À l’occasion de l’entrée en vigueur du nouveau mode d’emploi socialiste du Ceseda (code d’entrée et séjour des étrangers), avait été annoncée aux médias la fin de deux abus administratifs : l’inégalité de traitement des dossiers par les préfectures, donc l’arbitraire frappant de leurs décisions. Depuis, c’est le contraire qui se produit, la pagaille la plus invraisemblable règne dans les bureaux préfectoraux. À la mi-décembre 2012 nous avons demandé à Yves, militant Resf 18e, de nous illustrer par des exemples la situation à la préfecture et dans les centres de réception des étrangers (CRE) parisiens.
Qui n’a jamais mis les pieds dans un CRE (il y en a quatre à Paris) s’étonne quand on lui dit que non seulement dans ces centres, mais même à chaque étage de la préfecture de Paris on applique « la loi » (Ceseda et circulaires ministérielles) de façon arbitraire et différente.
Exemple : quand il dépose son dossier de régularisation, un étranger doit recevoir immédiatement un récépissé de demande de séjour, si le dossier est recevable. C’est rarement le cas, et il est impossible de savoir pourquoi. L’argument avancé est que la convocation pour le rendez-vous d’examen du dossier a « valeur de récépissé » lors d’un contrôle de police…
Autre exemple : la « procédure 1511 ». Quand il reçoit un récépissé de titre de séjour l’autorisant à travailler, l’étranger doit recevoir immédiatement, le jour même, la convocation pour la visite médicale à l’issue de laquelle il aura le titre de séjour plastifié. Au bureau 1511 (1er étage de la préfecture de police, où étaient traités jusqu’en décembre 2012 les dossiers particuliers, comme ceux soutenus par un député, les salariés asiatiques CGT, les Chinois ayant gagné au tribunal administratif, d’autres cas d’Asiatiques mystérieusement choisis…), ce n’était pas toujours le cas ; à tel point que le fait de faire revenir l’étranger régularisé quatre mois plus tard avec contrat, fiches de paye et « certificat code 10 » de la sécu (à ne pas confondre avec la CMU ou la carte vitale) pour lui donner le rendez-vous de la visite médicale, et, si le code 10 ne lui a pas été délivré entre-temps, de lui donner un deuxième récépissé de quatre mois, nous l’appelons entre nous « procédure 1511 ». Désormais le bureau 1511 a été intégré à la salle Asie Océanie, la chef du 1511 est devenue la chef de cette salle, et avec elle la procédure aussi est descendue d’un étage… Enfin, pas toujours, mais au cas par cas, la politique discriminatoire et aberrante du 1511 s’applique désormais à l’ensemble des Asiatiques, plus particulièrement aux Chinois.
Un troisième exemple : selon la circulaire un étranger qui vit en France depuis cinq ans et dont l’enfant y est scolarisé depuis trois, peut demander sa régularisation. Aux CRE, tantôt il s’agit de trois ans révolus, donc quatre, tantôt de trois ans non révolus… C’est à cette loterie des guichets que se joue le sort de familles entières avec enfants.
Dans nos listes de diffusion on trouve plein d’exemples tout aussi parlants sur l’effarante diversité et l’arbitraire des procédures aux guichets. Voici un échantillon de ce qu’on peut y trouver : « 13 décembre, salle Asie Océanie. Arbitraire le plus total dans la distribution des cartes "vie privée et familiale" avec autorisation de travail. Certains ont eu le rendez-vous pour la visite médicale le jour même (traduire en avril) ; d’autres doivent suivre la procédure 1511 même s’ils n’ont jamais mis les pieds au 1511... » Continuons : « Arbitraire le plus total dans les questions : certains guichets posent les questions classiques ; d’autres innovent en sautant sans cesse d’un sujet à l’autre ; d’autres ne posent pratiquement pas de questions. Avec évidemment les résultats les plus divers, sans cohérence aucune. » En fait le DILF (diplôme initial de langue française), examen pourtant officiel, compte moins que les pseudo tests de langue aux guichets qui sont menés dans l’arbitraire le plus total. Certains fonctionnaires posent des questions surtout sur les fruits et légumes (?!), d’autres sur les monuments parisiens, d’autres sautent d’un sujet à l’autre pour déstabiliser les interrogés, d’autres enfin essaient de suivre une certaine progressivité, en parlant lentement et de façon intelligible.
Prenons l’exemple des preuves de présence en France. Là on a droit à la plus grande fantaisie. Le même type de document est jugé acceptable ou non à la tête… du guichetier. C’est-à-dire que ce qui est inacceptable au guichet X est bienvenu au guichet Y. Les quittances EDF, tantôt elles sont jugées « sérieuses » dans le cas d’un couple, tantôt, s’il n’y figure qu’un nom, le fonctionnaire, même si tous les autres papiers du couple sont à la même adresse, vous explique doctement qu’il est bien possible que mari et femme vivent à la même adresse mais à deux étages différents, donc qu’il sont séparés ! Idem pour les factures de téléphone ou d’internet, ou pour les relevés bancaires, tantôt censés ne rien prouver, tantôt considérés comme preuves de présence continue en France. Idem pour les ordonnances de médecins privés, les factures d’hôtel, etc.
Je pourrais continuer très longtemps, je préfère conclure en citant une employée fort sympathique : « Depuis quand la préfecture applique-t-elle la loi ? »… Ou encore par ce que m’a dit une chef de salle : « Même si nos consignes sont injustes et connes, nous sommes là pour les appliquer. » Devant tant de franchise (de cynisme ?), qui peut encore avoir des illusions sur le respect des droits et des lois dans cette France républicaine ?
Pour le rôle de Resf par rapport à la circulaire (notamment le communiqué qui a salué des « avancées »), je peux t’affirmer que jusqu’à la dernière minute certaines personnes de Resf ont cru qu’elles allaient pouvoir influencer son contenu ; c’était pour moi la seule raison valable de participer à ces consultations. Entre l’élection de Hollande et maintenant, l’argumentation de Resf est passée de l’interrogation (« Valls chausse-t-il les pantoufles de Guéant ? ») à l’affirmation naïve sur la double face du ministre (une carte postale a même été éditée montrant Valls parrainant des sans-papiers), à l’insulte gratuite suite à l’expulsion d’un jeune Pakistanais (« le Père Manuel est-il une ordure ? »), et désormais à une « chronique de l’intolérable ». Le tout accompagné d’appels désespérés à « nos élus » (socialistes) à se ressaisir. Difficile de comprendre toutes ces volte-face tactiques.
Je ne peux que reprendre ici ce que j’ai écrit sur nos listes Resf 75 le 4 décembre dernier. Le ministère a utilisé la caution de la présence d’associations et de Resf à des « consultations » pour faire croire qu’il tiendrait compte de leur avis. Leur avis il s’en moque. Nous ne l’avons pas dit publiquement pendant les consultations ; par notre silence nous avons laissé croire que nous pouvions changer (un peu) les choses. Mais la préfecture continue à faire ce pour quoi elle est faite : limiter les « flux migratoires », multiplier les catégories et sous-catégories pour rendre la situation des étrangers tellement invivable qu’ils n’aient qu’une envie : aller ailleurs. Cessons de croire qu’il s’agit de maladresses, de méchanceté particulière de tel ministre, cessons d’entretenir des illusions chez des personnes qui nous font confiance. Sinon, il ne faudra pas se plaindre des retours de bâton... On le voit déjà quand nous sommes considérés comme responsables des choix iniques de la justice, attribués à l’« incompétence » de l’avocat que nous avons conseillé. Qu’est-ce que ça va être si on continue à parler d’avancées, et puis de méchants qui y font obstacle en préfecture ?... Il faut tenir le langage de la vérité. La situation des sans-papiers va empirer. Cette circulaire est un rideau de fumée, elle ne simplifie rien, elle est faite pour soulever des espérances qui seront déçues.