[ [ [ Les politiques de l’immigration et le refus d’une immigration choisie après (...) - Yannis Lehuédé

Jean-Noël Jeanneney reçoit Patrick Weil qui revient sur les politiques d’immigration et "l’immigration choisie".

Nicolas Sarkozy défend l’idée d’une immigration dite « choisie », d’une politique de quotas (selon les professions, les niveaux de qualification, selon les pays d’origine), qui a été en vigueur aux Etats-Unis jusqu’en 1965, mais qui est une politique dans l’ensemble étrangère à la France, bien que le principe n’en ait pas toujours été absent des intentions administratives et des tentations politiques.


En compagnie de Patrick Weil, Jean-Noël Jeanneney s’interroge entre concordance et discordance sur les implications d’une telle politique pour la définition de l’identité nationale, qui est l’intitulé du ministère de Brice Hortefeux.


La France contée et recomptée

Livres. Sur l’usage politique de l’«identité nationale».

CATHERINE COROLLER

Libération, samedi 23 février 2008

«Etre français, c’est…», «Qu’est-ce que la France ?» «La France, c’est…», «La France, ce n’est pas…». Entre le 10 et le 19 avril 2007, Nicolas Sarkozy, alors en campagne pour l’élection présidentielle, a cité 395 fois le mot «France» et 212 fois le mot «Français», a compté l’historien Gérard Noiriel. Et l’habile stratège qu’est Sarkozy n’a pas martelé ces termes par hasard. «Le thème de "l’identité nationale" paraissait épuisé après plusieurs années d’exploitation intense [par le Front national, ndlr]. Et pourtant, il a été brutalement replacé au centre du débat public par Nicolas Sarkozy lorsque celui-ci a affirmé [le 8 mars] que s’il était élu, il créerait un "ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale"», affirme Noiriel. Pour protester contre un intitulé associant «immigration» et «identité nationale», ce chercheur a démissionné du conseil scientifique de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.

«Miracle». Dans son dernier livre, A quoi sert l’identité nationale, Gérard Noiriel revient sur la genèse de ce concept, en remontant à ses origines : la guerre de 1870. «C’est à partir de cette date que l’Etat-nation prend la forme que nous lui connaissons aujourd’hui.» Jusqu’à la présidentielle de 2007. Le cas Sarkozy occupe une bonne moitié de cet ouvrage. Pour Noiriel, le futur chef de l’Etat a repris à son compte le concept d’identité nationale dans l’unique but de faire de l’immigration la question de la campagne. Pour comprendre ce que ce concept recouvre pour le candidat de l’UMP, le chercheur a passé ses discours au crible.

Résultat ? «Le miracle du discours sarkozien, c’est de proposer une "définition" de l’identité nationale qui réconcilie la droite et la gauche.» Barrès, avec l’évocation d’une France décrite comme une «âme», un «principe spirituel», et Jaurès avec l’apologie des «valeurs» républicaines, ironise Noiriel.

Et le «vrai» Français, qui est-il ? Léon Gambetta, «immigré italien naturalisé français», devenu avocat, député et ministre ; ou Félix Eboué, «petit-fils d’esclave» et haut fonctionnaire. Quelqu’un venu d’ailleurs ayant fait l’effort d’assimiler les «valeurs républicaines». Le portrait craché de… Sarkozy, «Français au sang mêlé, qui doit tout à la France», comme il s’est lui-même portraituré. Mais ce «miracle français» est «menacé». La responsable, c’est l’immigration d’aujourd’hui, constamment présentée sous un jour négatif. , «excision», Contre la menace à l’identité nationale que constituent ces étrangers, il faut se montrer impitoyable. Sélectionner les meilleurs et reconduire les autres à la frontière.

Dès son élection, Sarkozy a évoqué son souhait de voir la France définir des quotas d’immigrés par métier, mais également «par région du monde». Avant lui, de Gaulle l’avait envisagé et y a renoncé. Giscard s’y était risqué mais a laissé tomber. Le chef de l’Etat va-t-il mettre en œuvre une mesure que ses deux prédécesseurs ont abandonnée ?

Quotas. La lecture de Liberté, égalité, discriminations, l’ouvrage de Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des questions d’immigration, offre un éclairage parlant sur le passé. «L’histoire de notre politique de l’immigration montre qu’à deux moments précis, la France a été sur le point de choisir des politiques de préférence ethnique explicite»«En 1945 et en 1978-1980 - la France a été sur le point de fonder sa politique de l’immigration sur un critère ethnique, pour y renoncer finalement». En 1945 «se met en place pour la première fois une politique cohérente de l’immigration, dont l’objectif - ainsi défini par le général de Gaulle - est de combattre "le manque d’hommes" et "la faiblesse de la natalité française"». Dans l’entourage du chef de l’Etat, «certains experts proposent d’adopter un régime de quotas par zones géographiques». De Gaulle est favorable à une sélection fondée sur l’origine mais«recule devant plusieurs de ses ministres ou de ses anciens compagnons de la Résistance, qui tous lui opposent les valeurs même du combat qu’ils venaient d’achever victorieusement».

En 1977, Valéry Giscard d’Estaing, élu trois ans plus tôt président de la République, doit faire face à une crise économique durable. Le chômage devenant la première préoccupation des Français, le chef de l’Etat décide de faire du retour massif d’immigrés non européens dans leur pays d’origine une priorité. «L’objectif est déstabiliser l’immigration cible, nord-africaine et surtout algérienne, pour aboutir au départ forcé de 100 000 étrangers par an, soit 500 000 en cinq ans», rappelle Patrick Weil. Pour les Algériens, le chiffre est fixé à 30 000. La mobilisation des églises, associations, syndicats, partis de gauche, gouvernements étrangers fera échouer cette politique.

Traces. Selon Patrick Weil, les politiques discriminatoires laissent des traces. Ainsi, alors que du temps de la colonisation, la majorité des Juifs d’Algérie ou des enfants nés en Algérie de parents étrangers sont devenus français, la quasi-totalité des musulmans n’ont jamais accédé à la pleine citoyenneté. Subsiste aujourd’hui encore, chez leurs descendants, «un sentiment de désaffiliation ou de non-reconnaissance» par-delà les réparations et la reconnaissance des discriminations subies.