[ [ [ Nous aussi, on est des humains - Yannis Lehuédé

Occupante de la Bourse du travail, Madame D. vient du Mali. Elle vit en France depuis 2002.

Je suis en France depuis 2002, toujours sans-papiers.

Mon mari est venu avant moi. Ça s’est bien passé.

Mon mari travaillait, il faisait le ménage. J’ai cherché du travail avec une fausse carte. La première année, j’ai trouvé du travail dans le ménage. Puis ça c’est arrêté, maintenant je travaille au noir. Ils ont compris que c’était une fausse carte.
J’ai cherché du travail au noir, je faisais des tresses aussi. J’ai trouvé des ménages dans le bâtiment. Dans les chantiers on nettoie les nouveaux bâtiments. Ils me paient avec un chèque sans nom. Je donne le chèque à quelqu’un qui a des papiers et il le touche pour me remettre l’argent. Au pays j’étais secrétaire-dactylo. Maintenant, j’ai complètement oublié. Je ne pratique pas, j’ai oublié. Et puis j’ai fait une formation avec les touches mécaniques.

C’est le problème des enfants qui nous a fait venir ici. C’est ça qui nous a fait venir. L’enfant ne venait pas… La belle famille ne cherchait pas à comprendre, ils voulaient que mon mari se marie à une deuxième femme. Au pays on serait obligés d’accepter. La pression familiale est très forte. Pour eux la responsable c’est la femme, ils ne cherchent pas à comprendre.

Mon mari est venu en premier, il a fait des visites à l’hôpital, on lui a dit qu’il pouvait faire venir sa femme. Il faisait du commerce. Ca n’a pas marché, jusqu’à présent, on est dans la même situation. Je ne m’attendais pas à rester 7 ans sans avoir d’enfant.

C’est pas bien expliqué. Quand on est au Mali, on ne peut pas imaginer la souffrance du sans-papiers ici. Si j’avais eu un enfant, on serait retournés. Si on a un enfant, on repartira. Comme ça n’a pas marché, on est obligés de trouver de papiers pour pouvoir vivre.

J’avais une connaissance dans une association de sans-papiers, elle m’a donné l’adresse. On s’est inscrits au collectif du 19e et on est venus faire l’occupation.

Je voudrais dire aux Français que nous aussi, on est des humains, on a une vie, vivre en cachette, ce n’est pas une vie. Il faut qu’ils nous donnent la carte de séjour, qu’on puisse vivre.

Les gens avec qui je travaille ont 1000 euros et plus de salaire, et moi quand je travaille le plus, j’ai 800 euros, parfois je suis payée 300 , 400 euros. Je n’ai pas droit aux congés payés, aux vacances. L’heure n’est jamais payée au prix normal.

Par exemple si je travaille 8h, je repars avec 38 ou 40 euros.

Nos arrières grands parents ils venaient travailler ici, mais il n’y avait pas de problème de papiers, ils pouvaient aller et venir simplement.

Le plus difficile, c’est qu’on ne peut pas trouver de boulot. Si tu trouves tu es exploité à 200 %.

Tu ne vis pas comme une personne normale. Tu n’as pas le droit au repos, tu travailles comme un animal. Si tu es malade, tu dois te lever.

Pour aller au travail si tu vois des flics tu as peur. Tu as peur qu’on te demande ta carte.

La société française ne veut pas de nous. Mais ils ont besoin de nous. Se lever à 4 heures pour le premier train. Dans le premier train, le deuxième, c’est des immigrés. Nous, ce qu’on trouve, on le prend. Pour survivre. Pour aider nos parents en Afrique.

Quand tu rentres dans les chantiers, c’est que des hommes.

3h30, ils te paient pas. On te paie trois heures... J’ai réclamé, réclamé, j’ai eu 36 euros. J’ai travaillé trois semaines. J’ai dû payer le transport. J’ai dit je ne viens pas à pieds !

Ils profitent toujours des Africains. Même les patrons africains, c’est des durs. Chacun cherche son intérêt. Ceux qui n’ont pas de papiers exploitent ceux qui n’en ont pas.

La personne qui t’a passé la carte tu peux lui courir après, elle ne veut pas te donner l’argent. Elle te donne la moitié.

On envoie un peu. Même 50 euros, c’est beaucoup là-bas.

Les autorités françaises savent bien qu’on n’est pas des bandits. Qu’ils nous donnent notre carte de séjour, qu’on puisse vivre dans la dignité. Même quand tu as un parent mort en Afrique, tu ne peux pas aller faire tes condoléances. Tu es comme un prisonnier.

Au Mali, je faisais de l’athlétisme. On a peur de tout. Partout où on se présente on demande les papiers. J’aimerais bien prendre des cours pour progresser.
Mais on est là, enfermés, on ne peut rien faire.

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