[ [ [ Batailles judiciaires dans le bocage nantais - Yannis Lehuédé

Depuis quelques mois, la situation s’est stabilisée dans la ZAD de Notre Dame des Landes : les forces de l’ordre squattent les carrefours stratégiques, harcèlent inlassablement les passants de contrôles et détruisent des barricades sans raison. Les zadistes continuent les chantiers sur toute la zone et réoccupent les lieux récemment abandonnés pour les faire revivre (après la destruction discrète d’une maison vidée). Ainsi, la ferme de Bellevue a repris du service et accueille désormais à nouveau des animaux d’élevage et de nombreux projets agricoles auto-gérés, entourée de la chaîne protectrice des "tracteurs vigilants" du COPAIN44. La Sècherie, également menacée de destruction, voit aussi actuellement de nombreux travaux d’amélioration et d’annexes. De nombreux "villages alternatifs" se consolident sur toute la zone et ce, malgré les rigueurs de l’hiver.

Avec le calme très relatif instauré avec la "commission du dialogue", la bataille fait surtout rage sur d’autres fronts : devant les tribunaux et dans les médias.

Les lieux réoccupés sont attaqués - pour l’instant - en justice, ils appartiennent au syndicat mixte public-privé AGO. Des zadistes se sont déclarés résidents de ces lieux, ils s’exposent aux foudres de la justice pour "insalubrité" des lieux, malgré les travaux de rénovation artisanaux des occupants. La notion de "confort matériel" est plus aisément codifiée dans la loi que celle de "fraternité"...

Parallèlement, les Camille "à barbe et à couettes" qui avaient manifesté symboliquement dénudés leur impuissance le 23 novembre dernier face à la brutalité policière dans la forêt de Rohanne on été trainés devant les tribunaux pour outrage à agent. Un seul policier - parmi la dizaine qui avait assisté à la scène - a été choqué par leur nudité, malgré sa solide formation pour endurer la violence inhumaine inouïe des ordres de la préfecture sans s’émouvoir. Le journaliste Hervé Kempf - appelé comme témoin par la défense - relate ce procès politique surréaliste (à lire plus bas). Le jugement sera rendu le 28 février prochain.
Les opposants au projet d’aéroport ont déposé une plaine européenne sur les différents aspects écologiques bafoués par les promoteurs. Le dossier, régional à l’origine - est devenu européen. Le groupe Vinci continue de préparer les appels d’offre autour du projet sans se soucier d’autres considérations que le seul aspect financier, malgré la remise en question de plus en plus flagrante de son "utilité publique".

Sur le plan médiatique, le terrain des violences a peu à peu été délaissé faute d’actualités "spectaculaires". Certains journalistes d’investigation remontent les contradictions et conflits d’intérêts des porteurs du projet et nous éclairent sur ce qu’on pourrait appeler la "mafia du BTP" qui utilise la caisse des cotisations obligatoires de congés payés des salariés du secteur pour spéculer et imposer toujours plus de bétonnage aux pouvoir publics.

Face à la fronde citoyenne qui s’étend et la ZAD qui fait des petits à divers endroits menacés en France et en Europe, le syndicat mixte AGO maintient le cap du passage en force et lance ces jours-ci sa campagne de propagande pour l’aéroport. Par le Conseil Régional, il arrose de généreuses subventions les communes réfractaires et finance une campagne d’affichages dans les gares du Grand-Ouest, en pleine période de réduction budgétaires.
La tentative de corruption la plus grossière est un contrat passé avec la chaîne France 3 Pays de la Loire qui - en échange des sommes avancées - impose des conditions éditoriales (voir l’article du Canard Enchaîné plus bas). Le syndicat de journalistes de Radio France n’a pas tardé à réagir contre cette offensive liberticide !

Si le pouvoir local ne prendpllus la précaution de dissimuler ses tentatives d’intimidation médiatiques, c’est que la situation devient désespérée. La ZAD, au fil des reportages, a perdu son image caricaturale de "regroupement de marginaux".
Et les soutiens à la ZAD abondent de créativité et jouent avec la diversité de leurs talents : après le FestiZad, la dernière action d’envergure nationale est la publication de la bande dessinée collective "Détachez vos ceintures !" (au profit de l’ACIPA), parue au moment du festival international de la BD d’Angoulême. Moins d’un mois après, elle est déjà en rupture de stock !

Le rapport de forces reste inégal à l’image du village d’Astérix contre César, et l’approche de la fin de la "commission du dialogue" risque de voir ressurgir la violence dans le fragile bocage. Toutes les idées doivent donc germer avant le printemps en attendant la chaîne humaine autour de la ZAD le 11 mai prochain.

Paris s’éveille

900 000 euros pour la propagande de l’ aéroport de Notre-Dame-des-Landes

On se souvient qu’en décembre Jacques Auxiette, président PS des Pays de la Loire avait lancé 2 appels d’offre ( près de 200 000 euros au total) pour recruter des pros de la communication chargés de propager la bonne parole sur le futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes ( voir 120 000 euros pour promouvoir l’ aéroport de Notre-Dame-des-Landes sur le web).

Dix jours plus tard, face au tollé, Jacques Auxiette faisait machine arrière. Il vient de trouver ( à peine) plus subtil: arroser la principale chaîne de télé locale.

Le 13 mars, il va signer une convention de partenariat avec France Télévisions pour “valoriser le fait régional” et “favoriser l’analyse et la compréhension des enjeux locaux“. Et pour cela il offre 900 000 euros, répartis sur 3 ans, à France 3 Pays de la Loire. Du jamais-vu. Un comité de pilotage, composé de 2 représentants de la région et 2 autres de la chaîne, veillera au grain: “La Région peut procéder à tout contrôle ou investigation qu’elle juge utile pour s’assurer du respect des engagements.” D’ailleurs, elle se réserve “le droit d’exercer un contrôle sur pièces et sur place, qui consiste en un examen de l’ensemble des pièces justificatives relatives au coût de l’action subventionnée“. Et, si ça ne marche vraiment pas, elle pourra toujours “résilier le présent contrat de façon anticipée pour motif d’intérêt général“.

Comment, après pareil cadeau, les journalistes pourront-ils se permettre un reportage critique sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ? “ça n’a strictement rien à voir avec l’aéroport, c’est un pur procès d’intention que vous nous faites. Demandez donc aux journalistes ce qu’ils en pensent“, s’émeut la direction du cabinet du président du conseil régional.

Justement, demandons-leur: “Ce n’est pas des couleuvres qu’ils veulent nous faire avaler, ce sont des anacondas“, répond un journaliste, qui tient à rester anonyme. “Déjà qu’on ne parlait pas beaucoup du projet d’aéroport dans nos journaux télévisés, mais alors-là, franchement, j’ai très très peur de ce qui va nous arriver.” Et Fabienne Labigne, déléguée syndicale CGT antenne France 3 Pays de la Loire, de renchérir: “Ce qui nous choque, c’est l’absence de garde-fous et les risques qui pèsent sur notre indépendance éditoriale.” Du côté de la direction de la chaîne, on promet de “rester vigilant“. Pas sûr que cela suffise…

En parallèle se déroule jusqu’au 28 février une offensive carrément publicitaire, celle-là, menée par le syndicat mixte aéroportuaire – dont le patron n’est autre que Jacques Auxiette -, avec campagne et affiches pro-aéroport “Un vrai + pour tous” dans les gares de Nantes, Angers, Rennes, dans les centres commerciaux, pubs dans les quotidiens et les radios locales. Coût: 300 000 euros.

Pour convaincre les récalcitrants, on ne lésine pas, même en pleine période de rigueur…

[Source : le canard enchainé]

La BD "Détachez vos ceintures !" aux Éditions du Kyste (collectif) :

Notre Dame des Landes : le procès de la liberté
Le 12 février à Saint Nazaire, Elise et Erwan comparaissaient devant le tribunal. Leur crime ? Avoir "outragé" les gendarmes surarmés qui investissaient le bocage de Notre Dame des Landes en manifestant nus.

Je me rends au procès d’Elise P. et Erwan T. « La citation à témoins » que j’ai reçue indique que j’ai « à comparaître devant le tribunal correctionnel de Saint Nazaire » le 12 février à 14 h « en qualité de témoin pour y être entendu dans l’affaire concernant Madame P. [je n’indique pas les noms] et Monsieur Erwan T. poursuivis pour avoir à Notre Dame des Landes (44), le 23 novembre 2012, outragé par gestes non rendu public une personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions en l’espèce en déambulant entièrement dénudé ».

Le vendredi 23 novembre, une semaine après la grande manifestation populaire du 17 à Notre Dame des Landes, l’Etat avait lancé une nouvelle opération policière, très brutale, sans doute pour signifier qu’il restait maître du terrain. Dans la boue et le froid, une guerilla de deux jours s’enclenchait sous les nappes de gaz lacrymogène, avant que, dimanche soir 25 novembre, une cinquantaine de tracteurs viennent former autour de la Chataîgneraie une barrière protectrice. Face à la violence policière, Elise et Erwan, qui s’étaient rencontrés quelques jours auparavant, décidèrent de manifester nus.

Le 24 novembre, Élise et Erwan recommencent leur action, joints par deux autres zadistes, dont Baptiste. La police réagit sauvagement, les aspergeant à bout portant de gaz lacrymogène. Voici le témoignage de Baptiste.

C’est cependant seulement le geste du 23 novembre qui est poursuivi.

Élise a expliqué sa démarche de façon claire : « Pourquoi nue ?

Je souhaite m’exprimer au travers de cette lettre, pour ne rien omettre, ni tordre mon discours, car il est en ce moment, entendu et peut être mal compris. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles j’ai posé nue.

En choisissant ce geste, cette forme d’expression, j’ai souhaité créer un contraste indiscutable face au surarmement déployé censé encercler un lieu aussi nu que moi. Cela éveille chez moi un besoin indispensable de m’exprimer au nom de la nature, dans laquelle j’inclue l’humanité.

Je ne vois pas comment faire passer le message autrement que nue. Étant aux côtés de la nature, de la forêt, de sa faune et de toute sa diversité, en proie à la destruction programmée, je ne peux me défendre qu’aussi nue qu’elle.

Si moi j’ai pu outrer quelqu’un, moi je les accuse, au nom de la forêt, de la mettre en danger. Comment au jour d’aujourd’hui, sachant ce que l’on sait sur le réchauffement climatique, sur le pic pétrolier, sur la croissance à tout prix et j’en passe, peut-on laisser l’humanité s’autodétruire en faisant disparaitre un lieu qui n’a demandé qu’à être là pour maintenir le fragile équilibre de notre écosystème ?

Qui aujourd’hui peut m’apporter les raisons valables de ne pas m’opposer à la destruction de cette parcelle fondamentalement nécessaire à l’équilibre naturel du département ?

Je me bats aux côtés de la nature, en son nom et dans sa forme. Nue.

En tant qu’être humain, je ne suis pas capable de m’exprimer haut et fort pour convaincre, je ne suis pas capable de combattre avec les armes, quelles qu’elles soient, de notre société.

La seule chose que je peux faire et que je sais faire, c’est de me mettre à armes égales avec la nature, pour faire passer son message, à savoir l’innocence, la vulnérabilité et le besoin... Le besoin de notre attention à tous. Et espérer que ce message soit plus entendu à travers ma voix qu’à travers la simple présence de la nature. Puisque ce monde n’entend que la voix des humains.

Camille à Couettes (Élise) ».

Elle s’explique aussi en interview : écouter ici

Il y a environ quinze jours, Baptiste m’a proposé de venir témoigner au procès. L’avocat d’Élise et d’Erwan, Me Le Moigne, m’a appelé peu après pour officialiser cette proposition. J’ai accepté sans trop d’hésitation. Je ne suis pas un témoin des faits, mais ce qu’on appelle, je crois, un témoin de personnalité, apte à replacer le délit présumé dans un cadre plus large. Il avait été question de trouver d’autres témoins pour enrichir la barre de ce procès évidemment politique, mais le temps a manqué de mon côté pour en chercher, et il en est allé de même, manifestement, du côté de Me Le Moigne.

Cela me fait un peu bizarre d’aller témoigner ainsi. Je ne crois pas que ma personne impressionnera fort la cour (à moins, hypothèse peu probable, que les juges aient lu L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie), il faudrait des personnalités plus notoires, plus reluisantes. Mais partons du postulat que cette démarche peut être utile.

Je n’ai guère hésité, car il ne s’agit pas d’un procès visant à décider si le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes doit ou non se faire, mais du procès d’une forme non-violente de manifestation dans le cadre d’une lutte évidemment publique et dont les enjeux sont légitimement controversés. Autrement dit, c’est un procès qui concerne la vie démocratique, qui concerne les libertés publiques.

Mardi 12 février. Après le petit déjeuner, on se rend dans le cabinet de l’avocat, Maitre Le Moigne, sis à Saint Nazaire. Celui-ci explique aux prévenus l’aspect juridique du procès. « Pour que l’outrage soit constitué, selon le Code pénal, il faut atteindre une personne directement. Là, le commandant, qui se plaint, n’a pas été spécifiquement ciblé. Le point de droit est là : il n’y a pas d’atteinte à la dignité d’une personne ». Erwan et Élise, qui n’ont jamais pensé outrager quiconque, raisonnent autrement : « Notre but n’était pas de déambuler devant eux, dit Erwan, mais d’être entre eux et les barricades. De leur montrer la fragilité des gens comme de la forêt ». Élise : « Pour moi, c’était une poésie. La poésie est jugée par beaucoup comme inutile, ou futile – mais pas du tout ! Il s’agissait de faire passer le contraste entre leur surarmement et la vulnérabilité humaine et naturelle. Qui va parler du lieu ? C’est lui qui est outragée. La forêt, personne ne l’entend. Elle crie qu’elle ne va pas bien ».

Dans la discussion, on se rappelle qu’Élise a été frappée par les gendarmes, qu’elle a eu deux hématomes – dont attestent des photos -, le 23 novembre au bras, le 24 à la cuisse.

Dehors, on discute un peu sur le trottoir. Élise me dit qu’elle a toujours vécu dans la région. Depuis près de dix ans, elle élève des chevaux. Mais elle manquait d’espace. Il y a cinq mois, elle a pu s’installer – avec Olivier, son mari, qui est informaticien – non loin de Notre Dame des Landes, sur 5 hectares, avec ses quatorze chevaux (il a fallu en vendre pendant l’hiver, qui a été beaucoup trop humide). Ce qui se passait sur la Zad l’a tout de suite attirée, elle y a été avec une petite caravane. On discute aussi des enfants, elle en a trois, de deux, cinq et huit ans. Elle veille à, comment dire, ne pas les endoctriner, pour qu’ils restent libres de choisir quoi penser, plus tard. Dans le village, quand il y a eu l’histoire dans les journaux sur son acte poétique, ses voisines, les autres mères à l’école, ont été en sympathie avec elle, l’ont soutenue.

Non loin de là, sur une espèce de place, un pique-nique de soutien a été organisé. Il y a de la soupe chaude, plus d’une centaines de personnes, venues de la Zad et de Saint Nazaire, on discute, on se retrouve.

Je tombe sur Éric, paysan dans le Var, fabricant d’un délicieux pistou, que j’avais croisé voici quelques années. Il est venu avec les marcheurs partis de Nice et qui sont arrivés dimanche. Je discute avec Fatima et Patrice, d’une radio alternative toulousaine, Radio Canal Sud : ils sont venus voir ce qui se passait sur la Zad.

« En ce moment, dit Fatima, le slogan, c’est ‘Tousse ensemble’, il fait froid, tout le monde a le rhume ». Je discute avec Fred qui vit sur la Zad : son beau chien nous fait entrer en conversation. Fred me dit qu’en ce moment, les gendarmes ou les CRS sont carrément provocateurs, ils injurient ceux qui sont sur les barricades de manière vulgaire et provocante, c’est stressant. On discute de l’avenir, des risques d’expulsion.

Plus loin, on se maquille : torse dénudé, on se peint des slogans ou le symbole de la lutte, un panneau d’interdiction de stationnement des avions.

Mais il est l’heure d’aller au tribunal, à quelques centaines de mètres de là. La salle d’audience est vaste et moderne.

La première affaire appelée concerne une histoire pitoyable, impliquant deux perdants de la vie, tous deux classés adultes handicapés pour motif psychique. L’un, conducteur d’engins – il ne travaille plus depuis 2005 -, a enchainé courtes peines de prison et séjours psychiatriques. L’autre, c’est à peu près pareil, mais il était dans une phase tranquille depuis un an et demi. Ils se sont rencontrés à Angers, où le premier – un grand et fort barbu – a convaincu l’autre – mince et crâne rasé - de l’accompagner à Notre Dame des Landes où se déroulait, selon lui, une rave-party succédant à la FestiZad de début janvier. Ils embarquent dans un taxi, dont le chauffeur n’a pas hésité à les emmener, le prix de la course étant fixé au départ et, je crois, payé. Mais arrivés sur la zone, ils ne savent où aller, errent sur les routes, le chauffeur s’inquiète, leur propose de les ramener à Nantes ou de le laisser là, le ton monte, ils finissent par faire arrêter la voiture et à cogner le conducteur. Celui-ci a passé le plus sale quart d’heure de sa vie, parvient à s’échapper et à se réfugier dans une maison d’où l’on appelle la police.

Les discours des deux prévenus ne brillent pas par leur cohérence. Un avocat plaide l’irresponsabilité, l’autre recommande l’obligation de soins. Leur argumentation ne convainc pas la cour, qui suit le procureur, et assène les peines : deux ans et trois ans fermes, avec maintien en détention.

C’est le tour d’Élise et Erwan. Ils sont appelés à la barre. Moi, comme témoin, je quitte la salle et vais dans le hall du Palais de justice. A travers la fenêtre, on voit que dehors, la foule chahute et chante. Une trentaine se sont dénudés le torse et parfois les jambes, et chantent, malgré le froid. Une pancarte rappelle le bon sens : « Etre nu, c’est naturel, pas criminel ».

Mais je suis déjà rappelé. Je vais à la barre. Le président me demande de me présenter, puis ce que j’ai à dire. Je commence à parler, mais il m’interrompt rapidement : « Nous ne sommes pas là pour parler de Notre Dame des Landes, mais du délit d’outrage. – Je ne parle pas de ce projet, Monsieur le Président, mais du contexte sur les personnes dépositaires de l’autorité publique… » Il m’interrompt à nouveau, je retente de parler, il me coupe.

Maitre Le Moigne se lève et lui demande de me laisser parler. J’indique : « Je ne parlerai que cinq minutes, Monsieur le Président, si on ne m’interrompt pas. » C’est tendu, incorrect. Heureusement, je sais ce que je veux dire, et ne suis pas trop déstabilisé.

Je rappelle qu’en tant que journaliste, j’ai mis à jour deux informations sur Notre Dame des Landes. L’une, que l’ancien préfet de Loire-Atlantique au moment de l’enquête publique et du lancement de l’appel d’offres, a ensuite été embauché par Vinci. Voilà qui peut répandre chez beaucoup de nos concitoyens un doute légitime sur l’impartialité des personnes dépositaires de l’autorité publique. L’autre, qu’il y a eu manipulation sur des prévisions de trafic dans le dossier d’enquête d’utilité publique. Voilà qui peut répandre chez beaucoup de nos concitoyens, répété-je, un doute légitime sur l’impartialité des personnes dépositaires de l’autorité publique.

Ensuite, j’observe que de très nombreuses images de personnes nues sont répandues à foison par les télévisions, les affiches, les magazines, sans que l’on considère qu’il s’agit d’un outrage à l’égard des femmes, dont la représentation est pourtant le plus souvent sexiste, ou des enfants.

Je dis ensuite qu’en novembre, des députés européens et français ont pénétré illégalement dans une maison proche de Notre Dame des Landes, appartenant à Vinci, et qu’ils n’ont pourtant pas été poursuivis pour cet acte manifestement illicite.

Enfin, et c’est le point essentiel, on reproche à des opposants de répondre parfois violemment à des interventions policières, en les traitant parfois de ‘terroristes’, d’’anarchistes’, d’’étrangers’, mais si on leur reproche aussi de répondre par la non-violence – car qu’y a-t-il de moins violent que de s’exposer nu ? -, cela signifie que l’on interdit toute manifestation, toute liberté de manifester.

J’ai à peine fini cette phrase que le président, qui a toujours détourné le regard pendant mon témoignage, assène : « Les cinq minutes sont écoulées ! ». Je ne peux que répondre : « Merci Monsieur le président d’avoir compté le temps », et je vais m’asseoir sur un banc, secoué par la sécheresse de l’échange.

La suite s’enchaine rapidement. Me Le Moigne demande le visionnage de la vidéo montrant ce qu’ont fait Erwan et Élise le 23 novembre. La procureur s’y oppose, et le président la suit.

"Et ça les rend ridicules, les forces de l’ordre"

C’est à la procureur de présenter son argumentation. « Il y a un mot du témoignage du monsieur [c’est moi] tout à l’heure, le ‘contexte’. On ne peut pas faire abstraction du contexte, qui est celui de Notre Dame des Landes. On a taxé le ministère public de choix dans les poursuites, avec ‘l’outrage’. Mais ce choix n’est pas fait parce que l’acte est non-violent : le ministère public a l’opportunité des poursuites. On nous dit qu’avec le terme de ‘terroristes’, il y a stigmatisation des personnes. Sous-entendu : les prévenus seraient poursuivies par assimilation avec ces personnes. Non. Il y a bien poursuite parce qu’il y a outrage.

« On nous dit qu’il n’y a pas d’élément intentionnel. Cette affirmation n’est pas admissible. Qu’il n’y a pas d’élément matériel. Il n’y a aucune difficulté à prouver le contraire. »

Elle revient au texte du dossier : « Mme P. est venue en véhicule jusqu’au carrefour et dit, ‘là on a décidé de se déshabiller’. On est loin de la poésie. C’est un comportement délibéré. Et ça les rend ridicules, les forces de l’ordre. C’est une protestation qui n’est pas violente, mais qui est très délibérée. » Et elle demande « d’entrer en voie de condamnation », requérant un mois de prison avec sursis et 200 euros d’amende.

C’est au tour de Me Erwan Le Moigne de mener sa plaidoirie. Il va parler d’une voix dense et claire.

"Comme la salle, commence-t-il, j’ai envie de sourire. En 2013, poursuivre des personnes qui ont eu le courage de se mettre nus est déplorable". Il montre la couverture d’un récent numéro de Courrier International qui montre que dans de nombreux endroits du monde, en Egypte, en Ukraine, en Iran, des femmes se sont dénudées pour manifester.

"Sommes-nous en 1965, quand Louis de Funès, dans Le gendarme de Saint Tropez poursuivait les nudistes sur la plage ? Là, sur les photos du dossier, on voit que les gendarmes ne se sentent pas outragés, ils ont plutôt le sourire !"

"Dans un dossier aussi lourd, avec des policiers surarmés, on voit des jeunes gens dans le plus simple appareil, simplement pour dire, ’Ca suffit’. Le 23 novembre, je le rappelle, il y avait plus de 500 gendarmes sur le terrain, venus détruire les cabanes. Ce n’était pas rien.

"Ils disent qu’ils ont voulu rappeler l’essentiel, qu’ils se sont mis nus pour exprimer la liberté. Eh bien, rappelez le grand tableau de Delacroix, La liberté guidant le peuple, si chère au coeur des Français. La liberté y est représentée nue."

"Ce dossier, dit-il, c’est l’outrage à la liberté".

Il rappelle ensuite que le délit d’outrage participe de la répression des mouvements sociaux, et qu’il a été dénoncé dès 2008 par des intellectuels et des citoyens dans une pétition.

Il entre ensuite dans le détail juridique du procès, démontrant que les éléments matériels du délit ne sont pas constitués. "L’outrage, c’est cibler une personne. Là, une vingtaine de gardes mobiles étaient présents. Tous auraient dû porter plainte. Celui qui a porté plainte, le commandant Pierre Morant, a-t-il été outragé personnellement ? Non. Donc il n’y a pas d’élément matiériel. C’est là le point essentiel."

Me Le Moigne se rassied. La procédure veut que les prévenus aient le dernier mot. Le président leur demande s’ils ont quelque chose à ajouter. "Ne démolissez pas la plaidoirie de l’avocat", glisse-t-il. Erwan est bref : "J’espère que cela a été suffisamment clair pour que nous obtenions la relaxe".

Le président met en délibéré au 5 mars. Il faudra attendre jusque-là le verdict.

Tout le monde sort. Élise est sonnée. Elle a été tétanisée par la foule, par la salle, et n’a presque pas pu dire un mot de l’audience. Erwan et Le Moigne répondent aux journalistes. Dehors, chants et cris redoublent, cela réchauffe le cœur.

On sort par une sortie arrière et on rejoint les amis. Une trentaine se sont mis nus, Erwan et Élise les rejoignent.

Il y a quelques prises de parole. Erwan : "Je me rends compte à quel point c’était difficile, plus que ce que je croyais." et il évoque les autres opposants à l’aéroport qui sont poursuivis ou en prison, et qui n’ont pas bénéficié du même soutien.

Tout le monde discute, dans la bonne humeur, avant de se disperser.

[Source : Reporterre.net]

Voici les vraies raisons pour lesquelles l’État veut un aéroport à Notre Dame des Lande

Le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes s’inscrit dans un système plus général, qui imbrique activités du BTP (bâtiment et travaux publics), financement des collectivités locales et partis politiques.

Pourquoi l’État veut-il tant un aéroport à Notre Dame des Landes ?

Ce n’est sans doute pas par nécessité. Il apparaît manifestement que l’aéroport de Nantes est suffisant pour faire face au trafic actuel, futur et même à celui d’un futur lointain.

Il convient de se demander à qui profite l’ouverture d’un tel chantier

Construire une piste avec l’aéroport qui va avec, c’est alimenter le chiffre d’affaires du bâtiment et des travaux publics (BTP). Il est aussi bien connu que les travaux qui sont facturés à l’État et aux collectivités territoriales ne sont pas au même prix que si le donneur d’ordre était une personne privée. C’est bien plus cher, donc très rentable.

Afin de comprendre le fonctionnement et le pouvoir lobbyiste du BTP, il faut se pencher sur le rapport Perruchot publié par Lepoint.fr. (Précision : le texte intégral du rapport n’est plus disponible sur ce site, mais le voici en PDF)

On y apprend que les fédérations syndicales du BTP ont collecté plus de 86 millions d’euros de cotisations et possèdent une trésorerie de 180 millions d’euros en 2010. Elles sont, en terme de cotisations officielles, plus riches que l’UIMM [Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie], les magnas de la Métallurgie. Les fédérations du BTP possèdent un patrimoine très important dont il est difficile d’en avoir connaissance.

Cette puissance organisationnelle est très influente. Il en sera pour preuve les 85 propositions du BTP aux parlementaires qui visent à modifier, amender, créer la loi partout où cette fédération le juge utile aux intérêts, non pas de la profession toute entière comme cela le devrait, mais surtout pour les grandes entreprises du BTP qui tiennent la barre dans cette organisation professionnelle. Il y a cependant des propositions pertinentes.

Ici la FFB (Fédération Française du Bâtiment) demande des modifications sur les règles contractuelles. Mais aussi, hélas, la possibilité de pouvoir licencier plus facilement les salariés, c’est-à-dire assouplir les règles qui ré­ gissent les contrats de travail.

Ces instances du BTP sont si riches et si puissantes qu’elles deviennent un État dans l’État. En effet, les or­ganisations privées qui détiennent des masses d’argent très importantes ne s’embarrassent pas d’éthique. La règle devient l’absence de règle, partant du principe que tout s’achète.

Ces fédérations du BTP savent que le pouvoir est dans le système bancaire, donc, elles y siègent. Et tout particulièrement dans Dexia Crédit Local. Les présidents du BTP sont d’office dans la gouvernance de cette banque.

On remarquera que figurent dans ce conseil le président de la FNTP (Fédération Nationale des Travaux Publics), Patrick Bernasconi, et celui de la FFB, Didier Ridoret.

Ce système [la banque Dexia] a distillé les fameux prêts toxiques à taux variables indexés sur le franc suisse auprès de 5500 communes pour un encours de 25 milliards d’euros. Des montages compliqués dans lesquels les responsables locaux se sont laissés piéger par les remboursements différés ou même assortis de premières échéances financièrement in­téressantes. Il faut dire aussi que les élus ont des mandats de courte durée qui ne les incitent pas à se soucier outre mesure du devenir de leur gestion.

Voir cet article sur Dexia (PDF).

Or, ces prêts sont affectés à des travaux qui relèvent du BTP. Il faut s’interroger sur le point de savoir s’il n’y aurait pas ici conflit d’intérêts. Et se demander avec quels financements l’aéroport de Notre Dame des Landes serait construit.

Nous trouvons aussi le BTP dans une banque qui lui dédiée : BTP Banque, filiale du Crédit Coopératif et propriété des Banques Populaires.

En voici la gouvernance.

Ici, il faut constater que les collecteurs d’argent sont là. Il y a SMABTP, SMAVie BTP, et autres organismes dont notamment les CAISSES DE CONGES PAYES DU BTP dont les principaux représentants sont dans BTP Banque.

Il faut savoir que les élus des fédérations du BTP sont les membres de droit de ces caisses de congés.

Si les fédérations du BTP ont beaucoup de moyens financiers, c’est grâce aux Caisses de congés qui collectent les cotisations professionnelles.

Le but principal des caisses de congés est de collecter les congés des ouvriers du BTP du 1er avril de l’année N jusqu’au 30 avril de l’année N + 1 pour les redistribuer en congés en pratique de juillet de l’année N + 1 jusqu’au 30 avril de l’année N + 2. Il s’agit d’un mouvement perpétuel. Au moment où les caisses de congés commencent à verser les congés, elles ont déjà engrangé l’argent social des congés qui sera distribué à partir de juillet de l’année N + 3 et ainsi de suite.

Evidemment, ces caisses ne garantissent pas le droit au congé des salariés, dès lors qu’elles ne le reversent que si les cotisations ont été payées. Au passage, elles gardent, selon les rapports de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales), 2 à 3 % de la collecte dont les salariés sont privés. Ceci sur un encours moyen de 6,5 milliards d’euros que les caisses placent, afin, disent-elles, de couvrir les frais de fonctionnement des caisses. Ces caisses de congés, qui sont des associations de droit privé, pratiquent l’affiliation obligatoire et se moquent des droits et libertés fondamentaux de leurs adhérents. En somme, les fédérations du BTP ne défendent pas leurs cotisants, elles les exploitent...

Sur les Caisses de Congés Payés du BTP, voir explications, articlesdepresse, consultation juridique sur 4c-btp.

Priver le BTP de ces moyens de collecter beaucoup d’argent, c’est contribuer à faire en sorte que le béton et le bitume ne gagnent pas chaque jour un peu plus sur les terres agricoles et la forêt. Oui, il faut occuper le terrain pour que les acteurs de ce monde puissent répondre aux nécessités des populations. Désormais il convient de savoir qui doit avoir le pouvoir et de quelles manières nous devons répondre à chaque nécessité sans hypothéquer l’avenir. Ce qui exige une autre politique d’occupation des sols, un bien commun très précieux même s’il est souvent détenu par des personnes privées.

Concrètement, cela signifie que les opposants à la construction de l’aéroport de Notre Dame des Landes doivent aussi s’attaquer à la « pompe à fric » du BTP, à savoir les caisses de congés payés du BTP dont celle d’Orvault (Loire-Atlantique) qui finance aussi le MEDEF.

Une fois le chantier achevé, les entreprises du BTP, par­ fois, apportent des enveloppes avec des espèces qui sont remises aux élus, donneurs d’ordre, afin de financer leur parti

Tout cela doit être vérifié, de fait et en cohérence. Qui sont les administrateurs des banques qui financent les travaux ? Quelles sont les entreprises qui vont faire les travaux ? Qui les gouvernent ? Etc.

[Source Reporterre.net]

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