Ci-dessous un article en anglais, trouvé par un correspondant, qui date du 8 octobre, soit dans la foulée de ce qu’on a appelé la "révolution d’octobre", lorsque des milliers d’islandais sont à nouveau descendus dans la rue pour protester contre le gouvernement de gauche élu à la suite des premiers soulèvements qui avait d’abord renversé le gouvernement de centre-droit au pouvoir dans ce petit pays depuis toujours.
L’alliance du parti social-démocrate et des verts qui est alors arrivée au pouvoir aura rapidement déçu. En dépit de la revendication très claire du peuple de refus de payer la dette de ses banques, le "réalisme" économique semble s’être naturellement imposé à ce gouvernement de gauche, ne changeant fondamentalement rien. Comme aux États-Unis, les gens se voient expulsés de leurs maisons s’ils ne parviennent à payer leurs traites.
À noter que c’est le premier article qu’on aura fini par trouver sur ces manifestations historiques qui ont réuni, le 1er octobre, 7 à 8000 personnes – près de 3% de la population du pays. C’est là qu’on a pu voir, sur youtube, les autorités civiles (on suppose le gouvernement) conspuées par la foule et partir sous les tomates.
D’autres manifestations ont suivi, et le tout est donc qualifié de "révolution d’octobre" sur Youtube. Mais en dépit de l’appel à plus d’informations lancé ici fin décembre, voici le premier article faisant état de ce récent épisode révolutionnaire, il est en anglais donc, et daté du 8 octobre. Il tempère largement l’impression d’un mouvement vertueux qu’on a pu entrevoir dans le brouillard de la non-information. On y voit un gouvernement de gauche aussi décevant… qu’un gouvernement de gauche. Air connu.
On n’en reste pas moins sur sa faim. Le 8 octobre donc, ce gouvernement de gauche était sous le feu d’une pression populaire sans précédent dans ce pays qui en a pourtant vu d’autres depuis deux ans. Que s’est-il passé ensuite ?
En novembre était élue une assemblée constituante. Soit. Mais encore ?
« D’où vient que vous nous passez des images d’Épinal retraçant l’histoire indifférente de vos rois et, en plus pâle encore, les tribulations de votre Sorbonne de malheur ? Assez d’histoire élémentaire, que nous cachez-vous ? » s’indignait André Breton en 1949.
C’est simplement ridicule et honteux qu’on en soit là, à ne toujours pas en savoir plus. Et les insultes de Rue89 dénonçant les "fantasmes" qui animent notre curiosité sont particulièrement indignes dans un contexte où la presse, soit l’ensemble des gens que nous payons pour être informés, persiste à détourner ses regards, et ne fait mine de dire deux mots que pour inciter le public à se détourner à son tour du sujet.
Et nous voilà réduits à publier en anglais cet article qui confirme qu’on n’a pas eu la berlue : il s’est bien produit un genre de révolution, en octobre 2010 à Reykjavik.
Hasardons maintenant une explication simple : ne serait-ce parce que la révolution islandaise a atteint à ce moment-là un degré de contradiction insoutenable pour la gauche en France comme ailleurs, elle-même engagée dans la voie d’un "réalisme" aussi inepte que celui de la gauche islandaise ?
Car ces manifestations d’octobre ont bien mit le doigt sur ce point névralgique des problématiques de toutes les oppositions dans des États dits démocratiques.
Si on finit par mettre des guillemets à "démocratie", c’est bien parce que l’alternance qu’elle permet s’avère systématique plus que décevante, le meilleur exemple récent qu’on en ait étant celui de Barak Obama, porté à la Maison blanche par un véritable mouvement citoyen sans précédent dans l’histoire politique américaine.
L’élu du peuple aura tant déçu qu’aujourd’hui on peut craindre le pire revirement réactionnaire aux États-Unis, la droite républicaine s’étant emparée de la méthode de mobilisation citoyenne, avec le mouvement des "tea-parties", et que celui-ci pourrait bien balayer les vestiges d’une société libre, au bénéfice du courant néo-fasciste international porté en Europe par Berlusconi et Sarkozy.
Quand la gauche trahit, elle ne fait pas que tromper ses électeurs, elle enlève son sens à la démocratie.
C’est la signification de la "révolution d’octobre" islandaise. Les suites d’une telle affirmation ne peuvent qu’être incertaines : comment un tel dépassement de la contradiction éternelle des "démocraties bourgeoises" peut-il se concrétiser en un nouvel ordre politique ?
Le processus constitutionnel sera-t-il suffisant ?
Un correspondant qui semble avoir réfléchi à la question des mécanismes constitutionnels, ne cache pas son scepticisme. Ci-dessous, son mail :
"NE RÊVEZ PAS…SVP
520 candidats pour 25 postes
Cela fait en gros comme pour les législatives chez nous. # 20 CANDIDATS par poste.
Je suis prêt à parier que les partis traditionnels auront eu un maximum d’élus [on est là réduit à "parier"…] et que donc on n’aura pas une Constitution démocratique.
Il aurait fallu tirer au sort la Constituante pour avoir une juste représentation citoyenne.
PAR UN DOUBLE TIRAGE :
Par exemple en Islande on en tire 500 puis on explique leur mission et moyens fournis et on demande ceux qui veulent être dans les 25 de le dire
Mettons qu’il y en ait 300 QUI ACCEPTENT on en tire alors 25 plus 5 suppléants.
On verra si la Constitution est démocratique s’il y a une procédure réaliste de référendum d’initiative citoyenne et le vote préférentiel."
On aura oublié de lui demander ce qu’est le vote préférentiel. Une rapide enquête du côté de Wikipedia permet de conclure que la question du mode de scrutin ou de la remise de tous les pouvoirs entre les mains de l’électeur n’est pas forcément l’alpha et l’omega d’une "démocratie". Comme on voit, tous les dispositifs existent de par le monde, et s’il est probable que certains soient meilleurs que d’autres, on voit bien que de tels mécanismes ne suffisent, à eux seuls, pour qu’un système politique soit vertueux. Loin de là même, si l’on regarde la Suisse, avec ses institutions quasiment exemplaires, ou l’Italie, avec son référendum d’initiative populaire qui n’aura certes pas suffit à ce que les choses s’arrangent pour le mieux...
Que manque-t-il donc pour que la gauche et que l’alternance soit alternance ?
Probablement de la pensée. On imagine comme si on y était ce gouvernement islandais de gentils sociaux-démocrates et Verts, tout contents d’avoir pris le pouvoir auquel ils aspiraient depuis toujours, faire face aux réalités. Mais que pouvaient-ils alors qu’ils n’ont ni un véritable programme – pas plus en Islande qu’en France –, ni l’ombre d’une réflexion sérieuse sur ce qu’il y aurait à faire ?
Ils n’ont fait que reproduire le discours d’État, rodé depuis mille ans, avec les innombrables arguments imparables de ce qu’on a fini par appeler la "pensée unique". À la source du désespoir contemporain, cette formule qui aura servi de slogan électoral à Margaret Thatcher, dans les années 80 : There Is No Alternative.
TINA, a-t-on dit alors. Ce à quoi on est tenté de répondre : peut-être, but TINAS, "That Is Not A Solution".
L’absence d’alternative qui nous est proposée n’est certainement pas le chemin d’une solution...
Et c’est, manifestement, avant tout, ce déficit de pensée, qu’il faut attaquer, à la pelle et à la pioche, ainsi que le peuple islandais semble le tenter. Et, pour penser, ce qu’il faut, d’abord et avant tout, c’est être informés. Ce à quoi on tente modestement de travailler ici.
À propos : un dernier mot. Nous préparons un voyage, pour début mars, en Islande donc, où il serait question qu’on recueille autant d’interviews que possible, dans l’espoir y compris d’en savoir plus sur les constituants eux-mêmes : qui sont-ils, que font-ils, de quoi leur réflexion est-elle faite ? De même, nous devrions rechercher dans la société islandaise ceux qui participent à ce mouvement – et tenter de comprendre leur point de vue, et de percevoir sa dynamique.
On nous dit que le billet aller-retour pour Reykjavik coûterait dans les 500 euros, et il n’est pas certain que l’hébergement sera toujours gratuit. Or, on espère se mobiliser à quelques uns, avec caméras, micros et intervieweurs, mais la plupart d’entre nous (sinon tous) sont fort désargentés. Si vous pouvez, et souhaitez, contribuer à cette mission d’enquête, vous pouvez envoyer des chèques à Télé-Liberté (38, rue Keller, 75011, Paris), l’association de vidéastes militants à laquelle Paris s’éveille est associé. Un compte paypal devrait s’ouvrir incessamment, pour faire des dons en ligne sur le site de Paris s’éveille. Toute contribution est bienvenue. (Et il est même probable que ce voyage ne sera réellement possible que dans la mesure où ses frais seront, au moins en partie, couverts par cette collecte.)
Paris s’éveille
images de la "révolution d’octobre"
By Jordan Shilton
8 October 2010
Large protests have been held in Reykjavík over the past week, as anger over Iceland’s ongoing economic problems mount. The demonstrations are developing in opposition to the Social Democrat-Left Green government of Johanna Sigurdardóttir, which is failing to provide support for working people hit hard by the crisis.
On Monday, between 7,000-8,000 people gathered at parliament square—over two percent of the population. The protest was held to coincide with Sigurdardóttir’s opening speech of the new parliament, which returned to session last Friday. Previous days had seen smaller demonstrations, although crowds of 3,000 on Friday and 2,000 on Saturday still represent a considerable turnout for Iceland, whose population stands at just over 300,000.
The immediate trigger for the demonstrations has been a sharp rise in the number of repossessions of houses across the country. Over 1,000 forced auctions of property have taken place so far this year, with rates increasing over the summer months. In one region alone, in the southwest of the island, over 200 forced auctions have taken place since the beginning of the year.
The Social Democrat-Left Green government has done nothing to support working people facing the loss of their homes. Having accepted fully the demands of the International Monetary Fund (IMF) for economic reform in return for a $2.1 billion loan, it has ruled out writing down household debt. In a letter, days before the latest outbreak of protests, the IMF was assured by the government that it would not raise the expectations of the population with regard to state support for their debt problems.
The IMF remains concerned about the stability of Iceland, with a recent report noting that it was one of the developed countries with the least room for manoeuvre in the event of an economic shock. Assessing the ability of the state to assume responsibility for more debt, the study placed Iceland alongside Ireland, Greece, Portugal and Japan as the countries at greatest risk.
With the established parties all supporting the calls for deep spending cuts, opposition to the government and parliament as a whole is rising. The organisers of Monday’s demonstration released a video on the internet which declared, “The banks are writing off debts for tycoons and ex-politicians but hang the families of thousands of Icelanders out to dry.”
On a Facebook page used to organise the protests, the organisers added, “Let’s not forget that the institution that ruined the financial system two years ago with its incompetence and corruption also ruined democracy with the voting on the high court last Tuesday.”
This was in reference to the decision taken by parliament last week to prosecute former Prime Minister Geir Haarde for his role in the financial collapse of 2008. In doing so, MPs voted to allow three other leading ministers to escape any charges, a move heavily influenced by the fact that two were Social Democrats, the party which currently leads the government. Protesters see that the prosecution of Haarde will be little more than a token gesture, allowing one individual to be scapegoated for a crisis in which the ruling elite as a whole is implicated.
The vote was in connection with the so-called “Black report” which appeared earlier this year and documented the causes of the 2008 financial collapse. It uncovered a combination of negligence, fraud and outright criminality within the banks and the political elite. The report’s findings resulted in the arrests of several leading bankers who could face prison terms for their role in the crisis. Haarde will be the first politician to be charged.
While the Left-Greens sought to give limited support to the protests in the immediate aftermath of the banking collapse, they now sit in government with the Social Democrats and have loyally implemented the IMF-backed austerity measures. The only members of parliament who joined protesters on Monday were those from The Movement, which emerged as a so-called “grassroots” party to run in the 2009 elections. At that time, it made European Union membership a central plank of its campaign, a move which would do nothing to halt the austerity measures Icelanders are being forced to suffer.
The new budget being discussed in parliament will see such measures intensified, with cuts of 33 billion krónur (€213 million) planned for next year. The budget contains plans to cut financial support to hospitals and other health care centres by 40 percent. Commenting on the national impact of this move, chairwoman of the medical association of Iceland Birna Jónsdóttir stated, “So much has been cut in the past years that nothing is left; this is the big blow.”
Some local areas will face particular hardship. In the Westman islands, cuts will see the elimination of maternity facilities, while in Thingeyjar in the northeast of Iceland the existence of the local health service is at stake. A public meeting has been called by angry residents seeking to oppose the cuts. As Aldarsteinn Baldursson of the labour association Fransýn commented, “It is about life and death; you can put it that way.”
Another area targeted is the benefits system, including child benefit payments. Although the upper limit of child benefit has already been reduced by nearly half in recent months, plans in the budget point to a further reduction of 932 million krónur (€6 million). Proposed measures to force through this cut include the shortening of parental leave, and another reduction in the upper limit for monthly payments.
This will only exacerbate public hostility to the government, as many families will find it impossible to cope with the loss of income and vital public services. Unemployment is still running at nearly 8 percent and would be higher were it not for the fact that thousands of Icelanders made the decision to emigrate after the crisis hit.
With ruling circles well aware that ongoing social instability is inevitable, discussions are taking place on how austerity measures can best be imposed. Finance Minister and Left Green leader Steingrimur Sigfússon urged politicians to “work together” to meet the difficulties Iceland faces.
Such comments point to the possibility that some form of national unity government is being considered. On Tuesday, Sigurdardóttir denied that such a solution was on the agenda, but nevertheless held meetings with opposition parties ostensibly on how best to tackle the housing crisis. She told daily Fréttabladid, “I was disappointed in hearing the representatives of the opposition calling this meeting a show-off that does not indicate a will to cooperate. I am being serious and I called for cooperation in sincerity.”