[ [ [ Sème ta ZAD, partout ! - Yannis Lehuédé

Samedi 11 mai, la chaîne humaine organisée par l’ACIPA a fait le tour de la ZAD de Notre Dame des Landes, c’est une réussite qui montre que la mobilisation contre ce projet inutile et coûteux - et son monde - ne faiblit pas. Autour du symbole de ces dizaines de milliers de personnes se tenant la main, la convergence des luttes écologiques est en marche ici.

Le symbolique projet d’aéroport nantais ayant été reporté, la répression du phénomène zadiste s’est calmée en France, faisant retomber - pour un temps - la contagieuse effervescence médiatique.
La ZAD de Notre Dame des Landes a ainsi retrouvé sa relative sérénité et ses occupants se concentrent sur leur quotidien, pour enraciner leur fragile laboratoire.

Le thème "sème ta ZAD" devient ainsi un phénomène majeur chez les milieux militants. Le combat contre ce type de projet est désormais une référence (revendiquée ou non) contre nombre de projets industriels, opérations immobilières et commerciales privées qui s’attaquent aux terres cultivables ou aux ressources naturelles vitales. Cela va du Morvan (bois de Tronçay), la "Limozad" (Limoges), Rouen, Cluny, Avignon, Toulouse, la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin mais aussi sur des projets en Allemagne, au Mexique, au Brésil et surtout le peuple turc qui mène en masse une véritable révolution, partie de cet enjeu (voir les articles et les liens plus bas).

Les activistes se tendent la main pour s’entraider dans la remise en culture, communiquer l’urgence des enjeux écologiques, décrire la brutalité des États qui - partout - favorisent les multinationales privées surpuissantes contre les "petits" enjeux environnementaux et humains.
Car partout, plus de terres nourricières sont artificialisées, quadrillées, morcelées. Si en France, une surface cultivable équivalente à un département moyen disparaît tous les sept ans, l’échéance à laquelle la France ne pourra plus nourrir sa population - une activité pourtant "stratégique" à toutes les échelles - approche dangereusement.

Dans ce climat de crise écologique et alimentaire qui se dessine, nos gestionnaires commencent tout juste à faire l’économie du mot "croissance".
Pressentent-ils que ce terme - dogme du capitalisme - convainc moins d’adeptes ? Cette notion comptable, sur une planète aux ressources épuisables, est une impasse.
Mais ils semblent tout miser sur l’industrie agro-alimentaire et celle des OGM, discrètement favorisés ces dernières semaines dans une bataille diplomatique - tout aussi discrète.

Les poignées de résistants aux projets imposés semblent déterminés à faire partager leurs luttes, comme toute la ville d’Istanbul cette semaine.

Les États ne semblent pas se soucier de ces préoccupations et méprisent ouvertement leurs peuples à l’image du premier ministre turc jetant aux contestataires : "Faites ce que vous voulez, nous avons décidé" accompagné de nuages lacrymogène et de brutalité aveugle.
On planifie toujours des rocades, des barrages pharaoniques, des hypermarchés... qui traversant et quadrillent les derniers espaces naturels et publics.

Par exemple, ce projet de liaison routière Est-Ouest autour d’Avignon pour désengorger la ville du passage des camions (voir la carte plus bas). La nouvelle autoroute est sensée longer le tracé de la ligne ferroviaire à grande vitesse qui- comme toutes ces LGV - n’a pas été conçue pour le transport de marchandises. Serait-il pensable que nos brillants énarques et ingénieurs envisagent seulement d’utiliser les fleuves et canaux pour les marchandises de ces camions, par exemple ?

Ceux qui pensent poursuivre la concentration les activités industrielles au détriment du bon sens - et de l’emploi - ne récolteront que les fruits pourris de leur incompétence.
Les autres tentent de fédérer leurs initiatives locales et espèrent voir les prémisses d’une prise de conscience plus générale.

Paris s’éveille

Reclaim the Fields, sans terre et sans label

Parmi les nombreux collectifs, associations et individus venus constituer le groupe LEOpart et ayant lancé le squat agricole qui s’organise petit à petit dans la "ceinture verte" d’Avignon se trouve le réseau Reclaim the Fields. Après avoir participé, entre autres, à la ferme du Sabot à Notre-Dame-des-Landes, à un camp de soutien à la lutte de paysans contre une mine d’or en Roumanie, ou à des squats de terres et à des jardins collectifs à Dijon, le réseau s’est tout naturellement retrouvé impliqué dans la lutte autour de la liaison Est-Ouest (LEO) à Avignon.
Sur un coin de table, en compagnie d’autres membres du réseau, Nicolas tente de résumer la philosophie d’un mouvement qui se veut plus une "constellation" qu’une association hiérarchisée et monolithique. Comme dans bien des groupes qui se retrouvent dans ce type d’actions, les frontières du réseau ne sont pas nettes et les liens se font par porosité d’un groupe à l’autre.

Venir ici, "ça pose quelque chose de concret et ça peut modifier l’attachement à la terre", explique Nicolas. Lui-même formé en agronomie, il a appris les aspects les plus concrets du maraîchage "dans des luttes comme celle-ci". Les membres de Reclaim the Fields, comme ceux du collectif LEOpart, aimeraient que des gens reviennent cultiver les terres mises en friches sur le tracé de la LEO.

"La terre, c’est le nerf de la guerre", affirment ces jeunes agriculteurs, inspirés par les paysans sans terre sud-américains. Dans tous les combats ou projets que mène le réseau, l’idée de la réappropriation de cette ressource est essentielle. "Parce que ça touche à l’autonomie, expliquent-ils. D’abord, il s’agit de pouvoir se nourrir. Et puis d’acquérir des savoir-faire sans passer par le parcours institutionnel."

La remise en cause, ou du moins le court-circuitage des institutions traditionnelles du milieu agricole, est aussi une constante. Ils les jugent trop hiérarchisées et patriarcales. Chez eux, les femmes tiennent d’ailleurs une bonne place, et les réflexions sur les questions de genre sont aussi à propos que celles sur les techniques maraîchères.

Aussi attachés soient-ils à l’idée de construire une nouvelle "économie collective", les membres de Reclaim the Fields préviennent : "On ne balaie pas tout ce qui se fait par ailleurs." Dans toutes leurs luttes, ils disent tenter de discuter avec les agriculteurs plus conventionnels. "Les pratiques de solidarité paysanne, d’échange, de respect de la nature, on ne les a pas inventées, elles existent ailleurs", dit une jeune femme. "On ne veut pas rester dans un entre-soi stérile", jurent-ils. Leur idée, c’est plutôt d’amener des discussions, de nouvelles manières de voir. Ne pas imposer de label, donc.

[Source : Le Monde]

LA "LIMOZAD" EXPULSEE PAR HUISSIER ET POLICE A LIMOGES

Témoignage d’une personne présente sur place :

"Ce matin vers 6 heures, l’huissier est passé - les bleus étaient dans un premier temps en retrait rue de la cathédrale, mais sont venus s’interposer très vite quand, je suppose, l’huissier a senti que des personnes ne partiraient pas aussi vite que prévu.

Bref une bonne vingtaine de flics étaient sur place - il y a eu un dernier feu de joie (pas apprécié du côté des représentants de l’ordre), les pompiers sont venus l’éteindre. Puis les limozadistes présents sont restés un bon moment devant les flics jusqu’à 7h30.

Après pour ma part je suis partie. Ensuite, j’ai appelé un copain qui m’a dit qu’ils prenaient un petit déjeuner dans le jardin de l’Evéché.

Ensuite vers 9h30, 5 copains sont revenus et ont été arrêtés et sont au commissariat de Victor-Thuillat. Les détails seront précisés demain."

L’avocate a été contactée.

A 11 heures, un des "tenant lieu" de l’hôtel de police de la rue Victor Thuillat, contacté par téléphone indiquait qu’il avait ordre de ne rien dire sauf aux parents des gardés à vue.

L’un des prisonniers a réussi à contacter un avocat, nous croisons les doigts pour que personne n’accepte de comparution immédiate (difficile dans le contexte des jours fériens de ce début mai)... Il serait bien d’alimenter les blogs, sites et réseaux de NDDL et autres sur ces 24 jours de libération d’une friche urbaine à Limoges par l’opération "Sème ta ZAD", afin que nul n’ignore que la loi ne s’applique que contre les militants et pas contre les grosses légumes comme le président du Conseil régional, M. Jean-Paul Denanot, auquel des consignes ont été laissées par les Limozadistes."

19h "pour l’instant, nos Camille du Limousin sont en garde à vue pour violences aggravées, rébellion et autres motifs... Il.le.s seront présentés au parquet demain ! Ils vont les charger juridiquement très certainement ! " A suivre. Nous vous donnerons des nouvelles dès que nous en aurons.

17h : dernières nouvelles des copinEs sur place :

"On prépare un petit texte et un petit récapitulatif de nos actions.

En attendant voici un reportage de France 3 : Pas très intéressant dans le message mais cela au moins le mérite de montrer les violences policières (2 Camille Blessés et 4 Camille en garde à vue !).

On lâchera rien, on reviendra ! Zad Partout et la flicaille dégage !"

La friche urbaine occupée jour et nuit depuis le 14 avril par ZAD 87, groupe de militants contre l’aéroport de Notre Dame des Landes, l’artificialisation des terres vivrières et les grands projets inutiles (entre autres), et sur lequel avaient été créés un potager, un verger, un point information et un espace des rencontres citoyennes vient d’être d’être mis en chantier pour la création d’un parking réservé à quelques employés privilégiés du Conseil Régional du Limousin.

"La grosse (de l’ordonnance de référé) de M. Didier de Séqueira, président du TGI, a donc été exécutée manu militari et à l’aube (comme il se doit pour les fusillés pour l’exemple). L’huissier, M. Pascal Lavaud, croque mort qui n’a pas la main verte, a requis les officiers de la police nationale pour lui prêter main-forte.

Une pelleteuse a réussi à démarrer et commence à creuser le jardin de l’Acorderie. Des images, de l’interpellation très musclée de cinq Limozadistes désarmants par des poulets qui n’étaient pas en interruption temporaire de "travail", ont été prises par une journaliste de FR3 : des témoignages vont être recueillis auprès de voisins et passants choqués par ces comportements barbares.

Evacuation musclée : les journalistes aussi…

Ce matin, mardi 7 mai 2013 à Limoges, des journalistes de France 3 Limousin, qui faisaient un reportage sur l’expulsion musclée du Comité ZAD 87 (Zone à Défendre), ont été malmenées et empêchées physiquement de travailler par la police. A plusieurs reprises, quatre policiers ont ordonné violemment à la journaliste reporter d’images de ne plus filmer, ont continué de l’intimider en mettant leurs mains devant l’objectif, tout en la bloquant. Les journalistes étaient sur la voie publique, d’où aucune loi ne peut les expulser, et faisaient simplement leur travail.

"Le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain (…) Tout journaliste a le droit de refuser toute pression » : Ces règles, fixées par la loi et par la déontologie des journalistes, ont été bafouées. Une situation d’autant plus intolérable qu’elle est le fait des forces de l’ordre.

Le SNJ apporte tout son soutien à l’équipe de reportage, qui fait ce que le public attend de la télévision publique sur la voie publique : informer, rapporter des faits, en paroles comme en images.

Cette mission ne saurait souffrir aucune pression, aucune intervention, surtout pas musclée.

Le SNJ exige que ces dérives ne se reproduisent plus à l’avenir.

[Source : ZAD 44]

Déclaration officielle des indigènes des fleuves Xingu et Tapajós
(traduction française)
Nous sommes les hommes et les femmes qui vivent au bord des fleuves sur lesquels vous voulez construire des barrages. Nous sommes Munduruku, Juruna, Kayapó, Xipaya, Kuruaya, Asurini, Parakanã, Arara, pêcheurs et riverains. Nous sommes de l’Amazonie et nous voulons qu’elle reste debout. Nous sommes Brésiliens. La rivière est notre supermarché. Nos ancêtres sont plus anciens que Jésus Christ.

Vous êtes en train de pointer des armes sur notre tête. Vous investissez nos territoires avec des soldats et des camions de guerre. Vous faites disparaître le poisson. Vous volez les os de nos ancêtres qui sont enterrés dans nos terres. Vous faites cela car vous avez peur de nous entendre. D’entendre que nous ne voulons pas de barrage. De comprendre pourquoi nous ne voulons pas de barrage. Vous inventez que nous sommes violents et que nous voulons la guerre. Qui tue nos proches ? Combien de blancs sont morts, et combien d’indigènes sont morts ? C’est vous qui nous tuez, de manière rapide ou lente. Nous sommes en train de mourir et chaque barrage tue un peu plus. Et quand nous essayons de parler, vous apportez tanks, hélicoptères, soldats, mitrailleuses et fusils paralysants. Ce que nous voulons est simple : vous devez soutenir une loi qui règlemente la consultation préalable des peuples indigènes. En attendant, vous devez stopper les activités de construction et d’étude, et les opérations policières sur les abords des fleuves Xingu, Tapajós et Teles Pires. Et ensuite vous devez nous consulter. Nous voulons dialoguer, mais vous ne nous laissez pas nous exprimer. C’est pour cela que nous occupons les lieux de vos constructions. Vous devez arrêter tout et simplement nous écouter.

Vitória do Xingu (PA),

2 mai 2013

[Source : ZAD 44]

Les militants de Notre-Dame-des-Landes tentent de disséminer leur mouvement

Rassembler et disséminer : telles sont les deux stratégies des opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes, défendu par le gouvernement. Samedi 11 mai, les militants doivent tenter de fédérer les soutiens en organisant une chaîne humaine autour de la "zone d’aménagement différé" (ZAD), rebaptisée "zone à défendre". Des milliers de personnes – le 17 novembre 2012, 40 000 personnes avaient arpenté le bocage nantais – devaient se donner la main pour encercler les 1 640 hectares du terrain où doit être construit l’aéroport du Grand Ouest.
Mais, alors que le projet de Notre-Dame-des-Landes est de fait gelé pour une durée indéterminée, les "zadistes" ont une autre stratégie : "semer des ZAD" partout, autrement dit occuper les zones où doivent se construire des projets qualifiés d’"inutiles", comme la ligne ferroviaire Lyon-Turin, un projet d’incinérateur dans le Morvan, le stade de football de l’Olympique lyonnais à Décines-Charpieu, la zone commerciale dans le triangle de Gonesse, en région parisienne...

A Mont-Saint-Aignan, au nord de Rouen, la cible est une filiale du groupe Auchan, Immochan, qui a acheté des terres agricoles. Dans cette nouvelle ZAD, pas de cabanes dans les bois ou de barricades dans la boue : à la ferme des Bouillons, le squat est trois étoiles. Cinq, six ou sept jeunes, selon les circonstances, vivent là en permanence. L’enjeu porte sur 4 hectares de terres agricoles. Avec un mot d’ordre facile : "Des champs ! Pas d’Auchan !"

FERME HISTORIQUE

La société Immochan, qui gère "des espaces de commerce et de vie" dans le monde entier, a racheté le terrain en janvier 2012. Cinq ans plus tôt, les terres agricoles de cette grande ferme ont été classées en "zone à urbaniser" par la municipalité. Une aubaine pour le groupe Auchan, qui ne dispose d’aucun hypermarché à Rouen.

En juillet 2012, un permis de démolition de la jolie maison à colombages est délivré. L’alerte est donnée par une conseillère municipale écologiste de Mont-Saint-Aignan, dont le maire actuel est membre du Parti socialiste. Un petit groupe décide, le 6 décembre, d’occuper la dernière ferme historique du plateau.

Depuis, la vie s’est organisée. Soirées culturelles, réunions militantes, sans compter les soins à apporter aux poules, coqs, brebis et agneaux. Quand deux huissiers sont venus délivrer aux occupants, le 17 avril, un commandement de justice de quitter les lieux dans un délai de vingt-quatre heures, la riposte a été immédiate. L’Association de protection de la ferme des Bouillons sait pouvoir compter sur plus de 200 personnes dans une "chaîne d’urgence" mobilisable sur simple coup de fil.

Samedi 20 avril, avec l’aide de la Confédération paysanne, les zadistes normands ont labouré une parcelle et semé des pommes de terre. Le projet agricole existe. "Nous voulons empêcher toute destruction, et que la mairie requalifie les terres en zone naturelle et agricole", explique Sacha Vue, 24 ans, un ingénieur agronome qui a lancé le mouvement.

PROJET COLLECTIF

Olympe Crocq, 25 ans, étudiante en allemand, vit aussi ici, comme Barthélemy Guéret, 27 ans, intermittent du spectacle. Cédric Bineau, 31 ans, étudie quant à lui le maraîchage à Yvetot. Avec son collectif, les Appoyas, il cherche un lieu pour développer un projet collectif – maraîchage, boulangerie, forge et activités pédagogiques.

Tous se disent politisés, mais aucun parti ne trouve grâce à leurs yeux. Sacha dénonce le double langage des élus socialistes : "D’un côté, ils votent de grandes résolutions pour préserver les terrains agricoles et, de l’autre, ils ne préemptent pas les terres qui sont vendues."

Adeptes de la guitare, du jonglage, des "soirées conte" ou des mini-concerts qui se tiennent dans l’un des nombreux bâtiments, ces militants misent d’abord sur les habitants de Mont-Saint-Aignan et de l’agglomération rouennaise.

Le groupe est jeune et cultive l’ouverture. Tous se réfèrent à Notre-Dame-des-Landes, où ils se sont souvent rendus. Olympe y a "découvert le militantisme" : "Il s’est passé quelque chose là-bas", dit la jeune fille. Mais ils ne se reconnaissent pas dans l’aspect guerrier parfois véhiculé dans le bocage nantais. Sacha y a campé durant un mois : "Des zones à défendre, il y en a partout, mais ici on ne voulait pas de barricades ou porter des cagoules", dit-il.

Le 11 mai, ils seront à Notre-Dame-des-Landes. Combien de temps vont-ils rester à la ferme des Bouillons ? "On ne défend pas ce projet pour nous", avance Olympe. "On reste ici jusqu’à ce que l’on gagne ou que l’on se fasse jeter", assène Cédric. C’est cela, l’esprit ZAD.

[Source : Le Monde]

A Istanbul, heurts entre la population et la police autour d’un projet urbain controversé
Istanbul, correspondance. La dernière charge de la police anti-émeute, envoyée pour ratisser le parc au petit matin, a laissé des traces. "Ils ont utilisé une brutalité démesurée, mais il en faudra plus pour nous décourager ", raconte, Baris, 25 ans, barbu et la tignasse en bataille, en se massant le corps endolori.
Vendredi matin 31 mai, après les avoir copieusement enfumés à grands renforts de gaz lacrymogènes, les forces de l’ordre ont délogé manu militari quelque 300 personnes du parc de Gezi, un espace vert situé au-dessus de la place Taksim, en plein cœur d’Istanbul et menacé par un projet de construction de la mairie.

"Un de nos amis s’était accroché à un arbre, ils l’ont roué de coups, il doit être opéré des testicules", raconte Marti Büyüközden, une porte-parole de Solidarité Taksim, quelques heures après l’intervention musclée. Mais les militants sont revenus, ils ont replanté leurs tentes entre les arbres et ressorti les instruments de musique qui n’avaient pas été brûlés par la police.

Depuis le début de l’occupation du parc, mardi, plusieurs milliers de personnes sont venus témoigner leur soutien : des associations culturelles, des syndicats, des groupes d’artistes, d’étudiants, des défenseurs de la nature, des anticapitalistes, quelques punks avec leurs chiens... Et, au-delà, tous les riverains stambouliotes ulcérés par la marchandisation du centre-ville et le remodelage urbain mené par la municipalité à coups de bulldozers.

A l’orée d’une troisième nuit d’occupation, jeudi soir, ils étaient plus de 10 000 serrés sur les pelouses, pour une assemblée générale à ciel ouvert. Le parc de Taksim a tout pour devenir le point de départ d’une contestation inédite contre la politique du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan.

L’opposition l’a vite compris. Plusieurs députés, dont le chef du Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu, sont venus se montrer. Même au sein de la majorité, le projet attire des critiques.

Le premier ministre et ancien maire d’Istanbul (1994-1999) a pour l’instant traité par le mépris cette mobilisation. "Ils peuvent faire ce qu’ils veulent, notre décision est prise", a-t-il lancé, mercredi, en inaugurant le chantier pharaonique du troisième pont sur le Bosphore, un autre de ces projets fortement contestés et entrepris sans guère de concertation.

"DES DIZAINES DE PROJETS DANGEREUX POUR NOTRE VILLE"

"La place Taksim et le projet de rénovation de la mairie sont extrêmement symboliques, note akif Burak Atlar, le secrétaire de la chambre des planificateurs urbains. Quand on a quelque chose à revendiquer, à crier, à célébrer, cela se passe toujours ici. C’est le lieu des manifestations. Mais, pour Erdogan, aussi c’est un le lieu d’expression d’une idéologie. Ce quartier vivant et festif représente tout ce que le gouvernement déteste."

A l’emplacement du parc, le gouvernement veut reconstruire les anciennes casernes de l’armée ottomane qui avaient été détruites en 1940. M. Erdogan qui, pour beaucoup, est resté le véritable maire d’Istanbul, a laissé entendre que ces casernes néo-ottomanes pourraient aussi abriter un centre commercial. Istanbul en compte déjà des dizaines. Pour couronner le tout, le chantier a été confié à un architecte, Halil Onur, employé par la municipalité.

"C’est le plus emblématique, mais il y a comme cela des dizaines de projets dangereux pour notre ville", ajoute M. Atlar. Le pouvoir s’est lancé dans une frénésie de construction à Istanbul, avec le troisième aéroport, prévu pour être le plus grand du monde, la mosquée géante de Camlica ou encore les infrastructures à ériger pour l’organisation des Jeux Olympiques de 2020, auxquels Istanbul est candidate.

[Source : Le Monde]

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