Les expulsions de campements de roms que Manuel Valls a ordonnées ces jours-ci – au cœur de l’été, à l’heure où nombre de citoyens sont déconnectés de tout –, ne sont pas seulement d’une ampleur inusitée, mais sont de plus assorties d’une instruction très particulière : les personnes expulsées de campements où elles résidaient, semble-t-il à la suite de décisions de justice, sont empêchées par la police de se poser où que ce soit…
Le Préfet Lambert-Papon avait inventé cette formule en Seine St-Denis, il y a deux ans : interdiction de se poser “ni sur un trottoir ni dans un square”. Il n’y avait eu d’autre solution alors que d’ouvrir un local associatif dans le XXème arrondissement, une bibliothèque, où certains trouvent encore refuge aujourd’hui. C’était, dans l’urgence, la seule solution : que des citoyens assument de mettre sous leur protection ces personnes persécutées par l’État.
Cette mesure insensée – dont les flics qui l’exécutaient reconnaissaient eux-mêmes combien elle est inhumaine –, était alors expérimentale, et s’était appliquée à un groupe d’une cinquantaine de personnes. Dans la région lyonnaise, aujourd’hui, sous l’autorité du nouveau gouvernement de gauche-raciste, elle est imposée à grande échelle, par un autre véritable Papon de notre temps, le Préfet Carenco.
"Toute la journée, nous avons dû marcher parce que la police nous empêchait de nous reposer et de poser nos affaires. “Ce sont les ordres”, disait le chef de la police."
"Nous avons marché une bonne partie de la journée avant de nous reposer dans un parc. La police nous surveillait mais elle nous a laissé un peu de répit. Le soir, ils sont revenus nous dire qu’on ne pouvait pas rester là. Nous avons demandé où il fallait aller, ils nous ont dit qu’ils ne savaient pas. Que les ordres, c’était de nous faire partir."
Cette instruction particulière, c’est la chasse sans fin. Des familles entières, avec des personnes âgées ou malades, avec les mamans portant leurs bébés dans les bras, sont ainsi empêchées de trouver tout repos. Pourchassées jour et nuit, sans possibilité de se poser nulle part.
Depuis plus d’un siècle maintenant que s’impose en France un "carnet de circulation" pour ceux qu’on a appelé "gens du voyage", la France s’est certes distinguée au palmarès plutôt sombre du racisme anti-tziganes. Encore aujourd’hui, avec une Assemblée nationale et un Sénat majoritairement de "gauche", cette disposition attentatoire au principe même d’une République n’a toujours pas été abrogée, alors que son centenaire a pu se "célébrer" en juillet, sans que nos vaillants législateurs aient l’idée de rétablir les droits de citoyenneté pour les centaines de milliers de personnes que ceci concerne.
Il semble que cela ne soit pas du tout l’idée du gouvernement de François Hollande qui a, au contraire, choisit de se distinguer en engageant une campagne estivale raciste, s’inspirant directement de son prédécesseur, auquel ceci aura pourtant coûté la présidence. On se souvient que la commissaire européenne aux droits de l’homme, Viviane Reading, avait alors menacé d’engager des poursuites contre la France. Celle-ci s’est à nouveau inquiétée déclarant qu’elle entendait examiner le comportement des nouvelles autorités françaises.
Si Nicolas Sarkozy prétendait incarner une droite "sans complexes", il faut bien reconnaître que nous sommes face à une gauche qui est réellement sans complexes, parfaitement disposée à surenchérir dans l’abjection.
Croyant bien faire en flattant son extrême-droite, celle-ci prend des risques. Non par rapport à ses électeurs qu’elle assume de trahir et de perdre sans aucune ambiguïté, mais vis-à-vis de la justice.
La chasse sans fin est certainement constitutive de ce qui s’appelle en droit traitements inhumains et dégradants. Plus encore, la dimension de l’atteinte portée aujourd’hui contre des groupes humains par le Préfet de la région Rhône-Alpes, est un crime d’une nature qui s’apparente au crime contre l’humanité.
La cour pénale internationale devrait pouvoir être saisie.
Collectif contre la xénophobie
Enfants Roms: l’autre tweet de Valérie
11 Août 2012
@Valtrier
Je m’appelle Marcel et j’ai 7 ans. Je fais partie des 900 Roms de Lyon que monsieur Valls a décidé de jeter à la rue en application de décisions de justice dont je ne conteste nullement la légalité mais dont je voudrais porter à votre connaissance l’inhumanité.
Je pensais tout d’abord vous envoyer moi aussi un tweet, mais devant tout ce que le gouvernement et la police nous font subir en ce moment, je n’ai pas pu me limiter à 140 caractères et je vous prie de m’en excuser. J’ai donc décidé de vous écrire une lettre. Si tout cela continue, c’est un livre que je vous enverrai.
Il y a quelques mois, j’ai lu un de vos tweets, ou plutôt deux. Je ne veux pas vous parler de celui qui a fait les premières pages alors qu’il aurait dû être oublié mais plutôt de celui qui a été oublié alors qu’il aurait dû faire les premières pages.
Vous avez écrit : « Rapport de l’Unicef: 10% d’ enfants pauvres en France. Une information qui mériterait l’indignation et la Une. Pas la banalisation. »
Tout d’abord, je voulais vous remercier pour l’attention que vous portez aux plus démunis et particulièrement aux enfants pauvres. Je voulais aussi vous signaler que selon ce même rapport de l’Unicef, le taux de pauvreté qui frappe les enfants en Roumanie n’est pas de 10%, mais de … 76%. (1) Vous comprenez sans doute pourquoi mes parents ont décidé un jour de tout quitter pour venir s’installer en France. Qu’auriez-vous fait à leur place ? Vous seriez restée en Roumanie ou vous auriez décidé de partir dans l’espoir de donner une vie meilleure à vos enfants ?
Une vie meilleure… Quelle utopie… Depuis quelques jours, c’est un véritable enfer que je vis avec ma famille.
Mardi matin, j’ai été expulsé « d’un campement insalubre » en application d’une décision de justice. Je ne sais pas pourquoi cette expulsion a eu lieu au mois d’août. Le jugement et le commandement de quitter les lieux ont été notifiés au mois de mai. De mauvaises langues disent que monsieur Valls a attendu le milieu de l’été pour expulser tout le monde en même temps dans l’espoir que cela passerait inaperçu.
Toute la journée, nous avons dû marcher parce que la police nous empêchait de nous reposer et de poser nos affaires. « Ce sont les ordres » disait le chef de la police. Une voiture de policiers en civil nous a suivis partout. On s’est sentis traqués comme des bêtes. Le soir, nous avons trouvé un endroit au milieu de nulle part. Il y avait déjà des Roms qui venaient d’un autre campement expulsé. Nous avons construit des abris de fortune avec des bouts de bois et des branches. La nuit je n’ai pas dormi. J’avais peur. Il y avait beaucoup de bruits étranges. Avant nous, il y avait d’autres animaux qui occupaient cet endroit. Ils ne devaient pas être très contents que nous soyons ici. Plus personne ne veut de nous.
Le lendemain matin, des policiers en civil sont venus nous dire de partir. Nous avons dit que nous avions le droit de rester parce que les premières personnes étaient arrivées ici il y a une semaine. Le chef de la police à appelé quelqu’un au téléphone et puis au bout d’une heure, il nous a dit que non, qu’il fallait partir tout de suite ou alors qu’il appellerait des renforts. Nous avons refusé. Des dizaines de CRS sont arrivés. Ils nous criaient dessus : « Dégage », « Retourne dans ton pays », «Si ça ne tenait qu’à moi, je les mettrais tous dans un train et direction, la Roumanie ». Je ne comprends pas pourquoi ils nous parlent comme ça. Mon pays c’est la France, je vais à l’école, je parle français et je n’ai jamais mis les pieds en Roumanie.
Nous avons marché une bonne partie de la journée avant de nous reposer dans un parc. La police nous surveillait mais elle nous a laissé un peu de répit. Le soir, ils sont revenus nous dire qu’on ne pouvait pas rester là. Nous avons demandé où il fallait aller, ils nous ont dit qu’ils ne savaient pas. Que les ordres, c’était de nous faire partir ou alors ils allaient encore appeler les policiers en noirs qui veulent nous mettre dans des trains. Alors nous sommes partis, nous sommes retournés au même endroit que la veille… Tout cela n’a pas de sens, on tourne en rond.
Quelqu’un que vous connaissez très bien avait écrit qu’il n’y aurait plus d’expulsions de campements de Roms sans propositions de relogement. (2) Je ne demande même pas un relogement. Je demande juste qu’on me traite comme un être humain et non pas comme un animal.
Alors, voilà la situation, Madame.
Cela fait 5 jours que nous n’avons pas dormi. Nous n’avons plus rien à manger et plus rien à boire. Ma maman a la main toute gonflée suite à la morsure d’un animal. J’ai des boutons sur tout le corps à cause des piqûres d’insectes.
Cela fait 5 jours que personne ne s’est lavé et que nous portons les mêmes habits. Ma sœur vient de faire une infection urinaire et nous devons l’emmener à l’hôpital. Elle pleure tout le temps tellement elle souffre.
Cela fait 5 jours que la police nous chasse, nous traque, nous empêche de nous reposer le jour et nous réveille tous les matins en nous criant dessus.
La police dit qu’elle applique les ordres, le préfet, monsieur Carenco dit qu’il applique les ordres. Personne n’est responsable, tout le monde applique des ordres. Mais qui donc donne les ordres ? Qui peut donner l’ordre barbare de pourchasser ainsi nuit et jour des êtres humains ?
On me dit souvent que je ressemble à Gavroche. Si vous ne dites pas à celui qui partage votre vie tout ce qu’on nous fait subir, je chanterai partout :
Je ne suis pas notaire, je suis petit oiseau, joie est mon caractère, misère est mon trousseau,
Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Trierweiller,
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à Carenco (3)
Aidez-nous, Madame, aidez-nous, je vous en supplie. Ils sont devenus fous, ils sont en train de nous tuer.
(2) http://www.romeurope.org/IMG/pdf/Reponse_Parti_Socialiste.pdf
[Source : le très excellent blog de Philippe Alain]
La commission européenne dit surveiller la France pour les expulsions de Roms. Suite à celles de Lille et Lyon ?
La Commission européenne suit de près la manière dont les autorités françaises
procèdent au démantèlement des campements de Roms et veut s’assurer du respect des garanties contre les expulsions arbitraires et les traitements discriminatoires, a déclaré vendredi à l’AFP un de ses porte-parole.
"Les services de la vice-présidente en charge de la Justice Viviane Reding sont en contact avec les autorités françaises et analysent la situation pour s’assurer que les règles européennes sont respectées", a expliqué Mina Andreeva.
"C’est une mise à l’épreuve des nouvelles autorités françaises", a commenté plus abruptement un responsable européen sous couvert de l’anonymat.
"La Commission veut vérifier la volonté de la France d’appliquer les règles qu’elle a introduit dans sa législation", a-t-il expliqué.
Outrée il y a deux ans par la manière dont le gouvernement de droite français expulsait les Roms, dans leur grande majorité originaires de Roumanie et de Bulgarie et à ce titre citoyens européens, Viviane Reding n’avait pas hésité à affronter le président Nicolas Sarkozy.
Sous la menace d’une procédure pour discrimination, Paris avait au final accepté de modifier sa loi nationale afin de mieux tenir compte de règles européennes encadrant les renvois chez eux de citoyens de l’UE.
La législation française a intégré toutes "les garanties qui protègent les citoyens de l’Union contre les expulsions arbitraires et les traitements discriminatoires", s’était félicité Mme Reding en août 2011.
Mais un an plus tard, toujours à l’été, le nouveau ministre de l’Intérieur, le socialiste Manuel Valls, a donné mission aux préfets de démanteler les campements Roms "quand il y a eu décision de justice" et cherche à les inciter à rentrer volontairement dans leur pays.
Plusieurs dizaines de Roms roumains bénéficiant de l’Aide humanitaire au retour devaient ainsi quitter la France depuis Lyon (centre-est) jeudi à destination de la Roumanie. Les associations militant pour la défense des Roms ont dénoncé une "expulsion sous couvert humanitaire".
Les candidats au retour touchent 300 euros pour les adultes et 150 euros pour les enfants.
Selon l’association Médecins du Monde, 15.000 Roms vivent en France depuis une vingtaine d’années, un chiffre constant malgré les expulsions car les personnes reconduites dans leur pays d’origine reviennent systématiquement.
S’ils sont citoyens européens, les Roms n’ont pas accès à l’emploi en raison des "mesures transitoires" appliquées aux citoyens bulgares et roumains par une dizaine de pays de l’Union européenne, dont la France, jusqu’à fin 2013.
[Source : FR3, AFP]