[ [ [ Quand Woerth prônait le droit à la retraite après 12 ans de travail - Yannis Lehuédé

Avant de porter la réforme des retraites, le ministre du Travail a défendu avec entrain le modèle social du Conseil régional de Picardie. Un modèle qui permet à ces heureux élus de bénéficier d’une bienvenue retraite complémentaire après un ou plusieurs mandats.

« En matière de retraites, nous avons devant nous, si nous ne faisons rien, des années de déficit. Des années de pensions de retraite payées à crédit. Bref, des années d’affaiblissement de notre pacte social. Cette réalité, le Gouvernement a choisi de la regarder en face », ne cesse d’expliquer le ministre du Travail Eric Woerth. « Sauver notre système de retraite est un impératif. C’est, pour notre génération, une véritable obligation morale. » Le ministre, l’élu, le citoyen, l’homme – chacun le sait depuis l’affaire Bettencourt – est sincère et ne ment pas.

Pourtant, avant sa nomination au ministère du Travail en mars 2010, il défendait une tout autre position. Alors en charge du budget à Bercy, la maire de Chantilly (Oise) s’est démenée pour préserver l’avantageux système de retraite des conseillers régionaux de Picardie (Le Canard Enchaîné du 13 octobre). Jugez plutôt : à partir de 61 ans, les heureux élus picards perçoivent une pension complémentaire – quels que soient leurs autres revenus – de 5.488 euros annuels par mandat de six ans. Pour un conseiller régional qui a siégé pendant deux mandats, cela fait donc un complément de près de 11.000 euros. Soit une retraite au niveau du Smic assurée pour seulement 12 ans de pénible labeur au sein de l’hémicycle picard. Bien plus que le minimum vieillesse (7.536 euros annuels) et presque autant que la retraite moyenne des femmes, qui ne dépasse pas 12.200 euros !

L’intervention d’Eric Woerth, qui est également conseiller régional de Picardie, a permis de sauver ces sympathiques acquis, malgré des caisses en déficit. Désormais, le ministre défend avec acharnement l’augmentation de la durée de cotisation (pour les autres) à 41,5 ans d’ici 2020, voire 43 ou 44 ans à l’horizon 2050. « Être responsable d’abord, c’est dire aux Français que si l’on veut mettre fin au déficit de nos régimes de retraite, travailler plus longtemps est inéluctable », dit-il aujourd’hui. On attend avec impatience que l’homme, dont la sincérité et l’éthique ne peuvent être mis en doute, explique publiquement ce revirement à 180 degrés. Et pourquoi il défend aujourd’hui « une réforme responsable donc, mais aussi une réforme juste » qui fait plus que tripler la durée de cotisation comparé au modèle social picard, si cher aux yeux de l’ancien directeur associé du (tristement) célèbre cabinet d’audit financier Arthur Andersen.

Par Ivan du Roy (21 octobre 2010), bastamag.net

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