Nouvelles de Syrie ? Peu. Alors que la bataille d’Alep dure depuis un mois, et que la situation est de plus en plus dramatique sur le terrain, les troupes assadistes avançant inexorablement derrière leur tapis de bombes, la passivité internationale est désormais admise.
Il y a peu, Barack Obama pouvait encore énoncer la position américaine de n’intervenir qu’en cas d’utilisation des armes chimiques, sans qu’on s’avise de remarquer que ceci revient à un feu vert pour les bombardements pas du tout chimiques de la population et l’"extermination" de l’opposition, annoncée ouvertement par Assad.
C’est dans ce contexte qu’on a la surprise de lire un éditorial du Monde qui rend compte de cette problématique honteuse. D’entrée, la couleur est affichée : "les Occidentaux n’interviendront pas militairement en Syrie pour chasser Bachar Al-Assad et mettre un terme à la guerre sans merci que le régime de Damas a engagée contre son propre peuple". “On le sait depuis des mois”, précise notre éditorialiste, montrant combien l’affaire est entendue.
Le journal de référence de la presse parisienne veut bien reconnaître que ceci est "profondèment choquant"… Mais "ni les États-Unis, ni la France, ni l’Europe n’estiment avoir la capacité d’une telle intervention". "Les moyens militaires nécessaires sont jugés disproportionnés". On sait pourtant que la zone d’exclusion aérienne demandée par l’opposition ne mobiliserait pas plus que deux super prote-avions, qui sont là et n’ont pas grand chose à faire qu’on sache, hormis tourner en rond dans l’eau à un coût très élevé pour les contribuables français, américains ou anglais, même quand ils ne font rien.
Mais il y aussi "les risques d’embrasement de cette région-poudrière", "trop lourds". On comprend que tout le monde lorgne vers Israël. Mais croit-on vraiment que les mollahs iraniens seraient prêts à suicider leur si confortable rente en se lançant dans une aventure militaire dont ce serait la seule perspective ? Il est clair en tout cas qu’ils ont évité même de le suggérer, et se limitent à une intervention clandestine, la seule qu’ils puissent réellement assumer.
"Cela signifie-t-il, pour autant, l’abandon de la Syrie et des Syriens à leur huis clos tragique ? Tout aussi évidemment, non." Ah bon ? Et quoi d’autre ? À l’heure où l’ONU a été jusqu’à retirer scandaleusement l’ensemble de ses observateurs, signifiant ouvertement à Bachar qu’il fasse ce qu’il voudra, et qu’on ne regardera même pas, comment peut-on oser affirmer qu’on n’abandonne “évidemment“ pas le peuple syrien à ce "huis clos tragique" où les bombes lui pleuvent sur la gueule ?
Non, non, tout va bien puisque Laurent Fabius, après avoir renoncé à réunir le Conseil de sécurité à propos de la Syrie tout le long de ce sinistre mois d’août, a déclaré qu’il faut que Bachar quitte le pouvoir (“et vite"… Il suffirait de le dire… "À défaut de l’être par les armes, il faut être présent par le verbe"… Mais le sens de ces gesticulations est aussitôt expliqué : ce serait "pour préparer l’avenir"… Au cas où l’opposition triomphe malgré tout, il faudrait prendre soin de ne pas être trop mal avec la nouvelle Syrie. Après la revendication du crime humanitaire, voilà qu’on affiche éhontément le plus dégoûtant cynisme diplomatique : "Ce n’est pas glorieux, mais c’est nécessaire, utile et prévoyant."
Quant au régime, "sa chute est inéluctable", prophétise notre éditorialiste. Ce serait une question de jours ou de mois. Belle prédiction. Et sur quoi repose-t-elle ? Cela serait parce que "le président syrien a trop peu confiance dans ses propres troupes pour lancer son infanterie à la reconquête du terrain perdu". C’’est surtout qu’à force de si mal informer ses lecteurs, le grand quotidien parisien ne sait même plus de quoi il parle. Forte de 300 000 hommes, l’armée syrienne n’a pour le moment engagé qu’une fraction de ses moyens. Ses troupes d’élites sont toujours en réserve. De plus, nos journalistes auraient pu s’aviser de l’entrée en lice des gardiens de la révolution iraniens, non seulement aguerris et bien équipés, mais nombreux, et sans aucun état d’âme à l’heure de massacrer le peuple syrien. À la différence des troupes de Assad, ces troupes fraîches et ultra-idéologisées n’ont pas de familles sous les bombes…
L’analyse militaire rassurante est simplement un peu courte. Ce problème des défections possibles de soldats mis en avant dans les combats n’a pas empêché Assad d’écraser Homs, Deraa, et bien d’autres villes. On ne voit ce qui empêchera qu’il en fasse autant avec Alep, alors qu’il recourt maintenant prioritairement aux bombardements aériens, pour lesquels on n’a pas encore enregistré de défections de pilotes… Mais le journal du soir se doit d’endormir ses lecteurs à l’heure du crime revendiqué de la communauté internationale.
Paris s’éveille
Syrie, des mots pour préparer l’avenir
23 août 2012
On le sait depuis des mois : les Occidentaux n’interviendront pas militairement en Syrie pour chasser Bachar Al-Assad et mettre un terme à la guerre sans merci que le régime de Damas a engagée contre son propre peuple.
Alors que chaque jour témoigne d’incessants massacres de civils pilonnés par l’aviation syrienne, le constat est rude. Profondément choquant, même, au regard de la "responsabilité de protéger" les populations civiles qui devrait être celle de la communauté internationale.
C’est pourtant l’évidence : ni les États-Unis, ni la France, ni l’Europe n’estiment avoir la capacité d’une telle intervention. À leurs yeux, la Syrie n’est pas la Libye. Les Russes et les Chinois bloquent toute initiative du Conseil de sécurité de l’ONU, les moyens militaires nécessaires sont jugés disproportionnés et les risques d’embrasement de cette région-poudrière trop lourds.
Cela signifie-t-il, pour autant, l’abandon de la Syrie et des Syriens à leur huis clos tragique ? Tout aussi évidemment, non. Depuis peu, en effet, les diplomaties occidentales se sont remises à donner de la voix. La semaine passée, Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, a effectué une tournée en Jordanie, au Liban et en Turquie, pour redire que " le régime syrien doit être abattu, et vite ".
Ces deux derniers jours, François Hollande a reçu, successivement, Lakhdar Brahimi, nouveau médiateur de l’ONU, puis une délégation du Conseil national syrien (CNS), la principale coalition de l’opposition syrienne. Alors que la France préside, ce mois-ci, le Conseil de sécurité de l’ONU, le président de la République a redit qu’" il ne peut y avoir de solution politique sans départ de Bachar Al-Assad " et encouragé le CNS à " organiser un large rassemblement de toutes les forces de l’opposition ". A Washington, le président Obama a sèchement mis en garde Damas contre la tentation d’utiliser des armes chimiques contre les insurgés.
On peut ne voir dans ces gestes et déclarations que la traduction peu glorieuse des pusillanimités occidentales, aiguillonnées par le projet du président égyptien de créer un " groupe de contact sur la Syrie ", incluant l’Iran, la Turquie et l’Arabie saoudite.
Ce serait une erreur. Dans ce genre de situation, l’Histoire nous apprend une chose : à défaut de l’être par les armes, il faut être présent par le verbe, pour préparer l’avenir. Chacun sait, en effet, que les jours – ou, hélas, les mois – de l’actuel régime syrien sont comptés, que sa chute est inéluctable, dès lors que le président syrien a trop peu confiance dans ses propres troupes pour lancer son infanterie à la reconquête du terrain perdu.
Il est donc important d’être présent auprès des opposants, de multiplier les contacts, d’aider à la construction d’une solution politique, de connaître et de comprendre les responsables musulmans qui gouverneront, demain, la Syrie, comme ils le font déjà en Egypte, en Libye ou en Tunisie. Ce n’est pas glorieux, mais c’est nécessaire, utile et prévoyant.
[Source : Le Monde]