[ [ [ Un premier encouragement juridique pour les Voisins autoconvoqués de la (...) - Yannis Lehuédé

Depuis deux ans, ceux qu’on appelle les Vecinos Autoconvocados (Voisins Autoconvoqués) de Jujuy, province du Nord de l’Argentine, luttent contre des projets des mines d’uranium à ciel ouvert dans la Quebrada de Humahuaca, lieu classé patrimoine mondial naturel et culturel de l’Unesco.

Des permis de prospection avaient été octroyés à l’entreprise Uranio del Sur, dans la vallée de Juella et Yacoraite. L’ouverture de ces mines d’uranium signifierait non seulement un désastre environnemental du fait des multiples pollutions de l’air et de l’eau, mais aussi une catastrophe sociale, en raison des déplacements des populations et de la dégradation de leur milieu de vie. De plus, l’extraction minière utilisant des milliers de litres d’eau par jour, ce serait, dans une région aussi aride que celle de la Quebrada, un désastre pour la production agricole, la destruction de l’économie locale et du milieu de vie des communautés indiennes agropastorales.

En 2008, les Voisins-autoconvoqués de Tilcara, ayant connaissance des méfaits de l’extraction minière dans toute la Cordillère des Andes, avaient décidé de se mobiliser en organisant des réunions et des campagnes d’information. Le 10 juillet 2008, soit trois semaines à peine après la nouvelle, le village manifestait son opposition au projet de manière aussi spontanée que vigoureuse et spectaculaire sur la place du village. Le 1er Août 2008, huit personnes ont engagé une procédure de référé (“amparo” en espagnol), fondée sur des principes relevant du droit environnemental tels que le célèbre « principe de précaution », la prise en compte des “dommages générationnels” (autrement dit les dommages pouvant affecter les générations futures), et l’obligation pour la société minière d’apporter elle-même des preuves que son activité ne sera pas polluante (et non plus, comme c’était le cas avant l’avènement du Droit environnemental, au demandeur de prouver que l’activité sera polluante). Ils exigeaient du Tribunal Administratif des mines « qu’il s’abstienne d’octroyer les permis d’exploration et d’exploitation à ciel ouvert, et qu’il interdise l’utilisation des substances chimiques tels que le cyanure, le mercure, l’acide sulfurique, et autres produits toxiques utilisés dans les processus de production et d’industrialisation des minerais « spécialement dans le cas de l’uranium». Il était demandé en outre la révocation des concessions minières dans la zone de la Quebrada de Humahuaca. Plusieurs concessions avaient en effet été octroyées à l’entreprise Uranio Del Sur, sur une surface de 14.100 hectares dans la zone Amarillos appartenant aux communautés aborigènes de Yacoraite et de Angosto de Yacoraite, dans le département de Tilcara. La Chambre des contentieux Administratifs (intégrée par Sebatian Damiano, Benjamin Villafane et Luis Oscar Morales) avait alors rejeté la demande en avril 2009. Suite à ce rejet, avait eu lieu, le 7 mai 2009, une deuxième manifestation sur la place de Tilcara, encore plus massive que la précédente, et unissant les habitants du village lui-même et des paysans descendus des vallées environnantes.

Les Voisins Autoconvoqués, bien décidés à ne pas se laisser faire, avaient fait appel devant le Tribunal Supérieur de Justice. Le 12 avril 2010, la sentence est enfin tombée! Les voisins remportent une victoire : le jugement émis le 13 avril 2009 par le Tribunal des Contentieux Administratifs de Jujuy est révoqué.

Cette décision a été impulsée principalement par le juge Héctor Tizón, président du tribunal et écrivain, qui vit précisément dans la même vallée, 60Km en aval de Tilcara. L’argumentation du juge Tizón s’inscrit résolument et de manière novatrice dans le paradigme du Droit environnemental superbement ignoré jusqu’ici par la communauté juridique argentine. Elle a produit l’effet d’une bombe juridique, de sorte que quelques jours à peine après la promulgation du jugement, celui-ci était mis à l’étude dans plusieurs facultés de droit du pays. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’innovation revient tout simplement … à reconnaître la pleine vigueur du principe de précaution inscrit dans l’article 4 de la Loi Général sur l’Environnement 25.675 (2002), et l’article 41 de la Constitution Nationale de l’Argentine stipulant que « tous les citoyens ont le droit à un environnement sain, équilibré et apte au développement humain ». C’est aussi simple que cela, il suffisait d’y penser….

Le même juge a également évoqué des concepts comme celui des « dommages générationnels », qui sont les termes utilisés dans le droit environnemental moderne, et qui consistent à « prendre en compte les répercussions sur les générations à venir». Les dommages environnementaux, une fois produits, sont irréversibles.

Le juge Tizon a enfin mis en avant l’absurdité d’une telle autorisation de prospection dans un lieu classé depuis 2003 au patrimoine mondial de l’UNESCO (n’hésitant pas à qualifier celle-là par un mot de l’argot argentin : “papelón internacional”, qui signifie quelque chose comme « énorme gaffe »), ainsi que le risque de déclassement du site qu’entrainerait immanquablement l’ouverture d’une mine à ciel ouvert dans la mythique Quebrada.

Selon Alicia Chalabe, l’avocate des Voisins Autoconvoqués, «cette sentence est un changement de paradigme juridique qui vise à introduire le droit environnemental au sein de la question de l’activité minière». Elle évoque les nombreux désastres dus à l’extraction minière et déplore que les juges opposent régulièrement le Code Minier au droit environnemental. Ainsi, le Tribunal Supérieur de Jujuy est un pionnier en la matière. Selon l’un des Autoconvoqués, « le jugement du juge Tizón s’inscrit dans un courant qui constitue l’un des grands signes des temps et par conséquent signes (rares) d’espoir : le courant ou paradigme juridique environnemental». C’est bien dans ce paradigme que s’inscrit ce juge courageux qui, une semaine avant de prendre sa retraite, laisse derrière lui un émouvant testament juridique. C’est ainsi que la question environnementale émerge dans une situation juridique concrète.

Il est à noter les juges, José Manuel del Campo, María Silvia Bernal, Sergio Jenefes y Sergio González, bien qu’ils aient soutenu la sentence de révocation du jugement, n’ont pas pour autant adhéré à l’argumentation de Tizon.

On s’étonnera de plus que la révocation n’ait était publiée officiellement que le 13 avril, alors qu’elle avait été prononcée le 23 février. Il faut souligner enfin, qu’une fois la sentence notifiée, le bureau de l’avocate des Autoconvoqués a été visité et fouillé illégalement par des inconnus… Le motif n’était pas le vol, puisque, entre autre chose, la Mackintosh de l’avocate est restée à sa place.

Cette avancée, au-delà de la question juridique, donne une impulsion nouvelle à la lutte anti-minière dans la Quebrada. La soutien du juge Tizon a permis de légitimer la position des Autoconvoqués et de leur donner crédit auprès d’une presse jusqu’à là muselée.

Selon l’un d’entre eux, « le jugement du prestigieux juge Tizón nous a valu de pouvoir montrer un résultat tangible de notre action, le respect des journalistes, et, par extension, de beaucoup d’autres. Nous avons acquis, pour un moment au moins, le droit à la parole. A la conférence de presse de la semaine dernière, presque tous les journalistes de Jujuy étaient là et les articles ont été excellents. Nous avons passé outre un mur du silence. Le 7 mai, « jour officiel des mines », constitue un autre défi: démentir que Jujuy est une province minière.»

Pour preuve, un article a récemment paru dans le très connu journal Argentin, Pagina 12. Le crédit apporté auprès de la presse est d’une importance capitale dans la mesure où elle permet de véhiculer une information qui circule mal dans des régions aussi enclavées que celles de Jujuy.

Mais la lutte ne s’arrête pas là : en effet, les quatre autres juges ont réussi à introduire un bémol en ordonnant le retour du jugement au tribunal précédent, en lui demandant de revoir sa copie, et en exigeant de lui qu’il fasse intervenir l’entreprise minière qui avait déposé les demandes d’autorisation de prospection. Ce dernier point n’apparaissait pas dans la notification!

Le collectif D’un plateau à l’autre