscules, et payent une redevance très élevée.

Dès les premières phrases, le ton est donné.

Article 2 du RI : « Ne pas modifier ou changer les serrures des portes… Toute transformation des serrures existantes ou adjonctions d’autres systèmes de fermeture sont formellement prohibées. » « Ne pas introduire d’animal... » « Ne pas ajouter de chauffage individuel. »

Article 8 du RI : « Le résidant peut, sous sa responsabilité, recevoir des visiteurs. Ceux-ci… n’ont pas accès aux salles d’eau… Les visites ne sont autorisées que de 8 h à 21 h. »

Article 10 du RI : « Le résidant est tenu d’occuper personnellement le logement mis à sa disposition et de n’en consentir l’occupation à aucune tierce personne, à quelque titre que ce soit, partiellement ou en totalité, à titre onéreux ou à titre gratuit. À défaut d’occupation personnelle et faute pour le résidant d’avoir répondu sous huit jours à toute mise en demeure de se présenter au bureau en vue d’établir qu’il occupe personnellement le logement, celui-ci sera repris et vidé des effets qu’il contient… »

Et cela n’en fini plus…

Une logique anti-démocratique et répressive : maintenir les travailleurs des foyers dans le non-droit et le contrôle social le plus réactionnaire.

Avec ces nouveaux règlements intérieurs, il s’agit de condamner les résidents à être des assistés et de continuer à les discriminer et à les marginaliser. Et pour cela, il ne manque pas de procédures liberticides pour les y obliger.

En interdisant aux résidents toute vie privée : ils n’ont pas le droit de recevoir, ni d’héberger, pas le droit de vivre avec quelqu’un, pas le droit de poser leur serrure et d’empêcher que le personnel Adoma vienne "visiter" leur chambre derrière leur dos, pas le droit d’avoir un animal, pas le droit d’organiser leur chambre comme ils l’entendent, etc… En contrôlant tous les moments de la vie des résidents et tous leurs gestes ; les résidents doivent déclarer au préalable l’identité de leur "invité" et présenter sa pièce d’identité (ce qui est un abus de pouvoir), ils doivent répondre sous HUIT jours ou sous 48h aux mises en demeure.

En pratiquant l’arbitraire, d’imposer toujours ses décisions sans concertation ; un Conseil de concertation a été institué par les lois SRU et ENL. Adoma reprend le texte dans son règlement intérieur, pourtant aucun conseil de concertation n’a été réuni avant l’élaboration de ce règlement intérieur.

En intimidant les résidents et en se présentant comme loi et juge ; Adoma limite d’elle-même le droit d’hébergement à une durée maximum de trois mois alors que le décret d’application de la loi de novembre 2007 mentionne une période de deux fois trois mois soit six mois.

En cas d’absence prolongée, le résident devra payer à l’avance ses redevances. On imagine tout de suite le retraité qui touche le minimum vieillesse payer d’avance plusieurs mois de loyer en une seule fois, on imagine le travailleur africain qui préférera payer à l’avance ses redevances et partir les mains vides au pays…

Encore plus inacceptable, la prétention qu’en cas de non paiement à l’avance, les représentants d’Adoma pourraient alors rentrer dans la chambre et en enlever les affaires du résident, réalisant par là une expulsion de fait sans décision judiciaire. Toujours en cas d’absence prolongée, il est interdit au résident de prêter sa chambre ou de négocier la présence d’un remplaçant. Pourtant, tout locataire peut prêter son logement dès lors qu’il reste seul responsable du paiement et bénéficiaire du droit sur celui-ci.

Le contrat et le règlement intérieurs révèlent l’absence de tout souci du bien-être des résidents ; ils révèlent au contraire le mépris des travailleurs pauvres et de leurs pratiques communautaires et solidaires. Adoma ne peut faire respecter son règlement intérieur sans empiéter dangereusement sur les libertés individuelles, l’arbitraire ne peut qu’être la règle.

Le double discours est permanent, on interdit de poser sa serrure, mais on déclare le résident entièrement responsable de sa chambre et de ses biens. On oblige le résident à déclarer son "invité", à "déclarer toute anomalie", à "déclarer ses absences", bref à être sans arrêt chez le gérant, alors que le bureau dudit gérant est vide du vendredi au lundi et le soir quand les résidents reviennent du travail. Les mots utilisés, "personne hébergée" et non pas "personne logée", "manquement grave", "mise en demeure", "formellement prohibé" pour des choses qui relèvent de la vie privée et de la liberté personnelle, les arguments mis en avant, "l’hygiène, la tranquillité et la sécurité des résidents" cachent mal la volonté d’encaserner les résidents, de les contrôler, de casser leurs solidarités, d’expulser qui bon lui semble, bref de les insécuriser. Et ce ne sont pas les pratiques d’une partie du personnel Adoma (jouer au "petit chef", menacer, pénétrer dans les chambres sans autorisation, laisser le passe à un homme d’entretien sans témoin…) qui vont nous rassurer sur l’application de ce règlement d’un autre âge.

Le retour en force des foyers-prisons

Alors que les années 70 ont connu une très grande grève des résidents « contre ces règlements intérieurs de caserne, pour le statut de locataire et pour l’égalité des droits entre français et immigrés », alors que les quelques petites avancées de la loi SRU de 2000 (le foyer devient une résidence principale, les résidents ne sont plus hébergés mais logés, un conseil de concertation est institué pour organiser un cadre formel et réglementé de concertation entre gestionnaire et représentants des résidents), pouvaient laisser penser que les pouvoirs publics avaient choisi de rapprocher (très légèrement cela dit) le statut du résident de celui du locataire.

Adoma semble vouloir garder son image de foyer prison ou l’encasernement de travailleurs adultes, à surveiller et à contrôler de très près tous les faits et gestes des résidents et réprime ainsi toute avancée vers le droit commun.

Copaf (Collectif pour l’avenir des foyers)

Le Copaf a été fondé en 1996 et a constitué un réseau de soutien et d’appui aux comités de résidents et à leurs coordinations. Avec eux, il a élaboré un certains nombre de revendications sur la réhabilitation des foyers de travailleurs migrants, le droit des résidents...

par Adeline Gonin membre du Copaf

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