[ [ [ Rapport annuel sur les centres et les locaux de rétention administrative - Yannis Lehuédé

Lorsque quotas et légalisme deviennent incompatibles avec l’exigence d’humanité

Le sixième rapport annuel de la
Cimade sur la rétention administrative
vient de paraître. C’est le troisième
depuis fin 2003, date de la
réforme législative majeure de la
rétention C’est également depuis
2003 que le ministre de l’Intérieur
impose aux préfectures des objectifs
chiffrés en matière de reconduite à la
frontière : 15 000 pour 2004, 20 000
pour 2005 et 25 000 pour 2006 –
comme pour 2007.
La Cimade rappelle que l’année dernière
elle pouvait écrire qu’on assiste
« chaque jour un peu plus l’inacceptable
 »
. Elle considérait de son devoir
« de dire haut et fort que trop, c’est
trop ! »
« Il faut arrêter cette “politique du
chiffre”. Il y a urgence »
, affirmait-elle.
En un an, la Cimade ne peut que
constater que « la situation ne s’est pas
arrangée, loin s’en faut. Elle s’est encore
aggravée »
.
L’association “d’entraide oecuménique”
rappelle que l’État lui confie
depuis plus de vingt ans maintenant
une mission associative à l’intérieur
des centres de rétention. Elle s’interroge
sur « comment considérer aider
valablement les personnes quand elles
sont enfermées dans des centres qui
deviennent des camps, par une administration
tenue à des objectifs non de
moyens mais de résultats ? »

« Comment expliquer le droit à des personnes
interpellées à leur domicile ou
dans leur quartier à l’occasion d’un
contrôle policier qui rafle tous les passants
qui ont l’air étrangers, le tri entre
les personnes expulsables ou non étant
prévu plus tard, au centre de rétention ?
Comment combattre ce sentiment d’injustice,
d’arbitraire ? »

Observations de la Cimade

Les situations que nous rencontrons tous
les jours sont aussi insupportables que :

  • des parents d’enfants français régulièrement
    renvoyés,
  • des futurs pères dont les enfants doivent
    naître quelques jours après leur renvoi à
    qui on répond : « en attendant, il n’est
    pas né, vous pourrez revenir pour le
    voir »
    ,
  • des femmes enceintes,
  • des couples interpellés en même temps
    mais renvoyés séparément,
  • des futurs époux amoureux, dont la
    famille et les amis vont témoigner à la
    préfecture et auprès de la presse de l’intensité
    de leur relation, mais qu’un fonctionnaire
    aura dénoncés parce que c’est
    dans l’air du temps,
  • des parents renvoyés sans leurs enfants
    parce qu’ils n’ont pas été en mesure
    d’établir la filiation dans les temps impartis,
  • des familles entières privées de liberté,
  • des nourrissons pour lesquels est prévu,
    depuis peu, du matériel de puériculture,
  • des enfants qui voient leurs parents traités
    comme de dangereux délinquants,
  • des enfants que la police est venue chercher
    à l’école pour les placer en rétention
    avec leurs parents, humiliés devant leurs
    camarades de classe,
  • des enfants à qui l’on refuse des crayons
    de couleur parce que cela risquerait de
    dégrader les locaux,
  • des enfants qui sont escortés dans les
    tribunaux,
  • des hommes et des femmes qui ne peuvent
    plus assumer leur rôle de parents,
  • des personnes âgées dont tout le monde
    se demande ce qu’elles font là sans que
    personne ne prenne la décision de les libérer,
  • des personnes malades qui s’entendent
    dire : « oui, on pourrait vous soigner en
    France, mais ce que vous avez n’est pas
    assez grave, vous pouvez donc repartir
    dans un pays où vous ne serez pas soigné
     »
    ,
  • des demandeurs d’asile à qui l’on a
    retiré toute chance de faire valoir valablement
    leurs craintes en cas de renvoi,
    puisqu’on exige d’eux qu’ils rédigent leur
    demande en cinq jours, en français, sans
    interprète,
  • des demandeurs d’asile bâillonnés parce
    que l’administration a désormais la
    conviction que tout ce qu’ils peuvent
    avoir à dire des craintes qu’ils évoquent
    est dilatoire et sans fondement,
  • des demandeurs d’asile que l’on présente
    aux autorités consulaires de leur
    pays d’origine parce que cela fait bien
    longtemps qu’on ne respecte plus aucun
    principe à leur égard,
  • des ressortissants français pour qui il
    faut batailler dix jours avec l’administration
    avant qu’ils soient libérés,
  • des étrangers en situation régulière
    pour qui personne ne prend le temps de
    vérifier leur statut et qui sont renvoyés…
    « Cette liste est loin d’être exhaustive »
    précise la Cimade.
    Elle dénonce par ailleurs le programme
    de construction de nouvelles
    places de rétention en cours, qui prévoit
    des centres de plus de 200 places
    – comme c’est déjà le cas aux portes
    de Paris, à Vincennes –, bien qu’un
    rapport remis au gouvernement par
    l’Inspection générale de l’administration
    et de l’Inspection générale des
    affaires sociales, ait condamné les trop
    grandes structures de rétention.
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