[ [ [ À Toulouse, le droit de vivre a gagné ! - Yannis Lehuédé

Énorme victoire ! On aurait le droit de vivre ! C’est pas rien. C’est la cour d’appel de Toulouse qui le dit. On attend les attendus du jugement, bien sûr.

S’il fallait aller au fond des choses, les conséquences d’un tel jugement sont incalculables. Car le régime dit du "permis de construire", bien pire que le permis de conduire et toutes sortes d’autres emmerdements que l’administration se croit autorisée à imposer, c’est le régime de la contrainte maximum, celui sous lequel nous sommes le plus ordinairement pour l’essentiel des actes de la vie.

Cette logique de contrôle total que l’État impose progressivement depuis des siècles est arrivée à son comble à l’âge de la Loppsi. Tom et Léa auront incarné, avec leur yourte au paradis, le comble de l’absurde auquel cette logique entraîne. Mais tous y sont soumis quotidiennement.

Allons à l’autre extrême : essayez de construire un immeuble à Paris, sur un terrain, constructible, de 400 m2. Il vous en coûtera… 400 000 euros avant d’arriver au permis de construire ! Les innombrables contraintes légales arrivent à ce comble de paradoxe que la maison qu’on voudra faire avec ce fameux permis qu’on reproche à Tom et Léa de ne pas avoir obtenu avant de vivre, coûtera, avant même de commencer à être construite, ce que coûte de construire une telle maison dans toute société pas encore complètement folle.

Il y a quelques années la cour des comptes faisait la remarque que si les normes de sécurité qu’on impose aux crèches pour leur construction étaient un peu moins nombreuses et absurdes, sans rien céder à la sécurité de nos adorables bambins, on pourrait en construire bien plus et bien moins cher.

Le permis de construire ! Ce joyau de l’administration française, ce monstre, plus monstrueux encore que le plus froid des monstres froids – ainsi que Nietszche qualifiait l’État –, le permis de construire à lui tout seul appauvri l’ensemble de la population à un degré hallucinant. C’est ce dont l’affaire de Tom et Léa faisait la preuve éclatante.

Leur yourte, parfaitement compatible avec leur "sécurité" et celle de leurs voisins… parfaitement intégrée dans le paysage, et répondant à tous les critères de bon sens au nom desquels l’administration prétend imposer à tous ces fameux permis de construire, leur yourte était devenue inadmissible, à détruire, pénalisable.

Bien heureusement la cour d’appel de Toulouse aura entendu le cri qui monte de la France entière depuis que la loi a prétendu explicitement démolir tous les paradis qu’on peut se faire soi-même sans rien demander à personne.

La précédente victoire sur ce front, c’était en mars, lorsque le Conseil constitutionnel a annulé l’article 90 de la Loppsi (ex-32terA du projet de loi), qui stipulait que tous ces habitats pouvaient être démolis dans les 48 heures sur simple décision préfectorale. Déjà là, le Conseil constitutionnel, comme la cour d’Appel de Toulouse aujourd’hui, avait signifié qu’il pouvait y avoir un droit plus haut que les pleins pouvoirs de l’administration : le droit de vivre.

De même que Tom et Léa ont été largement soutenus, le 32terA avait suscité une très grosse mobilisation des habitants de logements "choisis", légers, mobiles, yourtes et tipis, ceux qu’on appelle les hippies. Et ils ont gagné !

Et n’oublions ici que si les hippies se sont levés pour défendre leurs tipis et leurs yourtes, il n’en ont pas moins compris que la question qui se pose dépasse largement le simple intérêt, corporatiste pourrait-on dire, de leur mode d’habitat. Ils ont bien vus, parce qu’en plus ils savent lire, que ce qui se pose ici c’est l’ensemble de la question de la vie et de ce qu’on appelle en droit constitutionnel la liberté.

Voilà des mois que les campements se multiplient de ville en ville et que Marie-Hélène, d’Halem, prophétise que la révolution par le rire a commencé !

En tout cas une chose est claire : l’État s’est démasqué, et les yeux ouverts nous irons lui arracher ses dernières armures, et s’il le faut c’est tout nus au fond des bois que nous livrerons nos combats.

Il y a des années, j’entendais une conférence d’un prix Nobel de chimie, Karen Mullis. Il racontait ses souvenirs de jeunesse, comment, au cœur des sixties, dans sa petite ville du midwest américain, il avait entendu parler de l’amour libre, et du LSD, qu’on pratiquait à San Francisco. Avec ses amis, ils avaient pensé alors que c’était là bien intrigant, et qu’il y avait peut-être dans cette curieuse alchimie l’antidote de la bombe atomique... En effet, quelques années plus tard, la jeunesse hallucinée imposait la fin de la guerre du Vietnam et la désescalade de la guerre froide.

Aujourd’hui, la question se pose en effet de savoir si la révolte qui est née pour sauver la yourte de Tom et Léa n’est pas le début d’une grande aventure et l’annonce de la fin du cauchemar dans lequel nous plonge la nuit sarkozyste.

Paris s’éveille

19 mai 2011

TOULOUSE — Tom et Léa défendaient leur droit de vivre dans une yourte en Ariège et la cour d’appel de Toulouse leur a donné raison: les défenseurs de ce type d’habitat dit alternatif et respectueux de l’environnement espèrent que l’arrêt fera avancer leur cause.

"On ne s’attendait pas à ce qu’il y ait un peu de bon sens et de bienveillance à notre égard", a commenté Tom Laporte, 29 ans, en sortant de l’audience, un canotier vissé sur la tête. "Mais la justice s’est montrée juste. On a gagné le droit de vivre dans notre yourte, c’est enthousiasmant".

"On s’est battus pour quelque chose", a relevé pour sa part Léa Lefèvre, 28 ans, visiblement émue et oppressée par les caméras se massant autour d’elle.
Les deux jeunes gens, elle maraîchère bio, lui technicien cordiste, avaient été condamnés en première instance en février 2010 à Foix pour défaut de permis de construire.

Si l’enjeu pénal était minime (200 euros d’amende), ils avaient l’obligation de démonter l’objet du délit sous astreinte de 10 euros par jour de retard.

De nombreux soutiens s’étaient mobilisés contre l’obstination de l’administration de l’équipement, alors que les contrevenants avaient l’accord du propriétaire du terrain et de la maire de la commune, Arrout (60 habitants), près de Saint-Girons (Ariège).
Leur yourte, tente traditionnelle des nomades d’Asie centrale, était devenue l’emblème du droit au logement alternatif, dont les exemples sont nombreux en France, en particulier dans le Sud.

Leur avocate, Caroline Mecary, s’est félicitée d’une "belle victoire" susceptible le cas échéant de faire jurisprudence.

Tout en soulignant qu’elle ne disposait pas encore des attendus de la cour d’appel, Me Mecary a rappelé avoir plaidé "l’erreur de droit", c’est-à-dire une législation inapplicable et le fait que la yourte était une "habitation légère de loisir" et, à ce titre, dispensée de permis de construire. Si la cour a retenu l’un ou l’autre argument pour fonder sa relaxe, la décision s’appliquerait à toutes les personnes dans ce cas, a-t-elle souligné.

Noël Mamère, député-maire Europe Ecologie-Les Verts de Bègles (Gironde), venu témoigner en faveur du couple à l’audience, le 17 février, a lui aussi espéré que l’arrêt fasse avancer la cause des habitats alternatifs, recommandant à la gauche, en cas de victoire en 2012, "de remettre sur le métier" une proposition de loi présentée par les écologistes fin 2009 sur ce type de logements.

"Il faut que ce jugement fasse jurisprudence et qu’on arrête de pourchasser tous ceux qui choisissent ce mode de vie", a-t-il dit jeudi à l’AFP par téléphone. Il s’agissait d’une "mauvaise querelle faite à deux jeunes, qui ont été acceptés par le village, qui contribuent à reconquérir des friches agricoles et qui vivent d’une manière très écologique et très naturelle, en parfaite harmonie avec le village et le paysage".

L’association Halem (Habitants de logements éphémères ou mobiles) a espéré elle que l’arrêt influe sur "toutes les poursuites en cours contre les habitats atypiques", alors que, selon la Fondation Abbé Pierre, plus de 8 millions de personnes sont concernées à des degrés divers par la crise du logement.

"On a des problématiques d’installation en milieu rural" et il "faudrait qu’ils se rendent compte qu’il y a des solutions qui existent et qui ne sont pas onéreuses", a déclaré Paul Lacoste, militant de l’association. "On dirait que c’est ça qui fait peur, le fait que les gens se prennent en charge".

[Source : AFP]

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