Pour notre petit déjeuner, les assistants ont dû chercher du pain de mie à la boulangerie du village… nous le savourons sur la terrasse.
Ensuite, nous descendons à travers Chumrung par un interminable escalier qui se terminera finalement en bas de la vallée, au bord de la rivière. Il a apparemment 2100 marches, que nous avons dévalées sans le réaliser, avec l’entrain de la matinée. On pourrait croire que c’est reposant de descendre, mais pour moi, notre but est de monter en altitude pour admirer le cirque des sommets des Annapurnas. Chaque descente revient donc à s’éloignait de notre objectif sur l’altimètre! La patience doit savoir s’accommoder des chemins détournés sans se désespérer. S’ensuit donc une remontée sur la montagne d’en face, me voilà rassuré.
Sans en comprendre la raison, les forêts de rhododendrons offrent aujourd’hui des arbres plus fleuris qu’à l’accoutumée. Leurs racines ont toujours plus de formes enchantées et les mousses qui les habillent ressemblent à des haillons. Les arbres ont quelque chose d’ancestral et d’apparence mythologique. Loin de donner l’impression d’une forêt hantée, elle garde ses secrets. Ensuite, il y a un signe de changement dans la végétation : il y a de plus en plus de bambous entre les arbres, poussant en bosquets touffus de fines branches jaunes. A l’inverse des arbres, ces plantes dégagent une impression d’harmonie.
La journée de marche n’est pas reposante, l’empressement de nous rapprocher du but de ces derniers jours laisse quelques traces. Malgré tout, la végétation nous offre l’envie de progresser toujours plus en avant vers les mystères qu’elle nous réserve. Des petites chutes d’eau sont dissimulées derrières les mousses des parois rocheuses et les feuillages. Entouré de bambous géants, on se sent tout petit, perdu au milieu d’un jardin bonsaï mais avec les immenses sommets enneigés dans le lointain.
Ils ne resteront pas visibles longtemps. Nous déjeunons sous pressentiment envahit notre groupe et pour la première fois, nous enfilons instinctivement nos longues capes de pluie qui nous recouvrent totalement avec les sacs à dos. On a peine à voir à travers la pluie avec les capuchons serrés. De nombreux ruisseaux traversent le chemin et les papillons qui nous ont accompagné jusque là cèdent la place à une multitude de coccinelles. Nous devons prendre des précautions en posant chaque pied sur une pierre bancale ou dans la boue. La vallée est également de plus en plus escarpée jusqu’à nous étrangler pour l’arrivée pénible à notre lodge suivante, dans le hameau de Dovan.
Contrairement aux précédents, l’endroit n’est guère attirant : coincé entre les pentes des montagnes en vis-à-vis, la lodge n’a qu’un rez-de-chaussée, une cour pavée – évidemment – et une salle commune avec deux tables carrées, adjointe d’une cuisine. Il règne une odeur de kérozène, utilisé pour chauffer la pièce humide. Certains prennent une douche (payante cette fois, mais plus tiède qu’à l’accoutumée). La pluie n’est pas de bonne augure, nous le sentons ; mais tous se blottissent autour d’une des tables : randonneurs, guide, assistants et porteurs, il n’y a donc plus cette barrière hiérarchique, source inutile de malaise à mes yeux.
Il est encore tôt dans l’après-midi, mais le jour tombe rapidement au creux de la vallée harcelée par la pluie qui redouble.
Etant donné que nous allons bientôt aborder la haute montagne, notre guide donne les recommandations d’usage pour éviter le mal d’altitude. Pensif, il ajoute que nous devrons changer de programme si la pluie continue. Elle pourrait gâcher notre progression du lendemain et, en altitude, se transformerait en neige, ce qui peut effacer les traces du chemin menant au Sanctuaire des Annapurnas.
Au moment de se coucher, la pluie tombe désormais comme à la mousson. Cela ne nous laisse que peu d’espoir de la voir s’arrêter et chacun dans son lit envisage l’éventualité désagréable de devoir renoncer au but de l’expédition. Seul notre doyen est serein !
Le lendemain.