Nous avons mené notre enquête auprès des familles à Paris, à Bamako, aux villages. Il apparaît que si ce naufrage a eu lieu [voir article p. 2], c’est à cause des méthodes de la filière des passeurs. Un des responsables est originaire de Sélinkégny, cercle de Bafoulabé. Il avait un correspondant passeur malien en Libye, chargé de prendre les « clients » à Bamako, à Gao. Après le désert (soit par le Niger soit par l’Algérie), ils travaillent avec les passeurs libyens qui font construire à peu de frais des barques destinées à disparaître en mer. Tout ce qu’ils perdent, eux, c’est les moteurs. Comment s’y prennent-ils ? Ce qui suit pourra sembler une histoire à dormir debout, mais c’est ce qu’ils font. De vrais criminels assassins.
Quand ils embarquent des gens, il y a une majorité, par exemple malienne, et des minorités, par exemple sénégalaise ou mauritanienne, etc. Les passeurs savent qu’au large ça devient impossible de continuer sur de telles barques surchargées, et ils conseillent les gens de la majorité, quand il semble probable que le bateau va couler, de diminuer la charge, le nombre de personnes, sinon de toute façon tout le monde va y passer, c’est inévitable. Il vaut mieux limiter les dégâts. Alors la majorité qui est dans le bateau jette les minorités par-dessus bord. Souvent, ceux qui en savent quelque chose le remarquent à l’arrivée : les minorités n’arrivent pas en Italie. Si la majorité est sénégalaise, un certain point une fois atteint, la minorité malienne disparaît dans les eaux, et vice-versa.
Cette fois, que s’est-il passé exactement ? Ils ont mis dans le même bateau des gens qui venaient de la même région, de la même commune, il n’y avait pas de majorité et de minorité. Au moment donné, si le bateau va couler, c’est pour tout le monde. Car tout le monde se connaît, pas question de jeter X ou Y par-dessus bord. C’est ce qui s’est passé, ils étaient tous condamnés à attendre la mort.
Le bateau, il faut le souligner, pour se faire une idée assez claire du tableau d’ensemble, est parti le 14 juillet des côtes libyennes. Normalement ça dure entre deux et quatre jours. Le 20 il n’y a toujours pas de nouvelles, des familles commencent à s’inquiéter. Elles appellent un peu partout. Le passeur malien qui est en Libye sait que le bateau a coulé mais il ne dit rien. Il y a 80 autres candidats qui attendent, il ne veut pas perdre ce marché.
VSP n°12 (novembre 2014)
Majorité et minorité : les minorités y passent
Anzoumane Sissoko, CSP75
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