[ [ [ Loppsi contre biffins, ou la guerre aux pauvres - Yannis Lehuédé

Les dispositions de cet article 24 sexies, pas sexy du tout en dépit de son nom, laissent sans voix. Des législateurs ont pu voter ça ! On a recherché sans succès, sur le site de l’Assemblée nationale, trace de ce sinistre jour où un député de Paris a osé proposé de pénaliser la vente à la sauvette. Six mois de prison ferme, 3750 euros d’amende. Ça commence par une garde à vue et la destruction immédiate de la marchandise saisie dans le cadre d’une procédure en comparution immédiate. Si on est plusieurs les peines sont de un an de prison et 15 000 euros d’amende. On parle bien là de la vente à la sauvette, le métier de ceux qu’on appelle les biffins, les plus pauvres des plus pauvres, déjà pourchassés par la police au point où ils ne peuvent même plus se greffer aux abords du marché aux puces – dont c’est la vocation. Pourchassés, exposés à des amendes de 750 euros. Ça ne suffisait au député du 15ème, Philippe Goujon. Pour lui, 750 euros, ce n’est rien. Se fondant sur on ne sait quelle source, il affirme péremptoirement que cette activité rapporterait... 8000 euros par mois (sans charges sociales ni aucune espèce d’impôt bien sûr) ! Il semble que son salaire de parlementaire suffise à ce monsieur pour perdre tout sens des réalités. Ne craignant pas d’insulter la misère, voilà qu’il imagine les plus pauvres comme les plus riches ! Et il se fonde sur cette abjection pour justifier d’une mesure qui tend seulement à rassurer les bourgeois de son quartier, agacés de voir des pauvres hanter les trottoirs.

La guerre aux pauvres est ouverte.

Ci-dessous la présentation de la loi sur le site nosdeputes.fr, et les observations du Syndicat de la magistrature.

Article 24 sexies (Chapitre 5 bis : Sécurité quotidienne et prévention de la délinquance)

La vente non autorisée de biens ou de services sur le domaine public, ou « vente à la sauvette », constitue une infraction réprimée par une contravention de la 4ème classe contre la nation, l’État ou la paix publique, soit 750 € au plus (art. R. 644-3 du code pénal), dont les personnes coupables encourent également la peine complémentaire de confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit.

Cependant, ce dispositif répressif apparaît aujourd’hui inadapté pour faire face à ce phénomène qui s’est fortement développé ces dernières années non seulement dans les villes mais également les stations balnéaires et, plus généralement, les sites touristiques.

C’est pourquoi cet amendement vise à insérer au titre IV (Des atteintes à la confiance publique) du livre IV (Des crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique) un chapitre VI, dont l’objet est de répondre à ces insuffisances, afin d’adapter l’arsenal répressif à la réalité de l’infraction.

L’article 446-1 crée un délit de vente à la sauvette passible de six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende. Cela permettra, d’une part, l’interpellation des auteurs, d’autre part, la saisie des marchandises sur le fondement de l’article 67 du code de procédure pénale, et enfin, le placement en garde à vue, notamment afin de permettre la recherche de l’identité des auteurs.

En outre, le quantum de six mois d’emprisonnement autorisera le parquet à présenter les auteurs du délit en comparution immédiate devant le tribunal, ouvrant ainsi la possibilité au juge de prononcer rapidement la peine complémentaire de destruction des objets saisis, permise par le nouvel article 446-3. Cette dernière mesure répond notamment au souci d’éviter l’encombrement des locaux du greffe du tribunal correctionnel.

La création d’un délit permettra aussi d’assurer un suivi judiciaire des auteurs de l’infraction, par leur inscription dans les fichiers de police, en particulier le STIC, ce qui n’est pas le cas actuellement, l’infraction n’étant passible que d’une contravention de la 4ème classe, ce qui facilitera l’établissement de la récidive.

L’article 446-2 aggravera, quant à lui, la peine d’emprisonnement et l’amende, lorsque l’infraction est commise en bande organisée ou de manière agressive, alors que l’article 446-4 organise le traitement pénal des personnes morales coupables du délit.

Le titre IV du livre IV du code pénal est complété par un chapitre VI ainsi rédigé :

« Chapitre VI

« De la violation des dispositions réglementant les professions exercées dans les lieux publics

« Art. 446-1. - Le fait, sans autorisation ou déclaration régulière, d’offrir, de mettre en vente ou d’exposer en vue de la vente des marchandises ou d’exercer toute autre profession dans les lieux publics en violation des dispositions réglementaires sur la police de ces lieux est puni de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 €.

« Art. 446-2. - Les infractions mentionnées à l’article 446-1 sont punies d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 € lorsqu’elles sont commises en bande organisée ou de manière agressive.

« Art. 446-3. - Les personnes physiques coupables des délits prévus au présent chapitre encourent également les peines complémentaires suivantes :

« 1° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit ;

« 2° La destruction de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit.

« Art. 446-4. - Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies au présent chapitre encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39.

« L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise. »

[Source : nosdeputes.fr]

Le fantasme d’une nouvelle forme de criminalité : la vente à la sauvette

Encore une fois, les faits divers inspirent au législateur de nouvelles dispositions pénales dont on doute de l’utilité. Ainsi, un délit de « distribution d’argent à des fins publicitaires sur la voie publique » est créé, passible de six mois d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Surtout, l’insistance législative relative à la création d’un délit de vente à la sauvette, démontre qu’il s’agit là d’une nouvelle lubie sécuritaire. Outre la LOPPSI 2, deux autres textes examinés récemment par le Parlement contenaient des dispositions répressives relatives à ce phénomène manifestement surestimé : la loi sur les bandes et une proposition de loi du Sénat. Sans jamais s’appuyer sur aucune analyse sérieuse de ces situations de vente à la sauvette, le législateur affirme de manière péremptoire que cette nouvelle forme de délinquance prendrait une ampleur importante et serait commise la plupart du temps « en bande organisée » et de manière agressive.

Quiconque a déjà croisé dans les couloirs du métro ou aux abords des sites touristiques des vendeurs de cacahuètes grillées ou de babioles « made in Taïwan » sait parfaitement que ces personnes sont souvent plus apeurées par le risque de se faire contrôler par la police qu’occupées à harceler les passants pour leur faire acheter leurs marchandises…

Ce qui est en réalité une infraction économique visant à garantir la concurrence et à protéger le marché national est ainsi fallacieusement présenté comme un risque majeur de trouble à l’ordre public.

Alors que des contraventions de 4ème et 5ème classe existent déjà pour réprimer ces faits, le législateur les requalifie en délit, passibles de peines d’emprisonnement. Sans compter qu’il sera désormais possible de placer les vendeurs à la sauvette en garde à vue, et ce à un moment où l’on constate une hausse sans précédent de cette mesure coercitive et que l’on s’aperçoit qu’il faudrait la réserver aux délits les plus graves…

Quant au délit d’exploitation de vente à la sauvette, il risque bien de présenter les mêmes effets pervers que celui de racolage passif créé en 2003 : sous couvert de s’attaquer à ceux qui exploitent la misère humaine, on finit en réalité par pénaliser ceux qui en sont victimes, les seuls qui ont de fait une visibilité dans l’espace public.

[Source : Syndicat de la magistrature]

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