Le 16 novembre, alors que la Loppsi passait au Sénat avant de repasser à l’Assemblé nationale, la Première secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry, s’est crue obligée de proposer au public ses réflexions sur la "sécurité". Elles sont toutes dramatiquement décalquées sur celles de Sarkozy et Hortefeux. Mais, pire encore, la chef de l’opposition oubliait carrément de mentionner la loi en cours d’examen devant le Parlement, participant à désinformer son public. Faisant mine de parler dans le vide, comme pour un éventuel programme pour la gauche si elle revenait au pouvoir, elle envoyait en fait au gouvernement un message on ne peut plus clair pour lui signifier que, pour la Loppsi, on pouvait compter sur elle : loin de faire des vagues, elle ne ferait qu’abonder dans le même sens.
Le paravent des statistiques maquillées comme l’autosatisfaction répétée n’y changent rien : la politique de sécurité conduite par Nicolas Sarkozy depuis près de dix ans est un fiasco. Et ce n’est pas la reconduction du même premier ministre pour mener la même politique qui changera la donne.
[Ainsi le principal reproche de la gauche aux politiques sécuritaires sarkozyste, c’est qu’elles ne sont pas assez performantes. La nouvelle loi que Martine Aubry fait mine d’ignorer, devrait la combler : extrêmement pragmatique, elle ne vise que la "performance", comme son nom l’indique.]
Ce constat, aucun républicain ne peut s’en satisfaire. Il nous faut regarder la situation avec lucidité : si rien ne justifie jamais la violence, force est de constater que la société dans laquelle nous vivons est elle-même porteuse de violence. La concurrence de tous entre tous, les discriminations rampantes, la ghettoïsation, le culte du paraître et de l’argent, mais aussi les mutations familiales, les difficultés de l’école sont autant de réalités qui sapent les fondements de notre contrat social et le respect dû aux autres. Cette situation alimente les ferments de violence. Et faute d’un projet qui se donne pour ambition de rassembler les Français autour des valeurs de justice, de laïcité, de respect, mais aussi d’autorité, notre pays est engagé dans une fuite en avant aveugle et anxiogène.
[Rassembler les Français autour de la valeur d’autorité ? C’est déjà fait, merci, et on voit ce que ça donne : une loi aussi liberticide que la Loppsi peut être présentée au Parlement sans même que la première secrétaire du Parti socialiste l’évoque dans une tribune dont c’est pourtant le sujet...]
Le mal est profond et il faut avoir l’honnêteté de dire que la mesure magique n’existe pas. M. Sarkozy a voulu faire croire le contraire. Parce que pour lui, la sécurité n’a jamais été qu’un cheval de bataille électoral. Il ne s’est pas rendu à Argenteuil ou à Grenoble pour régler les problèmes mais pour souffler sur les braises afin d’en récolter les fruits dans les urnes. Sans tapage ni gesticulations, les élus socialistes inventent sur le terrain des réponses qui permettent d’agir contre l’insécurité. Au plan national, la gauche est sur ce sujet souvent caricaturée. Sans doute n’avons-nous pas dit, ni suffisamment assumé ce que nous faisons, alors que les principales innovations de ces dernières années en matière de sécurité ont été portées par nous : prévention, îlotage, aide aux victimes, contrats locaux de sécurité, adjoints de sécurité, police de proximité… Aujourd’hui, nous n’acceptons pas qu’une résignation inquiète gagne les esprits, comme si l’insécurité était devenue une fatalité. Des formes nouvelles de violence se développent, contre soi, contre les autres et contre tout ce qui symbolise les institutions et leurs promesses d’égalité non tenues, jusqu’à l’absurde lorsque l’on s’en prend aux établissements scolaires, aux centres sociaux, aux pompiers.
[À quoi sert le Parti socialiste ? Un tel discours est décalqué sur celui d’Hortefeux quand il présente la Loppsi. Résignation inquiète ? Ça ne s’applique certes pas à l’actuelle majorité qui multiplie les lois et les opérations "coups de poing" non sans avoir réorganisé de fond en comble la police afin d’en démultiplier les moyens.]
Aucune violence n’est acceptable en république. Aucune. Alors, aujourd’hui, il est temps de porter une vision globale de la protection des Français et des moyens d’assurer la sécurité. C’est le sens du Pacte national de protection et de sécurité publique que nous proposons. Une politique qui concilie le temps court – celui de la réaction, de la répression et de la sanction – et le temps long – celui de l’anticipation, de la prévention et de la dissuasion. Une politique qui fait toute la place à la réparation due à la victime et à la réinsertion. Une politique du résultat plutôt que du coup d’éclat.
[Réparation due à la victime ? C’est un des principaux chevaux de bataille de Sarkozy-Hortefeux. Une politique du résultat ? C’est avec les mêmes mots qu’ils avancent leurs programme liberticide.]
• Faire baisser le niveau de tensions et de violences dans la société, c’est d’abord agir à la racine. Nous voulons bâtir une société qui crée de la sécurité. Cela veut dire une politique qui concourt à lutter contre l’échec scolaire et porte chaque enfant vers l’excellence, une politique qui lutte contre la ségrégation, la relégation et les discriminations, une politique qui repense la ville pour en faire un lieu accueillant. C’est aussi recréer la confiance, confiance entre la police et la population, entre la police et la justice… C’est enfin demander le respect, respect de la loi, de l’autorité, des institutions, mais aussi respect des habitants et de chacun dans ce qu’il a de particulier.
[Respect, respect de la loi, respect de l’autorité : là encore, Martine Aubry décalque le discours sarkozyste.]
• Faire reculer l’insécurité, c’est ouvrir toutes les pistes pour concourir à cet objectif. Et d’abord redonner à la police nationale et à la justice les moyens de remplir leurs missions. La sécurité est une mission régalienne de l’État. Nous sommes tous témoins des conséquences désastreuses de tribunaux surchargés et incapables, faute de moyens, de mettre en œuvre les lois de la République. La justice de notre pays devra être remise au niveau qu’une grande démocratie exige. Nous voyons tous la réduction de la présence policière sur le terrain et la dégradation de leurs conditions de travail. L’effectif total des gendarmes sera porté à 100 000 et celui du corps d’encadrement et d’application de la police nationale à 105 000. Pour leur permettre d’assurer vraiment le cœur de leur mission, nous réduirons les charges secondaires des forces de l’ordre comme les transferts de prisonniers et nous les répartirons sur le territoire national en fonction des besoins avérés.
[Martine Aubry n’oublie pas de mentionner la Loppsi : elle ne la connait simplement pas, bien qu’elle soit en préparation depuis deux ans devant le Parlement. Réduire les charges secondaires des forces de l’ordre comme les transferts de prisonniers ? Il n’y aura pas besoin que la gauche revienne au pouvoir pour ça : c’est déjà institué dans la Loppsi. Et plus encore, puisque ce sont également toutes les tâches administratives que cette loi prévoit de confier à des civils qu’il faudra bien embaucher pour ça. Et les transfèrements de prisonniers, comme la garde de bâtiments, toutes ces "charges secondaires" seront confiées à des polices services de gardiennage privés qui sont désormais encadrés rigoureusement, augmentant d’autant les effectifs de la police.]
Parce qu’il ne saurait y avoir de zones de non-droit, nous définirons avec les maires des zones de sécurité prioritaire dans lesquelles nous mobiliserons, dans la durée, les services de répression et de renseignement concernés par la lutte contre l’économie souterraine, les violences urbaines et les violences contre les personnes. Le déploiement, plus large, d’une police des quartiers contribuera, par la proximité, à plus d’efficacité. Les abords des établissements scolaires et les transports publics seront par exemple au cœur de leurs missions de surveillance. Ces équipes de police bénéficieront d’une formation spécifique et de mesures valorisantes en termes de rémunération et de carrière. C’est la présence humaine qui crée la sécurité. Nous ne croyons pas à la solution miracle de la vidéosurveillance. Nous l’utilisons quand elle est utile, dans les endroits clos ou pour aider à résoudre des problèmes ponctuels comme des trafics.
[Contre les zone de non droit ? Ce sont les mots de Sarkozy et d’Hortefeux. Définir des zones de sécurité prioritaires ? C’est précisément ce qu’ils font, en particulier dans les quartiers populaires où ils ont instauré un climat de guerre civile. Lutter contre l’économie souterraine ? Il se trouve que c’est une de leurs innovations – reprise de leur prédécesseur Pasqua – que d’associer y compris le fisc et l’antigang exclusivement pour attaquer les banlieues, alors qu’un tel dispositif serait certainement plus fructueux à Neuilly. La police des quartiers ? Ils en on faite une justement, une police de guerre civile, les effrayantes UTEQ, que la nouvelle loi prévoit de multiplier. Les établissements scolaires et les transports publics ? Les politiciens démagogues de la droite s’en gargarisent tout comme Martine Aubry ici. Un bémol sur la vidéosurveillance ? Ça serait mieux si Martine Aubry ne mentait pas à cette occasion : les villes de gauche en installent exactement comme celles de droite, et on n’a pas eu l’occasion de pouvoir faire la moindre différence entre le dispositif des unes et celui des autres. Mais gageons qu’elle ne ment pas, pas parle simplement là aussi de ce qu’elle ne connait pas : vidéosurveillance dans des endroits clos ? À quoi donc se réfère la dame ? Aux chiottes ?]
• Nous avons un principe fort : chaque acte d’incivilité ou de délinquance doit donner lieu à une sanction rapide et proportionnée. Le taux anormalement élevé de récidives dans notre pays tient largement aux défaillances de la réponse pénale. Il n’est pas rare que celle-ci soit prononcée des mois après l’acte, renforçant le sentiment, tant chez l’auteur de l’infraction que chez la victime, d’une impuissance publique. L’effectivité, la proximité et la rapidité de la sanction doivent donc être garanties. Et parce que le traitement du premier acte délictueux conditionne très souvent la trajectoire sociale de son auteur, nous revitaliserons la fonction de délégués du procureur, qui mettront en œuvre les mesures rapides et alternatives aux poursuites pénales : rappel à la loi, médiation pénale, mesures de réparation. Les collectivités locales et les organismes privés seront incités à proposer plus de travaux d’intérêt général et de mesures de réparation. Toujours avec l’idée d’apporter une réponse rapide, nous recourrons aux centres de placement immédiat pour prendre en charge sans délais les mineurs délinquants qui doivent être encadrés.
[Ce texte est incroyable : il aurait pu sortir de la plume de Claude Guéant ou de n’importe quel thuriféraire du sarkozysme. Chaque acte d’incivilité doit donner lieu à une sanction ? C’est exactement ce que martèlent les apologues de l’ordre nouveau. Se plaindre du taux des récidive et des défaillance de la réponse pénale ? Encore une fois, la même chanson à gauche qu’à droite. Quand on sait qu’elle aura servi à justifier le scandale des peines planchers, c’est moins drôle. Mesures alternatives aux sanctions pénales ? Ce serait bien, et plus crédible, dans un autre contexte. Les centres de placement immédiat pour les mineurs délinquants ? Il n’y a pas si longtemps cette idée faisait scandale à gauche. Mais, à l’instar de la lepénisation des esprits, la sarkozysation de la gauche semble bien achevée, ici.]
Par ailleurs, chaque grand bassin de vie verra la construction d’un centre de discipline et de réinsertion destiné aux jeunes délinquants multirécidivistes. La formation y sera strictement obligatoire et à la sortie de ces centres, un suivi éducatif et social sera poursuivi avec rigueur. Chacun sait que certains délinquants, malgré plusieurs peines successives, continuent à mettre leur quartier ou leur entourage en difficulté. Dans le cadre du sursis et des mises à l’épreuve, nous élargirons aussi la possibilité de prononcer des peines complémentaires comme l’interdiction d’accéder à certains quartiers ou de rencontrer certaines personnes ; nous inviterons les procureurs et les juges à y recourir davantage. Les maires pourront enfin saisir directement la justice au nom d’une démarche d’intérêt collectif – “class action” – pour briser la loi du silence qui retient les habitants de porter plainte individuellement en cas de voies de fait, de dégradations, de vente de stupéfiants.
[Quant aux mineurs, les centres de placement immédiat évoqués plus haut ne seraient donc pas suffisants, et la première secrétaire du Parti socialiste ose annoncer la construction un peu partout – dans chaque grand "bassin de vie" – de "centres de discipline" ! Et voilà qu’il faudrait ajouter des interdictions de séjour, comme on en appliquait jadis aux gangsters, applicables cette fois à des mineurs ! Et c’est probablement comme ça, en les séquestrant dans des centres de discipline, puis en leur interdisant de vivre avec leur famille, qu’on entendrait pacifier des jeunes... À gauche comme à droite, la bourgeoisie bien pensante pue de la gueule. Mais reconnaissons ici à la gauche de faire preuve d’inventivité, avec ces prétendues "class action" – soulignons néanmoins que, là encore, Martine Aubry pêche par ignorance, ce qu’on appelle class action en droit anglo-saxon n’ayant strictement rien à voir avec le droit d’initiative pénale des maires qu’elle propose d’instituer ici.]
• Cette politique globale devra être coordonnée au plus près du terrain. Les maires auront ici un rôle majeur, au cœur du dispositif local d’animation des politiques de prévention et de sécurité. Ils sont les mieux placés pour agir dans la proximité, avec les associations de prévention, pour développer l’aide à la parentalité…
[Bla, bla, bla...]
Cette nouvelle donne pour la sécurité des Français est au cœur du projet socialiste, parce que la sécurité est tout simplement au fondement même du pacte républicain : pas de liberté, pas de justice sociale sans sécurité. Pour nous, le droit à la sécurité est une exigence absolue. Partout et pour tous.
[Qu’est-ce que le pacte républicain, et quel serait son fondement ? Si une telle chose devait être la chose de tous, comment son fondement pourrait-il être une politique de guerre civile dirigée contre les pauvres, et plus particulièrement contre les jeunes ? La sécurité serait une exigence absolue pour le Parti socialiste ? Absolue ? Y compris donc si en son nom il fallait sacrifier la liberté ?]
Martine Aubry, première secrétaire du Parti socialiste, maire de Lille
Article paru dans l’édition du 17.11.10 du Monde
[À noter enfin que cette tribune est parue dans Le Monde, un journal dont les lecteurs sont a priori mieux informés que la moyenne et où on pourrait imaginer qu’il y ait la place pour de véritables réflexions. Qu’un tel torchon démagogique soit destiné à un tel public en dit long sur le degré d’affaissement de toutes les catégories critiques de ceux qui se voudraient encore de gauche aujourd’hui et qui participent, le plus souvent sans même en avoir conscience, à la construction de l’ordre nouveau. Une telle tribune aurait du faire scandale. Or sans le travail documentaire du Comité poitevin contre la répression des mouvements sociaux, il serait passé inaperçu.]