Au grand concours de l’indignité, on ne sait qui gagnera dans l’affaire de l’extradition de Sonja Suder, 79 ans, et Christian Gauger, 70 ans, embarqués manu militari, le 14 septembre 2011 au matin, pour être extradés de France vers l’Allemagne afin d’être déférés devant un tribunal de Francfort.
A tout seigneur, tout honneur, c’est bien sûr l’abject Sarkozy à qui on doit ce déni de droit, déni d’humanité, déni de tout. Le monsieur est coutumier du fait, mais reconnaissons que, là, il s’est surpassé. C’était lui qui déclarait, avec bon sens, il n’y a pas si longtemps, à propos de Roman Polanski, auquel était reprochés des actes relativement graves, que « ce n’est pas une bonne administration de la Justice que de se prononcer trente-deux ans après les faits, alors que l’intéressé a aujourd’hui soixante-seize ans ». Comme le font remarquer la Ligue des droits de l’homme et le comité de soutien à Sonja et Christian, c’est trente-six ans après des faits relativement bénins (quelques incendies sans victimes) qu’une femme de 79 ans et un homme lourdement handicapé de 70 ans ont été extradés de France ce 14 septembre.
Si le gouvernement français s’est déshonoré, le gouvernement allemand, qui réclamait cette extradition, n’a certes pas fait mieux.
Mais on sait qu’il n’y a pas grand chose à attendre du pouvoir politique microcéphale, dénué de coeur comme d’intelligence dont nous sommes affligés. Plus gravement, c’est la justice en général qui s’est sérieusement compromise dans cette affaire. Imaginez que le Conseil d’Etat, cette haute cour, a pu approuver les décrets d’extradition que le premier ministre, François Fillon, a pris la peine de lui soumettre. Mais s’il n’y avait que le Conseil d’Etat. Il y a les tribunaux, avant lui, qui ont accepté de se déjuger, alors qu’ils avaient refusé, pour de bons motifs, la même extradition, en 2001.
Pire encore, le législateur européen, qui en instituant le monstrueux "espace judiciaire européen" a osé inclure un principe aussi aberrant que la notion qui voudrait que le droit du pays requérant prime sur celui du pays auquel est demandée l’extradition. D’un seul coup, il aura aboli tout le droit extraditionnel qui consistait précisément à imposer, par exemple, qu’une peine n’existant pas dans le pays de départ ne puisse s’appliquer dans le pays d’arrivée. Parce que c’est le fondement même du droit qu’il est d’application territoriale. Ainsi, désormais, si l’un des pays de cet espace judiciaire européen votait une loi condamnant les porteurs de lunettes, tous les porteurs de lunettes d’Europe seraient, suivant cette nouvelle conception du "droit" extradables vers ce pays...
On nous objectera que l’Allemagne est un pays raisonnable, et qu’on n’y condamne pas les porteurs de lunettes... A tort, car le législateur allemand n’a pas fait mieux en poussant à 40 ans la prescription pour des délits aussi mineurs que quelques incendies sans victimes qui ne sont ordinairement sanctionnés, au plus, que de quelques mois de prison. Comme le remarque Sonja Suder dans l’interview qu’on pourra lire ci-dessous, seuls les crimes contre l’humanité atteignent cette durée de prescription en droit français. Le législateur allemand aurait pu se souvenir que c’est pour prendre en compte la spécificité des crimes de l’Etat nazi allemand que cette notion d’imprescriptibilité a été inventée après-guerre. Et ce n’était pas seulement en raison de l’horreur spécifique de ces crimes, mais parce qu’ayant été commis par une organisation politique étatique, on savait que ses auteurs bénéficieraient de moyens extraordinaires pour se soustraire à la justice longtemps. En créant la confusion entre des "terroristes" et les auteurs du génocide hitlérien, la loi allemande commet plus qu’une faute juridique, mais ce qui relève plutôt d’un véritable attentat contre la mémoire.
Pire encore ? La rétroactivité de telles dispositions juridiques. Relâchés en 2001, justement en raison des règles rigoureuses qui régissent la prescription, Sonja et Christian on été extradés en 2011 en vertu de règles incorporées dans le droit européen en 2007. On oublie aussi au passage qu’on ne peut être jugés deux fois pour les mêmes faits...
Toutes ces entorses au droit n’auraient pas eu lieu qu’il resterait les circonstances spécifiques de cette affaire. Il y a d’abord le critère humanitaire qu’il est inconcevable de voir comment il aura été violé ici. La justice n’est pas censée être le lieu de la barbarie. Pour embarquer Christian Gauger, il a fallu... une ambulance ! Et il n’était certes pas incarcérable, à son arrivée à Francfort, autrement que dans un hôpital... Quant à Sonja, elle a rien de moins que... 79 ans. Comprend-on que dans ces conditions, ces individus passibles d’une condamnation à une peine forcément légère, s’ils venaient à être présentés devant un tribunal, ont été condamnés à l’équivalent d’une peine de mort ?!
Espérons qu’il n’en soit rien et qu’ils survivent à l’épreuve. Ce n’était pas l’avis des médecins quant à Christian en tout cas. Ainsi, les deux gouvernements, français et allemands, et la cascades de juristes qui auront facilité ce crime judiciaire, l’auront commis en connaissance de cause.
Et qu’ont-ils donc commis, il y a trente-six ans, ces dignes retraités, pour mériter un tel sort ? Rien ! Ah non, il serait soupçonnés d’avoir fait partie d’un groupe "terroriste" qui, au coeur des années 70 où tant de sang a coulé, y compris du fait de l’action de groupes de ce genre, se distinguait par le refus de mettre en danger la vie d’autrui pour des motifs politiques... On ne peut leur reprocher que quelques débuts d’incendie sur quelques bâtiments choisis pour leur signification symbolique. Le pire de l’action de ce groupe ? Une bombe, destinée à être déposée devant le Consulat d’Argentine, en 1978, pour protester contre les assassinats par dizaines de milliers que commettait alors le gouvernement argentin contre sa population civile.
Et pourquoi des citoyens allemands auraient-ils jugé pertinent de s’en prendre à un bâtiment officiel d’un gouvernement criminel dont les responsables sont aujourd’hui encore poursuivis et condamnés par la justice argentine ? Parce que leur propre Etat oubliait alors de condamner le régime sanguinaire des militaires au pouvoir à Buenos Aires ! Pire, à l’époque, on le sait aujourd’hui, la France qui ose extrader Christian et Sonja parce qu’un ami à eux aurait eu une telle intention, soutenait activement la dictature argentine, et des centaines d’instructeurs militaires français prêtaient main forte dans les salles de torture installées au bord du rio de la Plata, par exemple dans la fameuse "école de mécanique" de la marine.
Pour la petite histoire, cette bombe n’a jamais eu l’occasion d’entamer la façade du consulat argentin, et n’a fait qu’une victime : celui qui la préparait, un ami de Sonja et de Christian, semble-t-il, qui aura avoué son intention quand la police a osé l’interroger, sans respecter les droits minimaux de la défense, sur son lit d’hôpital, alors qu’il venait de perdre les yeux et les jambes du fait de l’explosion prématurée de sa bombe...
Mais ce n’est pas tout : on reproche à Sonja, et pas à Christian, d’avoir éventuellement fait partie du réseau de soutien du fameux Carlos, lors de la prise d’otages de ministres de l’OPEP, à Vienne, en 1975, qui fera trois morts, elle. Trente-six ans plus tard, de tels faits sont certainement prescrits, à tel point qu’on n’ose même pas les reprocher au dit Carlos pourtant incarcéré aujourd’hui, en France, à la prison de la Santé, pour d’autres actes commis ultérieurement en France, et on n’aura pas entendu parler de l’éventualité d’une extradition pour lui.
Que trouve-t-on là qui puisse justifier l’extradition de Sonja, et, encore une fois, certainement pas de Christian ? Rien ! Ah si, des déclarations extrêmement tardives, datant de 1999, d’un des responsable de cette opération, Hans Joaquim Klein. Celui-ci, dont les déclarations de 1999 ont été mises en cause y compris par la justice allemande, se trouve avoir été l’auteur, à l’époque, d’un des meilleurs témoignages sur l’aventure terroriste de ces années-là, la Mort mercenaire, publié en France aux éditions du Seuil, en 1978, dans lequel il faisait l’autocritique de la bêtise criminelle à laquelle il s’était associé.
Est-ce pour la petite histoire ? Il se trouve que son groupe, celui auquel auraient participé Sonja puis Christian, a été l’auteur d’une formidable révision du corpus des terroristes d’’extrême-gauche de ces années-là, sans équivalent à nos jours, critiquant l’anti-américanisme et l’anti-sionisme considérés encore aujourd’hui comme un socle indépassable pour l’extrême-gauche y compris quand elle n’est pas terroriste. Et c’est dans le mouvement de cette autocritique que les "cellules combattantes", ainsi que s’appelait le groupe de Klein auquel auraient appartenu Sonja et Christian, ont renoncé à toute violence contre les personnes pour se cantonner à des actes purement symboliques, toujours contre des bâtiments donc, en prenant bien soin qu’il n’y ait jamais de victimes.
Est-ce cela leur crime ? D’avoir été des "terroristes" qui se refusaient à la terreur ? Et ce serait pour persécuter ça que les gouvernements, la justice et la police n’ont rien de plus pressé que de violer toutes les règles du droit et de la simple humanité ?
Paris s’éveille
Pour la libération de Sonja Suder et Christian Gauger
Communiqué LDH
Sonja Suder et Christian Gauger, anciens militants politiques allemands radicaux, ont été extradés vers l’Allemagne le mercredi 14 septembre 2011, après quatre ans de procédure et trente-six ans de vie en France.
Elle, Sonja, âgée de 79 ans, lui, Christian 70 ans, reconnu gravement atteint par les séquelles d’un accident cardiaque puis cérébral. Ils ont été arrêtés chez eux au petit matin, et transférés en Allemagne, l’un dans un hôpital carcéral, l’autre en prison à Francfort.
Une expertise médicale avait pourtant conclu à une incompatibilité des pathologies cardiaques et des séquelles neuro-psychiques de Christian avec une mise en détention. Le médecin expert auprès des tribunaux soulignait encore un risque de dégradation irréversible, avec risque d’effondrement psychique au cas où il serait séparé de sa compagne.
Dans une déclaration faite publiquement à propos du cas de Roman Polanski, Nicolas Sarkozy, président de la République, disait qu’une procédure qui s’exercerait trente-deux ans après des faits, et à propos d’un homme âgé de 76 ans, ne serait pas de bonne justice. On pouvait s’autoriser à penser qu’il reconnaissait à ce principe d’un « délai raisonnable » la valeur d’un critère valable pour tous. Il n’en est rien. Il ne s’agissait donc pas d’un principe, mais d’une pratique aléatoire qui ne correspond qu’à la raison d’Etat et aux rapports diplomatiques avec un pays étranger. En l’occurrence, on est plus proche de la vengeance que de la justice.
La LDH demande la libération de Sonia Suder et de Christian Gauger, leur retour dans le lieu de leur choix et l’abandon de poursuites qui n’ont plus de raisons d’être.
Paris, le 26 septembre 2011.
[Source : LDH]
Ils ont osé extrader Sonja SUDER et Christian GAUGER
Sonja Suder et Christian Gauger ont été extradés vers l’Allemagne ce mercredi 14 septembre 2011, après 4 ans de procédure et 36 ans de vie en France. Elle, Sonja, âgée de 79 ans, lui, Christian 70 ans, reconnu gravement atteint par les séquelles d’un accident cardiaque puis cérébral.
Ils ont été enlevés de chez eux au petit matin, “à l’heure du laitier”, chargés, lui sur une ambulance, elle dans une voiture de police, livrés directement, ‘comme une lettre à la poste’, et finalement déposés l’un derrière la porte d’un hôpital carcéral, l’autre derrière le portail d’une prison pour femmes de haute sécurité, à Francfort s/M, République d’Allemagne. Des hommes, tels des prédateurs autorisés, ont frappé avec Autorité à la porte de ce couple, de ces deux vieilles personnes, et les ont réveillés, emportés dans une réalité de cauchemar.
Une expertise médicale déposée au mois d’Avril dernier (octroyée par la Chancellerie en réponse à la demande in extremis de l’avocate, Me Irène Terrel) avait – pourtant ! – conclu à une incompatibilité des pathologies cardiaques et des séquelles neuro-psychiques de Christian avec une mise en détention. Le médecin expert auprès des tribunaux soulignait encore un risque de dégradation irréversible, avec risque d’effondrement psychique au cas où il serait séparé de sa compagne, elle seule capable de réordonner sa mémoire et de stimuler ses émotions et son articulation au réel.
Reprenons cette logique : nous – premier Ministre et garde des Sceaux – déclarons suspendre l’exécution de l’extradition à de nouvelles expertises (les dernières datant de deux ans) ; ces expertises sont faites, elles sont défavorables à l’extradabilité au point de vue médical … donc (sans même attendre qu’elles soient communiquées à l’avocate à laquelle nous les avions concédées)… on extrade ! Il y a ici, au-delà des rouages des machineries judiciaires et politiques d’Etat et d’entre-Etats, une surenchère gratuite, un surplus de cruauté qui font de cet acte une ignominie qui compromet ces hommes de pouvoir !
Dans une déclaration faite publiquement à propos du cas de Roman Polanski, Monsieur Nicolas Sarkozy lui-même, avec l’autorité supposée attachée à son statut de Président de la République, avait rappelé un principe – la temporalité – et en avait conclu qu’une justice qui s’exercerait trente-deux ans après des faits, et à propos d’un homme âgé de 76 ans, serait une justice malade. [« Ce n’est pas une bonne administration de la Justice que de se prononcer trente-deux ans après les faits, alors que l’intéressé a aujourd’hui soixante-seize ans » – N. Sarkozy, Le Figaro, 16.10.2009 ].
On pouvait s’autoriser à penser qu’il reconnaissait à ce principe d’un « délai raisonnable » requis – d’ailleurs énoncé dans le Droit comme une des conditions d’un « procès équitable » – la valeur de critère « égal pour tous », constitutive de toute légitimité possible.
De toute évidence, on se trompait : il s’agissait pour cet homme d’une règle aléatoire, à appliquer d’une façon discriminatoire, arbitraire, “à la tête du client”, à la mesure des connivences de castes…
En se reniant aussi lamentablement au moment d’exercer contre deux personnes une violence qu’il avait la faculté, et donc le choix de ne pas exercer, l’homme Nicolas Sarkozy a perdu la face. Qui le regarde en face, ne voit, comme l’enfant devant le roi nu, que ‘le reste d’un rien’ !
Maintenant, nous avons à Francfort deux otages d’un autre Etat, la République Fédérale d’Allemagne.
Les autorités judiciaires allemandes ne peuvent pas ne pas savoir pertinemment, qu’une instruction, qui commence 36 ans après les faits aussi longue et pénible soit-elle, ne pourra déboucher sur une condamnation [en Allemagne il n’y a pas de procès par contumace, et l’instruction est reprise au début quand les prévenus sont présents]
Il s’agirait donc ici d’une condamnation préventive à la peine de risque de mort.
Avec les avocats et les camarades en Allemagne, nous réclamerons donc, avant toute autre chose, une libération conditionnelle qui les réunisse.
Paris, le 19. IX. 2011
L’assemblée de soutien appelée par les personnes ayant animé le réseau «Maisons-abris, solidarité active »
INTERVIEW DE SONJA ET CHRISTIAN (publiée dans le quotidien berlinois TAZ en mars 2010)
Ils se cachent depuis 22 ans de la police anti-terroriste. Sonja Suder et Christian Gauger parlent de la vie dans la clandestinité et de ce que l’on ressent lorsque l’on est découverts.
Tu regardes toujours s’il y a quelqu’un derrière toi
TAZ : Quand avez-vous remarqué pour la première fois que vous étiez suivis ?
Sonja Suder : C’était en été 1978. Nous étions de retour à Francfort après des vacances dans le sud de la France. Nous sommes partis le matin à six heures pour aller monter notre stand au marché aux puces, sur les quais au bord du Main.
TAZ : Et là vous avez remarqué que vous étiez suivis ?
Sonja Suder : Le matin à six heures, c’est facile de voir quelqu’un, qui te suit de la porte de ta maison jusqu’au marché aux puces, et qui, arrivé là-bas, ne monte pas de stand. On a vérifié l’après-midi, et c’était clair, on était surveillés. Une chaude journée d’été s’annonçait sur Francfort. C’était en août, je crois. Nous devions prendre une décision.
TAZ : Pourquoi ?
Ah ! C’étaient des temps difficiles. C’était un an après l’enlèvement de Schleyer et les morts de Stammheim. Nous avons décidé de partir.
1978
Qui se souvient de 1978, l’année où Sonja Suder et Christian Gauger disparurent, et restèrent introuvables les 22 années qui suivirent ? L’année où l’Argentine gagna la coupe du monde ou l’année qui vit la naissance de l’actuelle vice-présidente du parti “Die Linke”, Katja Kipping. L’Allemagne de l’Est existait encore, et l’Europe de l’Ouest se trouvait encore dans la période post 68. Au Nicaragua, les sandinistes envahissaient le Palais national, et en Italie les BR assassinaient le démocrate-chrétien Aldo Moro.
Lorsque la charge explosa à l’improviste …
Cette même année 1978, au mois de juin, en République Fédérale, une connaissance – selon le Procureur - de Sonja Suder et Christian Gauger, se préparait à poser une bombe au consulat d’Argentine à Munich. Il s’appelait Hermann Feiling, et aurait fait partie comme Sonja Suder et Christian Gauger des milieux proches des Cellules Révolutionnaires. Les RZ étaient difficiles à cerner pour les services de la Sécurité de l’Etat, car depuis leur scission en 1976/77, elles agissaient sans “revendication identifiable “ Le groupe privilégiait les attaques causant des dégâts matériels et essayait contrairement à la RAF d’éviter les victimes.
Selon le Ministère public, aujourd’hui, Sonja Suder et Christian Gauger auraient participé à deux attaques contre des entreprises faisant commerce d’uranium avec l’Afrique du sud, et à un incendie criminel contre le château d’Heidelberg en 1978. C’est pourquoi, le 15 septembre 1978, un juge fédéral émettait un mandat d’arrêt contre les deux militants.
Si Gauger, Suder et Feiling se connaissaient vraiment comme le pensait le ministère public, ils devaient sans aucun doute partager l’idée en 1978 que l’Argentine était un Etat de “non-droit”. En 1976, un putsch militaire avait eu lieu en Argentine, faisant plus de 30 000 morts. Et, c’est dans ce contexte qu’eut lieu dans des conditions scandaleuses la coupe du monde de football. La coalition socio-libérale de Bonn acceptait que les entreprises allemandes commercent avec la dictature argentine, alors qu’elle n’aidait que timidement les citoyens allemands soumis à la torture dans ce pays. Même s’il furent peu nombreux, ceux qui, comme Hermann Feiling, tentèrent pour cela de poser une bombe contre le Consulat d’Argentine, les raisons n’en étaient pas moins nombreuses et sérieuses pour un tel acte. L’attentat n’eut jamais lieu. Pour Hermann Feiling, “relation” supposée de Suder et Gauger, la préparation de cette action fut fatale. La charge explosa en avance, le 23 juin à Heidelberg. Feiling perdit ses deux jambes et ses yeux.
Gravement blessé, il fut manifestement interrogé par les enquêteurs, alors qu’il était encore à la clinique universitaire d’Heidelberg. D’après ses amis et avocats, il fut isolé pendant des semaines et des mois, afin de tenter de lui soutirer des informations, sur l’organisation des cellules révolutionnaires et sur Suder et Gauger. Les enquêteurs consignèrent les déclarations de Feiling qu’ils auraient recueillies lors de ces interrogatoires, alors qu’il était sous traitement pharmaceutique et sans assistance juridique de son choix, déclarations qu’il contestera plus tard.
Quelques semaines après l’accident de Feiling, Suder et Gauger repérèrent les équipes de surveillance à Francfort et décidèrent de s’y soustraire. Depuis, ils auraient habité quelque part à l’étranger, et n’auraient plus été actifs au sein des Cellules Révolutionnaires – si tant est qu’ils ne l’aient jamais été.
Comme le confirme le Procureur de Francfort à la suite du dépôt d’une requête, les soupçons contre Suder et Gauger "s’appuient essentiellement sur les déclarations du témoin Feiling en 1978”. Ce n’est qu’en 1999, selon les autorités que s’ajouta contre Sonja Suder un nouveau chef d’inculpation : participation à la prise d’otages du siège de l’OPEP à Vienne et complicité dans une tentative d’assassinat.
Les délais de prescription pour les faits qui étaient reprochés originellement à Suder et Gauger sont de 20 ans. La prescription arrivait donc à son terme en 1998. Mais, d’après le procureur, cette prescription « a été interrompue à multiples reprises » et « les délais pouvaient être prolongés au maximum au double de la période prévue originellement, soit 40 années ». Un incendie volontaire commis en 1978 (prescription 10 ans) peut être requalifié en incendie volontaire mettant en danger la vie d’autrui (prescription 20 ans), prescription qui peut elle-même s’étendre à 40 ans.
En 2000 survient la découverte et l’arrestation spectaculaire des deux ”retraités des RZ” (comme on les a appelés à Paris). Depuis, les administrations française et allemande bataillent ferme autour de Suder et Gauger. En 2001, la France rejette la demande d’extradition. Cependant, la nouvelle loi européenne sur la détention (EU-Haftbefehl), pourrait se retourner contre les deux “gauchistes septuagénaires”. Pour l’heure, l’affaire est entre les mains de la justice française. Personne ne sait si la France acceptera l’extradition.
2010.
Paris, St Denis, à côté de l’Université Paris 8. Sur de petits terrains, des petites maisons, au loin, en arrière plan se profilent des gratte-ciels. Journée froide et humide, presque personne dans les rues. Dans une de ces petites maisons, ou plus exactement dans une minuscule partie d’une de ces petites maison vivent Sonja Suder et Christian Gauger depuis leur arrestation. Sonja Suder est âgée de 77 ans et Christian Gauger de 68 ans. Ils formaient déjà un couple avant leur cavale en 1978. C’est la première fois qu’ils parlent avec des journalistes allemands. Pour la discussion, il y a du thé et des gâteaux, le studio ne fait pas 16 m2.
Passée dans la clandestinité juste avant son diplôme.
Deux décennies plus tard, que ressent-on, quand on s’est attaqué à des entreprises qui commerçaient avec le régime d’apartheid de l’Afrique de Sud, que l’on a disparu et vécu dans la clandestinité en France, pour finalement être découvert et arrêté ? Suder et Gauger sourient. Ils n’aborderont pas ces thèmes. Ils n’ont accepté cette interview avec le Taz qu’à la condition de ne pas avoir à répondre à des questions qui pourraient avoir une importance sur le plan juridique par rapport aux procédures entamées contre eux. Ils ne diront pas s’ils ont des responsabilités par rapport aux faits qui leur sont reprochés, et dans ce cas, lesquelles.
TAZ : Depuis quand vivez vous en exil ?
Sonja Suder : Depuis 1978
Vous avez auparavant vécu à Francfort ?
Suder : Oui, j’ai fait médecine. Quand nous sommes partis, j’avais presque fini.
TAZ : Quel âge aviez-vous alors ?
Suder : J’avais à peu près 45 ans
TAZ : Et vous M. Gauger ?
J’ai aussi vécu à Francfort. J’avais un diplôme en psychologie et travaillais avec des pédagogues spécialisés à l’université.
TAZ : En tant que chercheur ?
Non, en tant « qu’employé de recherche », ça s’appelait comme ça à l’époque.
Gauger examine le journaliste, il sirote sa tasse de thé, il boit comme Suder de la tisane aux herbes, il est concentré, calme. Ses cheveux blancs sont noués en arrière, le visage est encadré d’une barbe poivre et sel. Avec sa chemise à fleur, et son léger accent de l’Hesse, il pourrait sortir tout droit d’une boutique d’antiquaire de Frankfort-Bockenheim. Sonja Suder conduit la discussion, ses 77 ans, on ne les remarque pas. C’est une personne, alerte, pleine de vie, spontanée avec une voix décidée, elle s’habille de manière sportive et en noir, elle a les cheveux courts et foncés.
La chambre à St Denis est meublée de vieux meubles en bois de récupération, agréable et discrète, une chambre comme on en voit dans les communautés alternatives. L’anti-consumérisme semble être une idéologie bien pratique pour la vie spartiate de clandestins, sans retraites ni revenus fixes. À côté des livres, d’innombrables porte-couteaux, on utilise volontiers les porte-couteaux en France pour ne pas salir la table entre les plats. Ils sont en porcelaine, en métal, de différents matériaux, simples ou finement ouvragés. Tout homme a un hobby et la collection de porte-couteaux est celui de Christian Gauger. Il parle lentement, d’un ton presque traînant. En 1997 il a eu une infarctus et est tombé dans le coma.
TAZ : Comment était la situation quand vous avez été arrêtés en 2000 ?
Suder: Nous étions à ce moment-là, à Paris, et nous sortions de l’hôtel quand ils nous ont arrêtés. Tout est allé très vite, mains en l’air, et bras et visage contre le mur.
TAZ : La police française ?
Suder : Oui, la police française.
TAZ : Pas d’Allemand avec eux ?
Suder : Non, c’est seulement plus tard, au commissariat, chez les flics, là il y avait aussi des Allemands. Certes, ils ne se sont pas montrés, mais on les entendait parler entre eux.
TAZ : Pour vous, c’est important de dire les « flics » ?
Suder (elle rit) : Non, on peut dire aussi la police.
TAZ : En 2000, pensiez- vous que vous puissiez être arrêtés ?
Suder : Non, pas à ce moment-là en particulier. Même si tu as une conception de la vie qui fait que tu sais que cela peut arriver à tout moment. En fait, on ne sait jamais, ce qui est en train de se passer. Alors on s’y attend toujours.
TAZ : Il n’y avait donc pas d’éléments concrets que vous auriez remarqués ?
Non, bien qu’ils devaient nous surveiller déjà depuis un certain temps.
TAZ : Savez-vous comment on a pu vous retrouver après 22 ans ?
Suder : Non, ce n’est pas clair. Nous avons rencontré à cette époque une parente, peut-être l’ont-ils suivie.
TAZ : Pensez vous que vous avez été activement recherchés tout ce temps ?
Suder : Non, je ne crois pas. Jusqu’au témoignage de Klein en 1998/99 ; nous n’étions même pas dans le fichier de recherche européen, cela a dû changer après.
Hans-Joachim Klein a participé à la prise d’otage de l’OPEP en 1975 à Vienne. Il s’est distancié par la suite du terrorisme et a été découvert en France seulement en 1998. Après son arrestation, il affirmait pour la première fois en 1999, que Sonja Suder pourrait avoir participé à la logistique de la prise d’otage de l’OPEP.
TAZ : Jusqu’en 1999, il n’y avait aucun mandat international ?
Suder : Non, d’après nos avocats. C’est certainement pourquoi on ne nous a pas embêtés avant.
TAZ : M. Gauger, vous restez très en retrait. Vous ne voulez pas participer vraiment à notre conversation ?
Gauger : Il y a beaucoup de choses dont je ne me souviens pas personnellement. J’ai eu une attaque et je suis resté dans le coma.
C’était quand ?
Suder : 1997.
Gauger : J’ai eu un arrêt du coeur, j’étais pratiquement mort. Sonja m’a ramené à la vie. [Arrêt du cœur, avec les conséquences que cela entraîne sur le fonctionnement du cerveau et la mémoire, comme l’attestent les certificats médicaux français.]
TAZ : Votre fausse identité était-elle si bonne que vous avez pu prétendre à des soins médicaux ?
Il fallait bien ! Ne serait-ce que pour les contrôles et les médicaments. La "rééducation", je l’ai assurée toute seule avec lui, c’était une situation absurde.
TAZ : Et vous n’avez pas été découverts ?
Non, “parfois on a eu peur”, mais avec des gens de notre âge, les gens sont moins méfiants.
Gauger : J’avais complètement perdu la mémoire.
TAZ : Mais Sonja Suder, vous l’avez reconnue ?
Suder : Ce qui m’a beaucoup étonnée, je dois dire.
Gauger : Mais avant, je savais pas qu’elle existait, c’est seulement quand elle est rentrée dans la chambre que je l’ai reconnue.
TAZ : Que ressent-on quand on a tout oublié, que l’on vit dans la clandestinité, que l’on ne peut faire confiance qu’à une seule personne, qui vous apprend qui vous êtes ?
Gauger : À un moment est apparue la peur. Oh merde, qu’est ce qui va se passer si jamais je reste idiot ? Mais lorsque cette crainte est apparue, c’est aussi le moment où je me suis aperçu que je recommençais à penser par moi-même. Cela a duré un certain temps.
TAZ : Sonja a dû aussi vous expliquer pourquoi vous viviez dans la clandestinité ?
Gauger : Oui, mais je ne sais pas si elle m’a tout raconté. Ça je ne le sais pas.
Suder : Ce n’est pas possible, tu ne peux pas raconter toute une vie. Quand on t’interroge, et en travaillant avec certains livres sur la rééducation, tu peux re-raconter, mais en aucun cas on ne doit surcharger la tête d’informations. Cela revient petit à petit.
TAZ : Entre 1997 et 2000, entre l’arrêt cardiaque et l’arrestation, il ne s’est pas écoulé beaucoup de temps.
Suder : Non, mais son état s’était déjà stabilisé. Le moment dont il parlait tout à l’heure, c’était après un an et demi de rééducation. Mais jusqu’à aujourd’hui, Christian me demande des choses sur son passé. Et nous continuons de fait la rééducation.
TAZ : Vous avez été séparés juste après l’arrestation ?
Suder : Oui, tout de suite.
TAZ : Vous avez encore de la famille en Allemagne ?
Suder : Oui, nous avons tous les deux des contacts avec nos soeurs.
TAZ : M. Gauger, alors aujourd’hui vous pouvez vérifier vous-même si ce que Mme Suder vous a raconté, est exact ?
Gauger : Oui, en tout cas, c’est devenu plus facile.
TAZ : Quelle a été votre attitude pendant les interrogatoires après votre arrestation ?
Suder : Quand tu t’es mis d’accord auparavant : “S’il se passe quelque chose, pas un mot, pas une déclaration” tu te sens très sûre de toi.
TAZ : Lors de la première procédure 2000/2001, combien de temps êtes-vous restés en préventive ?
Suder : Pas tout à fait trois mois. Christian était à Paris, la prison des femmes était en dehors.
TAZ : Ce fut votre premier séjour en prison ?
Suder : Oui, j’étais à la fin de la soixantaine, Christian au début.
TAZ : Comment cela s’est passé en prison ?
Suder : On dit que les prisons françaises sont les pires du monde. Mais, moi, je ne peux pas dire ça. Je suis arrivée dans une cellule et j’ai eu le droit à la promenade normale. J’ai tout de suite rencontré des détenues basques. A partir de ce moment, tout s’est organisé de soi-même pour que j’aie ce dont j’avais besoin, évidemment cela se passait sous le manteau. J’ai donc été un peu privilégiée. Cette solidarité m’a fascinée.
TAZ : Qu’est ce qui était le plus dur en prison ?
Suder : Le bruit. Toutes les entrées sont fermées par des portes en fer, ouvertes et claquées en permanence. C’est un bruit continuel. Un bruit incroyable. L’enfermement en lui-même n’était pas le pire pour moi, on s’y prépare un peu à l’avance. Tu dois tout de suite réfléchir à ce que tu peux faire. Du sport, lire.
TAZ : Et vous M.Gauger, comment cela s’est-il passé pour vous ?
À la promenade, il y a tout de suite un type qui est venu me trouver, il savait déjà qui j’étais. Alors, avec lui et un autre gars, on se retrouvait toujours ensemble en promenade. En cellule, on était trois. Ce qui m’était désagréable, c’était les lits superposés. Au troisième, c’est déjà vachement haut, tu peux être pris de vertiges. Sinon : les souris et les blattes, mais ça, ce sont des animaux domestiques. C’est de toutes façons bien mieux qu’une cellule blanche, tout seul, où tu n’entends ni ne voit personne.
TAZ : Qu’est ce qu’on ressent quand on est arrêté après 20 ans de cavale ?
Suder : Cette fois-ci, ça y est, ils nous ont eus.
Gauger : Moi je me suis dis : ce n’est pas nécessaire.
TAZ : Savez-vous exactement ce qui vous est reproché ?
Suder : Trois attentats, deux contre le programme nucléaire du régime d’apartheid qui régnait à l’époque en Afrique du Sud, un contre les programmes de rénovation de la ville d’Heidelberg. Et pour moi, Vienne en plus. L’histoire de l’OPEP, avec cette histoire d’accusation de complicité de meurtre. En France, ces faits aussi seraient prescrits. Les seuls faits non prescrits ici sont les crimes contre l’humanité.
TAZ : Avez-vous été surprise par l’accusation de participation à Vienne ?
Suder : Oui.
1975
L’arrestation de Klein en 1998, comme ses affirmations quant à la participation de Suder sont une surprise totale. En Décembre 1975, Klein a dirigé un commando, responsable de la mort de trois personnes à Vienne, sous la direction de Ilich Ramirez Sanchez, plus connu sous le nom de Carlos. Lors de l’action, Klein, lui-même blessé, et d’autres membres du commando réussirent à prendre la fuite avec des ministres de l’OPEP comme otages. En 1976, un commando germano-palestinien détourne ensuite un avion d’Air France sur Entebbe, au cours de l’opération Wilfried Böse et Brigitte Kuhlmann, considérés comme les chefs historiques des Cellules Communistes, sont tués. Après cette mort, les Cellules Révolutionnaires se reforment et s’éloignent des groupes du Moyen-Orient et des méthodes de Carlos. Ils critiquent l’anti-américanisme et l’anti-sionisme de « la gauche anti-impérialiste », et préconisent des attentats qui ne provoquent pas de victimes.
Sur requête pour complément d’information, le Parquet de Francfort confirme aujourd’hui, qu’avant 1999 et mis à part les déclarations de Klein, il n’y a aucun indice permettant de soupçonner que Suder aurait appartenu aux RZ dans cette première phase et jusqu’en 1976.
Klein – dont la crédibilité est souvent comparée à celle de Peter-Jürgen Boock, ex-membre de la RAF et notoire « raconteur d’histoires » – a accusé en 1999, des membres des Cellules révolutionnaires ainsi que d’autres personnes d’avoir participé à l’attaque contre l’OPEP, Rudolf Schindler comparaissait déjà pour cette raison en 2001 devant le tribunal de grande instance de Francfort. Il a été acquitté de l’accusation de participation à la prise d’otages de Vienne, malgré les déclarations de Klein. La Cour mettant en doute « les certitudes de Klein suite à la présentation des photos d’identité judiciaire le 2.9.1999 ». En effet, celui-ci accusait Schindler mais également Suder bien « qu’auparavant il n’ait jamais mentionné la présence d’une autre femme » déclarait le Tribunal en 2001. Aujourd’hui encore, en dehors des affirmations de Klein, la justice ne possède aucun autre fait contre Suder dans l’affaire de l’OPEP.
TAZ : Durant toutes ces années, les faits concernant les années 70, étaient-ils toujours présents, alors que cela devenait une phase toujours plus éloignée de votre vie ? Pouviez-vous vivre une vie normale ?
Suder : Au début non. Tu regardes toujours si tu as quelqu’un derrière toi, si tu entends parler allemand.
Gauger : Pas de contact avec des Allemands, c’est important.
TAZ : Mme Suder, M. Gauger vous êtes-vous déjà posé la question pendant toutes ces années : l’histoire est si ancienne, est-ce que cela a encore un sens, rentrons et affrontons le passé ?
Suder : Moi, non. Et toi Christian ?
Gauger : Si, s’ils avaient levé les mandats d’arrêt.
Suder : Très drôle. Mais maintenant, si la France devait décider de donner suite à la demande d’extradition, nous devrons affronter le procès en Allemagne.
TAZ : Le groupe dont vous êtes accusés d’avoir fait partie s’est dissout définitivement au début des années 90. Cela a-t-il eu finalement un impact quelconque sur la procédure ?
Suder : Juridiquement aucun. Après la nouvelle jurisprudence européenne en 2007, nous avons été arrêtés une seconde fois en France. Christian pendant 14 jours, moi pendant un mois. Depuis 2007, nous devons compter avec une extradition possible à tout moment bien que la France l’ait refusée en 2001.
TAZ : Après votre arrestation en 2000 puis le rejet de la demande d’extradition, vous viviez pour la première fois légalement à Paris. Comment ça a été pour vous ?
Suder : Quand tu vis en permanence en ayant dû te forger « une nouvelle histoire», tu peux difficilement construire des amitiés. Nous avons vécu toutes ces années plutôt retirés. À Paris, au début nous n’avions aucun contact. Notre avocate nous a présenté un camarade italien, afin que nous puissions au moins donner une adresse pour pouvoir sortir de prison. Puis une femme très gentille s’est occupée de nous. Je crois qu’en Allemagne tout aurait été un peu plus difficile. La culture républicaine en France a une tradition plusieurs fois centenaire d’accueil des exilés. Des gens que nous ne connaissions pas sont partis dans le sud de la France et nous ont laissé leur maison et nous avons pu commencer à chercher notre propre maison à Paris. Ils ne nous connaissaient pas, pas plus que notre histoire, mais ils nous ont tout simplement aidés. Nous nous sommes vite intégrés à la communauté italienne des exilés des années 70, à leurs discussions comme à leurs fêtes. Ils sont très solidaires. Nous avons eu beaucoup de chance.
De Francfort à Paris
1. Clandestins : Durant l’été 1978, à Francfort, Sonja Suder et Christian Gauger se rendent compte qu’ils sont suivis. Ils partent à l’étranger sous une fausse identité. Ils ont probablement vécu en France, en dernier lieu à Lille, dans le Nord de la France. En 1997, Gauger fait un infarctus et perd la mémoire, y compris celle de sa fausse identité.
2. Retrouvés : en 2000, ils sont découverts et arrêtés devant un hôtel à Paris. Séparés, ils passent quelques mois en détention préventive. Depuis, Suder, 77 ans et Gauger, 68 ans, vivent à Paris légalement. L’Allemagne demande leur extradition à la France, en vain jusqu’à maintenant. [Malheureusement plus depuis l’extradition intervenue le 14 septembre 2011.]
3. Inculpés : Le couple est accusé aujourd’hui, par le Procureur de Francfort sur le Main, d’avoir participé en 1977, à des attentats contre des entreprises ainsi qu’à celui contre le château de Heidelberg en 1978. Suder quant à elle, est également accusée de complicité de meurtre, lors de l’attaque de la conférence de l’OPEP en 1975 à Vienne, où trois personnes ont trouvé la mort. Cette dernière accusation repose sur les seules déclarations de l’ex-terroriste Hans-Joachim Klein.
Publié le 21.03.2010 dans l’édition dominicale du TAZ, quotidien berlinois.