[ [ [ les irréductibles contre l’armée de "César" - Yannis Lehuédé

C’est le journal l’Humanité qui nous révèle pourquoi la presse généraliste ne parle presque pas de la guérilla actuelle à Notre Dame des Landes.
Il y aurait trop de "temps de parole" pour les anti-aéroport et pas assez pour les pros !

Pour tenter de rétablir l’équilibre, Paris s’éveille a donc cherché quelques arguments en faveur du transfert de l’aéroport sur le terrain de Notre Dame des Landes...

Sur le site internet du projet Nantes-Grand-Ouest, on peut lire une communication affinée : "L’aéroport de Nantes-Atlantique est aujourd’hui un équipement performant, qui répond globalement aux besoins de déplacements d’une clientèle régionale et s’inscrit dans le réseau de tête des aéroports régionaux d’intérêt national à vocation internationale. Mais qu’en sera-t-il d’ici 2015/2020 ?
Il est en effet prévisible que, si son développement se poursuivait au rythme de ces dernières années, le trafic dépasserait rapidement les capacités de cet équipement qui ne pourrait plus satisfaire aux exigences d’une exploitation de qualité.
"
On est content qu’ils emploient le conditionnel en ces temps de crise, car beaucoup de nos riverains ne sont pas partis en vacances l’été dernier !
D’après différentes sources favorables au projet, les chiffres de croissance du trafic sur l’aéroport actuel varient : 14,3% en 2010 (selon les promoteurs) et 7,8% d’augmentation en 2011 (d’après l’Humanité). Nous attendons avec impatience les chiffres de 2012 !

Pour aller plus loin, nous avons cherché l’enquête d’utilité publique ainsi que les fameuses concertations mais, dans le domaine public, on ne trouve que les résultats des contre-enquêtes réalisées à la demande des opposants au projet, qui préconisaient plutôt quelques modifications sur l’aéroport existant.

C’est donc encore l’Humanité qui nous éclairera d’un argument de poids :
"Airbus, travaillant à des appareils adaptés aux défis écologiques d’aujourd’hui et de demain, construit des A380 qui ne peuvent pas atterrir à Nantes. La piste ne fait que 40 mètres de large, il leur en faut 60."
Nous qui pensions que ce mastodonte des airs était un échec commercial et qu’après le pic pétrolier de 2006, l’heure était aux économies de carburant...

Enfin, la plaquette du projet ne parle pas beaucoup des emplois créés, mais de l’ouverture à l’international de cette "enclave" que serait la région nantaise. On imagine déjà les touristes sur les plages avoisinantes (déjà surpeuplées) se faisant servir des sushi japonais par des hôtesses thaïlandaises !

Du côté du financement du projet, les chiffres sont disponibles : Le coût total est estimé à 556 millions d’euros. Le document n’a probablement pas été mis à jour car d’autres sources le ré-évaluent à quatre milliards d’euros. Serait-ce la faute aux agriculteurs récalcitrants et aux méchants squatteurs ? Ou les heures supplémentaires des lobyistes ?

Mais comme l’a répété Jean-Marc Ayrault, les sommes investies par l’État et les collectivités locales (43% des 556 millions d’euros) seront remboursées au cours de l’exploitation -les péages et les taxes d’aéroport- pendant 55 ans.
Quand on connait les bénéfices engrangés par le groupe Vinci pour les péages autoroutiers, il y aurait là de quoi combler une partie les déficits publics...
Mais on n’ose pas croire à une telle rente, d’autant que Vinci et ses filiales seront propriétaires de 85% de la structure.

Mais le plus bel aspect de ce projet, c’est sa réalisation HQE (Haute Qualité Environnementale), plébiscité par le Grenelle de l’environnement dont "Mesures conservatoires et compensatoires importantes : plan de gestion agri-environnemental concerté de 41 M€". On comprendra que les occupants des terres agricoles actuelles ont été déplacées avec la plus grande gentillesse et dûment indemnisées.
Dernièrement, on avait plutôt cru entendre que les bottes des CRS foulaient allègrement des spécimen d’espèces animales protégées...

Et enfin, sur le plan éthique, les revenus de Mr Xavier Huillard, PDG du groupe Vinci, sont consultables sur internet de façon transparente : son salaire est d’environ 1,8 millions d’euros par an (107 fois le SMIC) et la totalité de ses revenus, en tant qu’actionnaire du groupe, ne sont "que" de 855 SMICs !

Comme le projet doit finalement être réalisé à partir de 2013, les engins de chantiers de Vinci avancent sous la protection des 1200 fantassins de l’opération "César", relayés en bataillons de 500 hommes, qui doivent inscrire au Panthéon des bâtisseurs l’ancien maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault.

Sauf si... le "village" d’irréductibles défenseurs de la nature parvient à tenir bon !

Voilà maintenant deux semaines qu’il résiste, malgré la fatigue, malgré les différences (agriculteurs, militants installés ou venus d’ailleurs, sympathisants...) et malgré le climat de méfiance qui s’installe parfois au sein de la ZAD, la fragile Zone À Défendre.

Pour que ce combat ne devienne pas un "petit Vietnam", malgré l’état de siège, ils devront apprendre à intégrer les nouveaux venus à leur organisation, accourus de partout pour participer à cet énorme laboratoire d’auto-gestion.
C’est sur ce terrain-là que peut se gagner une victoire, aux retentissements bien plus larges que les limites de la ZAD !

Paris s’éveille

Urgent : Chacun est invité à participer et les aider (sur place ou dans votre ville), une manifestation de réoccupation est prévue le 17 novembre.

Note du 16/01/2013 : l’augmentation du trafic aérien sur l’actuel aéroport de Nantes pour l’année 2012 est de 12%, annoncé comme un record (sic) par la propagande municipale !

Matériel qui peut nous être apporté
(liste mise à jour le 23 octobre)

  • Les cuisines nous réclament des bouilloires ; électriques ou pas ; des thermos et des cafetières
  • matériel d’escalade : cordes, mousquetons, polypropylène de 4 et 10 mm, baudriers
  • nourriture : vinaigre, ail et oignons, huile d’olive, legumineuses (lentilles, poids cassés, poids chiches, haricots), céréales (boulgour, semoule)...), épices (muscade, cumin, gingembre), trucs qui se transportent (barres de céréales, fruits secs, chocolat), lait, sucre, miel, confitures, œufs
  • jerricans d’eau, bouteilles de gaz et camping gaz, briquets
  • matos medic : propolis, citro plus, ventoline, maalox ou xolaam, serum physiologique, citrons ou jus de citron, pansements, sparadrap, médoc contre le rhume, pansements contre les empoules, boules Kiess, plantes médicinales et huiles essentielles, argile verte
  • tisanes en particulier verveine, camomille, etc.
  • communication : radios portatives, stylos, jumelles, piles (AAA et AA), peinture (rose), marqueurs, feutres vélédas, talkies, téléphones anonymes
  • matos de reconstruction : bois (poutres, planches, palettes), bâches plastique, paille, tôles ondulées, gros clous et vis, gants de travail, rallonges et multiprises
  • outils : marteaux et masses, scies, tronçonneuse, haches, merlin, cordes
  • vélos et matos de réparation (rustines, pneus, chambres à air)
  • lampes frontales
  • vaisselle : casseroles (2 ou 5 litres), poëles, bidons, assiettes, produit vaisselle
  • PQ, serviettes hygiéniques et tampons
  • tentes, caravanes
  • Vêtements : on en a un bon stock. Juste encore besoin de : bonnets, gants, écharpes, cagoules, sacs à dos cirés, imperméables, etc. (à capuches !), ceintures, sous-vêtements
  • pochettes plastiques pour protéger les cartes géographiques
  • couvertures, coussins, matelas
  • des instruments kamikazes pour égayer les barricades

On a assez de fringues sèches et chaudes

  • un soutien financier est possible aussi en envoyant des chèques à l’association "Vivre sans aéroport"

“Vivre sans aéroport” : La Primaudière 44130 NDDL (n° de compte :20041 01011 1162852D32 36)

Communiqué de presse 30/10 10h30 ...on est toujours là !

Ce matin, depuis 8 h, des centaines de gardes mobiles tentent d’expulser les habitant-e-s du lieu-dit la Saulce à Notre Dame des Landes et rencontrent une résistance déterminée de la part de dizaines de personnes, certaines installées dans des cabanes dans des arbres, d’autres derrière des barricades construites pendant le week-end sur la D81*.

Au moins trois opposant-e-s ont été blessés par des tirs de flash-ball ou de grenades assourdissantes lors des charges. “Je constate qu’encore une fois, la république utilise des armes offensives pour mater la résistance” déclaré Gaël, présent sur place lors des charges. Contrairement à ce qui a pu être annoncé, le Sabot, lieu de maraîchage occupé collectivement lors d’une manifestation le 7 mai 2011 ainsi que les lieux environnants et notamment les Cent Chênes et le Far West ne sont pas expulsés.

Ce mardi, le COPAIN 44 (Collectif des Organisations Professionnelles Agricoles Indignées par le projet d’aéroport) a appelé à rejoindre le Sabot pour participer à cette lutte contre la destruction des terres. Plus de deux cent personnes et des tracteurs sont déjà présentes devant la mairie de Notre-Dame-des-Landes, et vont essayer de rejoindre le Sabot.

*"Ils nous jettent à la rue, donc on assume et on l’occupe ! En occupant la route, on créé un moment éphémère dans cette lutte contre l’aéroport Grand ouest. Un moment de rencontre pour celles et ceux qui participent à cette lutte, un moment pour montrer que même si des maisons sont expulsées et détruites, ainsi que des jardins collectifs et des potagers, cela n’entame en rien notre détermination." annonce un texte écrit ce week-end à l’occasion de la construction des barricades sur la D81.

"Contrairement aux déclarations du sous préfet, M. Lapouze, annonçant le mouvement de résistance à Notre Dame des Landes ’fini’, nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à nous engager pour la protection de ce magnifique bocage, et plus généralement pour lutter contre la logique sous-jacente à ce type de projet. Pendant tout le week end, des centaines de personnes sont arrivées pour apporter leur soutien, nourriture, vêtements, et matériel, pour participer à cette lutte et pour s’installer pour les semaines et les mois à venir." a déclaré Camille Giloin, 34 ans.

Une manifestation de réoccupation est d’ores et déjà prévue samedi 17 novembre au départ d’un bourg proche de la ZAD.

Contact presse : 06 65 67 76 95 / zad@riseup.net

[Source : ZAD]

Derrière les barricades de Notre-Dame-des-Landes

Pour empêcher la construction de l’aéroport du Grand-Ouest, projet de Jean-Marc Ayrault, les résistants s’organisent en développant un mode de vie alternatif.

(De Notre-Dame-des-Landes) Dans le bocage nantais, une poignée d’activistes compte tenir tête à un important dispositif policier. La guérilla qui s’amorce pourrait durer des mois. En jeu : la construction de l’aéroport du Grand-Ouest, projet personnel du premier ministre Jean-Marc Ayrault.

Un tract recouvrant le panneau d’entrée de ville de Notre-Dame-des-Landes donne l’ambiance :

« Wanted Ayrault-Porc. Vinci-PS : Pour de l’argent, vous avez collaboré à la destruction des maisons de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Nous on va gratuitement démonter vos entreprises. »

Bienvenue dans la « Zone à défendre » (ZAD), petit bout de campagne de 1 800 hectares échappant actuellement au contrôle de l’Etat. La préfecture de Loire-Atlantique a lancé le 16 octobre dernier une vaste opération de reprise en main de ces terres, où Vinci compte démarrer l’an prochain les travaux de l’aéroport du Grand Ouest.

Ce projet, jugé inutile et mégalo par nombre de citoyens, est encore attaqué devant différentes juridictions, et l’Etat a promis dans le protocole d’accord de sortie de grève de la faim de mai dernier, qu’il ne démarrerait pas les travaux avant épuisement de tous les recours.

Neuf des douze maisons squattées sur la zone ont été vidées de leurs occupants et démolies sur le champ par un dispositif policier exceptionnel. Restent trois maisons qui s’organisent en camp retranché, des dizaines de cabanes perchées dans les arbres et des tentes qui sont plantées dans les champs chaque jour.

La « Zone à défendre » va-t-elle devenir une guérilla champêtre où se jouera la crédibilité du gouvernement ? Un nouveau Larzac ? Un mai 68 des champs ? Sur place, les jeunes, dont l’étiquette politique ne peut se réduire à la mouvance « anarcho-autonome » ni à l’écologie, espèrent bien remettre en cause, à travers la contestation contre cet aéroport, le capitalisme lui-même.

« Free shop » et autogestion

« Ils sont où les casqués ? En relâche ce week-end ? Ah oui, c’est vrai qu’ils font les 35 heures », raille un militant anti-aéroport arrivé en renfort. Il a l’air déçu qu’aucun affrontement avec la police n’ait lieu ce samedi. On lui propose en revanche de donner un coup de main, en allant amasser du matériel de construction.

« La Vache rit », grande grange en plein vent appartenant à l’Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d’Aéroport de Notre Dame des Landes (Acipa) et mise à la disposition des insurgés, est le quartier général de la ZAD. Sur un grand tableau, on peut découvrir les besoins de la lutte. Poste par poste (cuisine, médicaments, reconstruction, barricades, communication) : « Céréales, bouteille butane, dentifrice, bâche, jumelles, cire… ».

Matériel et savoir-faire sont sollicités pour construire des cabanes, faire tourner la radio, le site internet. Un insurgé fatigué peut aussi trouver l’adresse d’un endroit où dormir au chaud, où laver ses vêtements, se faire soigner…

A côté du « free shop », friperie qui déborde de vêtements de toutes tailles, la cuisine regorge de vivres. Une tire-lire prend les pièces et billets. Ici, on consomme selon ses besoins et on paie selon ses moyens.

« On a un moral d’acier… même s’il est trempé »

Les « casqués » sont attendus de pied ferme pour lundi matin, où l’une des trois dernières maisons occupées sera expulsable. Il faudra être nombreux à La Saulce dès 5 heures sur les barricades. Ses occupants n’ont pas souhaité accueillir de journalistes, je n’ai donc pu vérifier s’ils stockaient plus que des œufs remplis de peinture, leur arme préférée paraît-il.

Les « Zadistes » installés depuis trois ans sur la zone – une population qui tourne, et reste généralement quelques mois – seraient deux fois plus nombreux depuis le 16 octobre. Ils ont certes perdu l’essentiel de leurs bases arrière et de leurs lieux de vie, mais comme ils aiment à le dire :

« On a un moral d’acier… même s’il est trempé. »

Juliette a passé la nuit à faire le guet sur la route, à expliquer aux automobilistes quelles routes emprunter pour éviter les barrages, puis a essayé de dormir dans le grand dortoir, une ancienne étable où une trentaine de matelas ont été posés à même le béton, mais les ronflements de ses voisins l’ont empêché de fermer l’œil. Avec son copain, Christophe, la trentaine, ils ont, voici une année, quitté de bons boulots dans le secteur social près de Brest et pris la route. Leur vieille voiture est devenue leur maison.

Avant d’arriver à Notre-Dame-des-Landes, ils ont stationné dans toute une série de lieux autogérés bien connus de leur milieu (le Centre social autogéré de Toulouse, Cravirola, le squat d’artistes de la Caserne de Marseille, Longo Maï). Là-bas, ils exploraient les possibilités d’un mode de vie alternatif. Cette fois, ils se retrouvent engagés, presque par hasard, contre un aéroport.

Ce « grand projet inutile », au même titre que le TGV Lyon-Turin ou la ligne à Très haute tension (THT) du Cotentin, attire contre lui les mêmes populations qu’aux contre-sommets du G8 depuis Gênes en 2001, ou dans les forums sociaux tels que Porto Alegre.

Christophe et Juliette voient dans le projet d’aéroport « une tâche », le symbole de ce qu’ils rejettent dans la société actuelle :

« La main mise sur des terres qui appartiennent à tous, le pouvoir des multinationales et la primauté du profit, la collusion du pouvoir politique avec le privé. »

Kevin refuse l’étiquette d’écolo

La Sècherie est l’une des trois dernières maisons non encore détruites. Kevin (prononcer Kévain et il m’assure que c’est son vrai prénom), jeune Rochelais l’a investie voici trois ans et avait presque réussi à « vivre en autonomie, c’est-à-dire à produire ce que je consomme ». Il a obtenu quelques semaines de délai avant l’expulsion, probablement parce qu’il payait ses factures d’eau et d’électricité, même s’il n’avait pas de bail.

La semaine dernière, la police a enfermé les cinq personnes qui occupaient La Sècherie et a soigneusement démoli la maison mitoyenne, occupée jusqu’à l’été dernier par un couple d’agriculteurs à la retraite. Elle a remporté tous les gravats, et « ma ruche a été détruite », se désole Kevin, en remballant son matériel de brasserie. Il ne fera plus de bière, peut-être sèmera-t-il de nouveau des légumes sur l’emplacement de l’ancienne maison de ses voisins, en ultime signe de résistance.

Moins collectiviste que les autres, Kevin a dû ouvrir grand les portes de sa maison. Les « Zadistes » y passent prendre une douche, un thé, se réchauffer autour de la cheminée, utiliser l’ordinateur. Non-violent, Kevin conteste simplement l’existence du droit de propriété en estimant qu’il aurait dû bénéficier « d’un droit d’usage » :

« Cette maison m’appartient puisque j’y ai construit des choses, eux [l’ennemi incarné par la police mais aussi par Vinci, par l’Etat et les institutions en général, ndlr] ne font que détruire. »

Politiquement, l’« autonomie » dont se revendique Kevin n’a rien à voir avec celle des gens de Tarnac. Il refuse toutes les étiquettes et surtout celle d’« écolo », car selon lui :

« Agir contre l’aliénation de l’être humain par le système, c’est quand même autre chose que l’écologie. »

Pauline, au contraire, arrivée de Seine-Saint-Denis il y a quelques mois, estime que l’écologie c’est ce qu’ont en commun les gens de la ZAD. Membre de la Brigade activiste des clowns (la BAC), elle décrit l’expérience de la ZAD comme une école de la vie, qui lui a « dépucelé les yeux ». Avec un ton hyper rieur et un pistolet à eau de Buzz l’éclair dans les mains, elle étale sa joie :

« Ici, j’ai commencé à voir le ciel, à sentir le vent. J’ai vu des hommes pleurer devant la destruction des arbres. »

Comme d’autres, elle a trouvé la formule pour railler l’intervention policière :

« Eux, c’est l’armée romaine qui envoie ses légionnaires, et nous on est Astérix et Obélix qui résistons à l’invasion. »

Elle est allée chatouiller les gendarmes mobiles pendant les expulsions, a même réussi à leur arracher quelques sourires.

« On est chez nous »

Les jeunes s’amusent presque d’avoir obligé la préfecture à envoyer les forces du Groupement régional d’intervention en milieu périlleux (le GRIMP), et si les cabanes au sol sont faciles à détruire, celles perchées dans les arbres compliquent considérablement la tâche de la police. Ils s’appliquent donc à en reconstruire un maximum. Car dans la ZAD, « on est chez nous », répète Arnaud, chargé ce jour-là de la communication extérieure.

Trente-cinq ans dont vingt d’« engagement anti-autoritaire » dit-il sobrement, il voit dans cette lutte un espace concret pour appliquer sa critique radicale du système, et un lieu de brassage exceptionnel. La répression policière est finalement « une opportunité politique de renforcer notre lutte » :

« J’aurais presque envie de remercier le préfet d’avoir lancé cette opération. Il aimait bien parler des méchants squatteurs et des gentils proprios, mais ça ne tient plus, on est tous solidaires désormais. »

Le « on » du « on est chez nous » s’applique autant aux « Zadistes » qu’aux agriculteurs à qui Vinci essaie de monnayer leur expropriation, et aux citoyens qui attendent de la terre qu’elle les nourrisse. Camille (cette fois c’est son vrai prénom), cheminot à la retraite habitant juste au-delà de la future zone aéroportuaire, venu apporter des confitures et son soutien, remarque que :

« La raréfaction de l’énergie va obliger les gens à s’autosuffire dans la deuxième couronne nantaise. Défendre la terre c’est un combat d’avenir, et n’allez pas me dire que les entreprises de BTP créeront des emplois. Elles embaucheront en sous-traitance des précaires venus d’Europe de l’Est. »

« Il nous faut un local en dur »

Le 17 novembre, les « Zadistes » seront épaulés par la Confédération paysanne, le NPA, et pas mal d’organisations à la gauche de la gauche et espèrent bien que la « manif de réoccupation » aboutira à une reprise en main citoyenne du territoire.

Il y a certes des « frottements entre paysans aux cheveux blancs et jeunes chevelus, mais globalement les luttes convergent, même si l’invention de la démocratie c’est parfois laborieux et fatiguant », concède Pierre, un militant historique à l’issue de la grande réunion de convergence organisée vendredi dernier à Nantes.

« Il nous faut un local en dur », c’est le constat que fait chacun, notamment ceux qui ont étudié la lutte sur le plateau du Larzac et se souviennent combien la construction de la bergerie de la Blaquière avait été décisive pour asseoir la solidarité entre ouvriers et paysans.

Michel Tarin, le paysan à la retraite qui combat depuis quarante ans ce projet d’aéroport et a fait une grève de la faim au printemps dernier, pense que :

« Jean-Marc Ayrault veut montrer des muscles parce qu’il veut pas être déstabilisé en ce moment. »

Lui soutiendra les jeunes insurgés comme il le fait depuis leurs expulsions, malgré la demande du préfet.

Arnaud en est persuadé : les forces de l’ordre ne gagneront pas ce combat. Même s’il y a dix policiers armés pour un opposant armé au pire de pavés, la mobilité et la ténacité des « Zadistes » sera plus forte, veut-il croire :

« A la Saulce, en un week-end, on a construit un tipi et deux cabanes, de quoi loger 30 personnes. Tant qu’on trouvera des pneus et des palettes, on pourra construire, et si en plus les paysans nous donnent de la paille pour isoler, c’est encore mieux. »

Bottes, gros manteau, lampe frontale, dread locks et barbe, Arnaud a déjà passé un hiver ici, à « La Gaité », grande maison connue pour organiser des fêtes tous les soirs de pleine lune et détruite cette semaine. Et l’idée de devoir passer un autre hiver, cette fois dans un abri non-dur, ne l’effraie pas.

Un rapport de force « extrêmement défavorable »

A la préfecture, le ton est évidemment à l’opposé. Le directeur de cabinet du préfet, Patrick Lapouze, dit avoir été « très heureusement surpris par la faiblesse de la résistance », et estime que le mouvement est « fini ». Pour preuve, il avance :

« Lors de la manifestation de mars dernier contre l’aéroport, il y a eu 6 000 personnes, dont 550 d’extrême-gauche venus de toute l’Europe. Si la lutte était toujours aussi mobilisatrice, il y aurait actuellement le même nombre de gens. »

Or les « Zadistes » sont au bas mot trois fois moins, et n’auront aucun mal à être mis hors d’état de nuire par un rapport de force « extrêmement défavorable ».

Pour Patrick Lapouze, il faut rappeler que :

« La police ne harcèle pas, elle fait respecter la loi. Ce sont eux qui harcèlent tout ce qui représente l’autorité. C’est devenue une zone de non-droit où je ne peux plus me rendre sans protection policière, au risque de me faire caillasser ma voiture, comme ce fut le cas l’autre jour.

Depuis deux ans, ces méthodes d’intimidation nous contraignent à travailler dans des conditions très compliquées. Nous allons les empêcher de se réinstaller. Quand ils seront 150 retranchés dans une grange, ils ne tiendront pas longtemps, ils iront voir ailleurs. En attendant, le risque c’est qu’il arrive un pépin d’ordre public. »

Au printemps, Vinci doit commencer les travaux routiers, l’opération de rétablissement de l’ordre doit être achevée d’ici là. « Si la République n’est pas capable de reprendre ce terrain, il y a de quoi s’inquiéter pour la République », ajoute le sous-préfet.

[Source : Rue89

Aéroport de Nantes : Les enjeux du transfert vers Notre-Dame-des-Landes
Tempête autour d’un tarmac

Enquête. L’actuel aéroport de Nantes (Loire-Atlantique) est saturé et vétuste. Situé en zone urbaine, son développement est inenvisageable. Après enquêtes et débats publics, une nouvelle structure aéroportuaire 
devrait être mise 
en exploitation 
à l’horizon 2017 
à Notre-Dame-
des-Landes.

Découvrir Nantes, c’est immanquablement en venir à lever les yeux au passage d’un géant du ciel, parfois en plein effort au décollage, survolant des zones habitées du centre-ville, la gare ou le Hangar à bananes (le nouveau lieu de vie nocturne des bords de Loire) à quelque 200 mètres d’altitude à peine. Débutée aux lendemains de la Première Guerre mondiale, l’histoire de l’aviation à Nantes a presque cent ans. Mais les Airbus et Boeing d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec les avions à hélices qui fauchaient les marguerites. L’exploitation du terrain actuel de l’aéroport de Nantes-Atlantique, même s’il a été reconfiguré depuis, remonte aux années 1930. La zone était rurale. L’agglomération s’est étendue largement depuis. Certes, il n’y a jamais eu d’accident à déplorer. «  Mais au prix de procédures de contournement très complexes, qui créent de la tension dans la tour de contrôle. Si on recalait la trajectoire, on survolerait tout Nantes  », atteste Jean-Pierre Fromonteil, contrôleur aérien, en retraite depuis peu. Dans les années 1970, c’est en prévision du projet Concorde que le site de Notre-Dame-des-Landes, situé à trente minutes de Nantes et cinquante minutes de Rennes, a été préempté par l’État. Mais le projet a avorté. Les personnes concernées par les expropriations ont pu continuer à résider là et à cultiver des terres. Et puis, dans les années 1980, Nantes-Atlantique suffisait bien pour rallier Orly avec Air Inter. Une dizaine de vols par jour. Aujourd’hui, le TGV permet tout aussi bien et mieux encore de relier la capitale. Par contre, la demande s’exerce et ne cesse de s’accroître vers des villes françaises comme Marseille et Strasbourg. Vers des grandes villes européennes comme Milan, Amsterdam, Madrid, qui elles-mêmes desservent d’autres destinations mondiales. Les aéroports parisiens sont saturés et plus personne ne peut songer à la construction d’un troisième aéroport en Île-de-France. Reste que l’aéroport de Nantes atteint lui aussi le niveau de saturation. L’État a réactivé le projet de construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, avec deux pistes et non plus une seule, pour éviter une «  exploitation tendue et lourde en contrainte  », se félicite notre aiguilleur du ciel. Mais «  il ne s’agit plus de parler de projet  », pour Jacques Auxiette, président du conseil régional des Pays de la Loire et du syndicat mixte aéroportuaire qui regroupe désormais 28 collectivités locales et regroupements de collectivités, «  car nous sommes entrés dans la phase de réalisation  ».

L’équipement, déclaré d’intérêt public en 2008, sera construit et exploité par le groupe Vinci. Une délégation de service public, concédée par l’État pour une durée de cinquante-cinq ans. Officialisé fin 2010, ce partenariat public-privé a une particularité : il inclut une cause de retour «  à meilleure fortune  ». L’aéroport doit coûter 581 millions d’euros. Vinci en amène 311, l’État 125,5 et six collectivités (régions Pays de la Loire, Bretagne, conseil général de Loire-Atlantique, Nantes Métropole, Cap Atlantique et Communauté d’agglomération de la région nazairienne et de l’estuaire) apportent 115 millions d’euros. «  Avec la clause, il ne s’agit pas de subventions, mais d’avances remboursables  », explique Jacques Auxiette. «  Les hypothèses d’attractivité permettant d’espérer des excédents d’exploitation, nous avons considéré que l’entreprise privée Vinci, qui n’est pas la seule à investir, ne devait pas être la seule à en bénéficier  », poursuit l’élu socialiste.

En Loire-Atlantique, le PS, le PCF, le MRC, le Parti radical de gauche ainsi que l’Union démocratique bretonne soutiennent le transfert vers Notre-Dame-des-Landes, qui est qualifié d’«  indispensable  » du point de vue du développement du territoire et de l’emploi, tout en arguant qu’un équipement aéroportuaire ne signifie pas bétonnage. Même, «  il garantit la préservation de près de 300 hectares d’espaces naturels et agricoles autour de la plate-forme limitant ainsi l’étalement urbain  », soulignent ces partis. Répondant aux normes BBC, il sera autosuffisant en énergie. Le PG, qui parle d’un projet «  ruineux  », «  inutile et néfaste  », et EELV considèrent, pour leur part, que le débat n’est pas clos, malgré les milliers d’heures de débats et d’enquêtes publiques. Ainsi, le député (EELV) François de Rugy, s’il ne nie pas que «  des étapes indéniables ont été franchies  », rappelle que des études doivent encore être menées, notamment dans le cadre de la loi sur l’eau. Études géologiques, prise en compte d’éventuelles zones humides à reconstituer… «  Au-delà des aspects juridiques, ces questions, même si elles font figure de grain de sable, sont désormais posées. Peut-être que tout ira bien, mais peut-être que les délais et le coût vont s’en trouver réévalués à la hausse.  » De quoi dissuader Vinci ? De quoi inciter l’entrepreneur privé à exiger des rallonges budgétaires que l’État et les collectivités ne seraient pas en mesure de mettre sur la table ? Autant d’hypothèses qui n’alarment pas l’élu écologiste : «  Si le projet venait à être abandonné ou repoussé, avec l’actuel site de Nantes-Atlantique, la région ne serait pas dépourvue d’aéroport.  » «  Pas les moyens  », c’est également l’argument avancé par le député des Verts quand est abordée la desserte ferroviaire de l’aéroport. Une ligne TGV entre Nantes et Rennes, via Notre-Dame-des-Landes, ainsi qu’un tram-train entre Nantes et le futur aéroport, tel est le combat que les élus régionaux PS et PCF mènent. Pour eux, comment parler d’un équipement de développement durable si la voiture reste le seul moyen d’y accéder ? Autant de débats que François de Rugy souhaite voir mener «  démocratiquement  ». Des différences de positionnement à gauche «  que chacune des organisations assume et qui n’empêchent pas de travailler ensemble, en particulier au sein du Front de gauche  », commente Aymeric Seassau, secrétaire de la fédération PCF de Loire-Atlantique. «  Dans ce genre de sujet, le débat politique approfondi et instruit, mené dans un esprit de dialogue, doit l’emporter sur les passions  », estime pour sa part Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, qui juge ce transfert «  utile au regard des problèmes de sécurité et de nuisances occasionnés par l’enclavement de l’actuel aéroport, utile au développement de l’emploi  », dans la filière aéronautique. Car, paradoxe de taille : Airbus, travaillant à des appareils adaptés aux défis écologiques d’aujourd’hui et de demain, construit des A380 qui ne peuvent pas atterrir à Nantes. La piste ne fait que 40 mètres de large, il leur en faut 60. Mais l’opposition se cristallise notamment autour des questions d’expropriation d’habitations et de terres agricoles. Pour se faire entendre, les opposants au projet de transfert ont constitué des associations qui créent régulièrement l’événement, quitte à en venir aux mains. On se souvient aussi de la caravane du PS sillonnant la France dans le cadre de la primaire, qui fut saccagée en août 2011… Jacques Auxiette fait le point de la situation : «  Sur trente-neuf dossiers concernés, vingt-sept sont réglés avec protocole d’accord signé, et il reste cinq dossiers entre les mains du juge des expropriations, comme cela se fait dans de nombreux projets d’aménagement. » C’est dans ce contexte que se revit ce qu’il est coutume d’appeler à Nantes «  un nouveau Larzac  » ; des groupes de jeunes, venus parfois de très loin, n’hésitant pas à squatter des logements désormais vides.

L’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport (Acipa), ainsi qu’une quarantaine d’autres, constituées en coordination, appellaient à une manifestation à Nantes le 24 mars. Elle a réuni de 4000 à 10 000 personnes (selon les sources).

«  Les médias relaient beaucoup les propos des personnes qui sont contre l’aéroport. (...) On parle beaucoup moins de ce qu’il est susceptible d’apporter à la région en termes de création d’activités et d’attractivité. Il faudrait peut-être se mobiliser pour dire qu’on est pour l’aéroport et qu’il constitue un intérêt économique fort pour la région  », déclarait il y a quelques semaines, Jean-Charles Cadiou, vice-président de l’université de Nantes en charge des relations avec les entreprises. Côté emplois, notons que le futur chantier emploiera 3 000 personnes. La piste de l’aéroport actuel, Nantes-Atlantique, pourra être utile à Airbus, dont un site de fabrication est à proximité, pour des essais. La filière aéronautique représentant quelque 20 000 emplois dans la région.

La croissance du trafic en 2011. Mi-janvier, la société Aéroports du Grand Ouest publiait les chiffres du trafic de l’aéroport Nantes Atlantique pour 2011. Ils reflètent une augmentation du trafic régulier de 7,08 % par rapport à 2010 avec un total de 3 246 112 passagers. 
Une progression principalement due à l’activité régulière Europe et internationale (plus 21,17 %). Sur les lignes nationales, la hausse atteint 7,99 %. Le trafic lié aux vacances est toutefois en diminution de 7,72 %. Douze lignes ont été ouvertes au départ de Nantes en 2011, année qui a permis d’accueillir trois nouvelles compagnies (Air Austral, Vueling et Eastern Airways). L’ouverture 
de huit nouvelles lignes régulières est annoncée pour 2012  : en particulier vers Nice par easyJet, vers Lisbonne par Transavia et vers Malaga par Vueling.

[Source : l’Humanité]

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