[ [ [ MEDIAS: Le boycott de Cannabis Sans Frontières - Yannis Lehuédé

Pour le centenaire du traité de Shangaï inaugurant la Prohibition, les Etats-Unis annoncent la fin des 40 ans de la "guerre aux drogues". La même semaine, l’Allemagne légalise la distribution contrôlée d’héroïne.

Pendant ce temps, en France, la droite mène sa campagne en annonçant la guerre ouverte à la jeunesse et aux cités – avec les nouvelles "brigades scolaires", des "opérations coups de poings" et d’autres amusements.

Pour les élections européennes en Ile de France, une nouveauté : l’apparition d’une liste anti-prohibitionniste, Cannabis sans frontières. Les médias boycottent celle-ci méthodiquement...

La campagne Cannabis sans frontières aux élections européennes de 2009 a été lancée le 9 mai, lors du rassemblement de la Marche mondiale du cannabis, à la Bastille. Ce jour là, il y avait pas mal de journalistes – de l’AFP, TV5, France Info, RFI... Et, malgré la pluie, quelques centaines de participants. Pourtant, l’AFP annonçait en titre de dépêche l’annulation du rassemblement "faute de participants". Paradoxalement, un film réalisé par la journaliste de la même AFP rendait compte en détail de ce rassemblement et des points de vues des participants.

Quelques jours plus tard Rue 89 publiait un article annonçant le démarrage "tardif" de la campagne Cannabis sans frontières, dont Jean-Pierre Galland, du CIRC, ne faisait pas encore partie. [1]

La veille du dépôt officiel de la liste, le 22 mai, Cannabis sans frontières avait droit à une brève intervention en direct sur RMC à 6h20 du matin, pour commenter les arrestations d’enfants à l’école.

En plus de trois semaines maintenant, c’est tout. Hormis un reportage de Street reporter, et la reprise d’un communiqué filmé sur le site de la Télé libre.

C’est peu. Pendant ce temps, l’équipe de campagne de Cannabis sans frontières se déchaîne sur le net.

Un site cannabissansfrontieres.org héberge "Télé cannabis sans frontières" où, depuis une semaine sont diffusées des émissions en direct, dont un journal de 20 heures, "le Nouveau 20 heures"...

Tous les jours deux à quatre heures de programme sont diffusées et enregistrées, retrouvables dans les archives, consultables même quand on a raté l’heure du direct.

Mais plus important encore, "une profession de foi", un programme en douze points a été établi pour la campagne Cannabis sans frontières – abordant l’ensemble de la question des drogues, "sans frontières". Celui-ci est affiché sur de plus en plus de panneaux électoraux de Paris et des environs. Bénéficiaire au tirage au sort du panneau n°3, bien en vue devant la plupart des bureaux de vote. Ce panneau sur la voie publique est ainsi devenu le seul média grâce auquel les gens découvrent le discours de Cannabis sans frontières – hormis les internautes qui se connectent sur cannabissansfrontieres.org.

Pendant ce temps-là, le gouvernement fait campagne pour plus de police contre les jeunes. Le ministre de l’Éducation parle de "brigades mobiles" – "la brigade scolaire". Quant au Président, [2] il en appelle à la multiplication d’opérations "coup de poing", et au "renfort pédagogique" que les policiers devraient apporter aux enseignants et aux chefs d’établissements...

Surtout, ce sinistre individu osait dénoncer ces gens "qui n’ont jamais travaillé de leur vie et qui pilotent de grosses voitures"Cannabis sans frontières demande si le Président voudrait que la police s’attaque aux enfants riches des beaux quartiers ? Maître Sarkozy affirme pour conclure que "la délinquance ne procède que très rarement de la souffrance sociale" ! Ce ne serait que "l’attrait de l’argent facile"… Voulait-il dénoncer ses amis et les clients du prospère cabinet d’avocat dont il tire toujours bénéfice ?

En France, la campagne à droite est ainsi annoncée comme un programme de guerre à la jeunesse. Au même moment, aux États-Unis, Gil Kerlikowske, le nouveau "tsar des drogues" nommé par Barack Obama il y a deux mois, confirme les engagements de campagne du président américain. Et annonce l’abandon de la guerre aux drogues ! Après 40 ans ! – Rappelons que celle-ci aura été lancée par… Nixon, en 1969…

Reprenant les termes de Barack Obama, Kerlikowske explique qu’on ne peut faire la guerre "contre les gens du pays"… À l’exact inverse du programme sarkozyste…

En Allemagne, la semaine dernière, le Parlement votait à une majorité de 349 députés (198 contre), la distribution contrôlée d’héroïne pour les toxicomanes.

En France, de ces diverses révolutions, les médias oublient de se faire l’écho. C’est dommage.

De son côté, Cannabis sans frontières peut se poser la question de la validité du contrat constitutionnel dans une situation où les électeurs vont être amenés à voter sans que les divers choix leur aient été présentés.

Surtout, on peut se désoler d’une politique aussi délirante, que la France souhaiterait voir adoptée par l’Europe sous le doux nom d’"Alliance européenne sur les drogues", et de la quasi absence d’opposition qu’elle suscite...

En somme, le cyber-journalisme aura sauvé l’honneur, avec les trois articles consacrés à la campagne Cannabis sans frontières, sur Rue 89, la Télé libre et Street reporter, plus une intervention de Télé-liberté – particulièrement efficace pour avoir mis en œuvre "Télé-cannabis sans frontières".

On découvre à cette occasion une utilisation plutôt novatrice du direct, avec en particulier le Nouveau 20 heures, destiné à durer par-delà la campagne, où tous les jours les questions les plus graves sont abordées en longueur – et librement.

Le gag du jour : comment Farid Ghehiouèche, tête de liste de Cannabis sans frontières, reçu exceptionnellement sur le plateau de Cap24 animé par Patrice Karmouze, a pu filmer en direct la télé en direct...

Si l’on s’amuse, on peut néanmoins regretter que face à l’anesthésie générale proposée par la presse institutionnelle, le cyber-journalisme dans son ensemble n’ait pas apporté une autre note.

Ce qui est évident, c’est qu’une campagne de deux semaines facilite grandement le contrôle quasi complet des esprits en une ou deux initiatives plus ou moins tapageuses – même sans le renfort d’un spectaculaire accident d’avion. Pour que les informations circulent, même à l’âge instantané de la cyber-presse, il faut un minimum de temps. Le temps de prendre conscience des enjeux.

Michel Sitbon