Le vendredi 10 avril, de très laconiques dépêches ont annoncé la réélection d’Abdelaziz Bouteflika à la tête de l’État algérien. La presse, qui a fait peu de cas de ce score (« 90% ») stalinien, continue de faire les yeux doux à une des dictatures les plus sanglantes de la planète.
Alors que, de toute évidence, les chiffres officiels sont sans commune mesure avec la réalité, Reuters a préféré entretenir le suspense en parlant de « la grande inconnue », le taux de participation, qui battra tous les records avec « 74,11% ». Défense de rire : la précision est au centième près, face à un chiffre réel qui avoisinerait plutôt les 20%...
Les agences de presse ont vaguement répercuté les cris dans le désert de l’opposition, comme par exemple le FFS qui dénonce dans un communiqué « un véritable tsunami de fraude massive qui a atteint une échelle industrielle ». Il y aurait de quoi interpeller tout journaliste, mais c’est mal connaître l’état de la presse française aujourd’hui, qui lorgne sur les bulletins de santé de Bouteflika, l’homme de paille du Club des Pins – le quartier résidentiel des richissimes généraux qui tiennent les rênes du pays. Ce régime néocolonial, pour perdurer, a terrorisé la population, notamment en jouant les marionnettistes du GIA, dans une guerre psychologique anti-subversive rappelant les plus belles heures de la guerre d’Algérie. Face à un raz-de-marée contestataire, l’État avait vacillé au printemps 2001, mais la réalité géopolitique du 11 septembre a diplomatiquement re-légitimé un régime qui se réclame de l’Axe du Bien. Sans attendre les proclamations officielles, Nicolas Sarkozy, dans la continuité de ses prédécesseurs, a été un des premiers à adresser à Bouteflika ses « chaleureuses et amicales félicitations ». L’Élysée appelle de ses vœux « un partenariat d’exception », et souhaite forger « un lien exemplaire aux yeux du monde ».
Certains se souviendront que notre bon président avait justifié la politique post-onze septembre (et notamment l’occupation de l’Afghanistan) avec la vague d’attentats du GIA en France. Quand on sait que les commanditaires furent les services secrets algériens et que la DST était parfaitement au courant, la boucle est bouclée. De leur côté, les États-Unis ont déclaré être « préoccupés » par les accusations de fraude électorale. Traduction du langage diplomatique : « on s’en fout ». « À l’heure actuelle, nous ne voyons aucune raison de supposer que nous ne continuerons pas à travailler avec le gouvernement », déclare même le porte-parole du département d’État.
Lorsqu’il s’agit de pays néocolonisés, le langage de la presse française, en temps d’élections, obéit à des rites invariables. Alors que la population se vautre dans « le désintérêt pour la politique » (Le Monde), l’« indifférence absolue » au sujet de « débats politiques qui ne les intéressent absolument pas » (Le Figaro), les « candidats malheureux » (AP, 11 avril) « crient à la fraude », alors que le président, « sans adversaire à sa mesure » (Reuters), son « pari gagné » (BFM TV), est « plébiscité » sous les yeux d’un occident attentif à la « faculté de Bouteflika de conserver sa légitimité aux yeux des 34 millions d’Algériens (...) »
On va chercher à la rescousse un local, « professeur de sciences politiques » qui se dit « se dit surpris de la participation élevée » (Reuters, 10 avril). L’opposition, toujours divisée, et « la critique stérile et systématique fait, je crois, partie de la nature arabe » (Y. Khadra dans le Nouvel Obs). Sans oublier la caricature habituelle des jeunes voyous ivres d’islam ou cherchant désespérément à rejoindre les rangs d’une immigration menaçante. Les partisans du pouvoir sont par contre de gentils « citadins laïques ».
Le Monde, quotidien de déférence, n’a pas peur de juxtaposer les pires contradictions : « les Algériens se sont précipités dans les bureaux de vote » à l’issue d’une campagne électorale dont on apprend plus loin qu’elle a « laissé indifférente la population ». Une « élection sans passion » réalisée dans l’« apathie générale », et pourtant, Le Monde fait de la santé du président le sujet d’angoisse n°1 du peuple algérien : « la question hante les esprits. "En cas de problème, qui prendra la relève ? Et surtout, pour combien de temps ?", se demandent avec inquiétude les Algériens. » Plus c’est gros, plus ça passe. Nouveauté, le people : « le séducteur des années 60 et 70 - on lui a prêté une liaison avec Jean Seberg -, (...) est officiellement célibataire. » (Libération)
L’Algérie, c’est 20% de l’approvisionnement en gaz de l’UE. C’est énorme. « La dépendance de l’économie aux hydrocarbures va demeurer le souci de ce nouveau quinquennat. » Non, ce n’est pas une promesse électorale, c’est Le Monde qui l’affirme sans sourciller, à l’issue de l’élection. Ah bon ? Mais cette dépendance aux hydrocarbures est l’épine dorsale de ce régime triomphant, sa raison d’être ! Rien n’est transformé, tout est importé, il s’agit d’une néocolonie modèle. Le pétrole assure 98% des recettes d’exportations. La mafia militaire se sucre allègrement sur les biens importés. Un livre passé sous silence, la Françalgérie , décrit en long et en large toutes les magouilles d’un État fantoche et uniquement militaro-policier, dirigé par une clique de milliardaires. La France, qui pille les matières premières et vend des armes, est au mieux complice de ce système.