[ [ [ Quand les universités se transforment en annexe de la préfecture - Yannis Lehuédé

Les étudiants étrangers souhaitant venir étudier en France ont intérêt à avoir lu Kafka. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’être nés au sein de l’Union européenne, un véritable parcours du combattant se prépare. Le Réseau universités sans frontières (RUSF) dénonce les discriminations qui se multiplient, et la tendance à transformer les enseignants en « instruments de préfectures pour livrer des personnes à la clandestinité ou à l’expulsion. »

« Je suis aussi venue étudier en France parce qu’ils font de nombreuses choses pour rendre la vie des étudiants étrangers plus facile », se réjouit Marusha, de Croatie, sur le site Campus France qui fournit des informations pratiques à tout étranger souhaitant user son jean sur les bancs des universités françaises. Procédures d’inscription, d’obtention de visa, démarches pour trouver un logement, un travail, tout y est expliqué. On y apprend notamment qu’avec plus de 260.000 étudiants étrangers par an, le 3ème pays d’accueil offre une « qualité de vie certaine » empreinte d’un « dynamisme culturel envié », « au carrefour de l’Europe ».

Pourtant, loin du folklore à l’auberge espagnole des programmes d’échange Erasmus, le séjour estudiantin en France se transforme parfois en calvaire administratif, souvent pour défaut de papiers. C’est ce que dénonce dans plusieurs universités françaises le « RUSF » (Réseau universités sans frontières). Composé d’étudiants, d’enseignants et de personnels administratifs, le RUSF est créé en 2006 sur le modèle de son grand frère, le Réseau éducation sans frontières. « Être étudiant sans-papiers, c’est d’abord encourir le risque de se voir refuser une inscription dans un établissement d’enseignement supérieur malgré une inscription pédagogique en raison du défaut de visas long séjour », s’indigne le réseau dans son texte pionnier.

Ton bac tu repasseras

Prince, Béninois de 25 ans, en sait quelque chose. Et demeure sceptique sur la volonté de la France de « rendre la vie des étudiants étrangers plus facile ». Un diplôme de biologie en poche, il arrive en novembre 2006 à Nancy pour entamer une formation en Génie Civil. Il dispose bien d’un visa étudiant. Sauf qu’au moment de s’inscrire, les choses ont changé sans que Prince en soit informé. Titulaire d’un diplôme étranger, il doit désormais récupérer son numéro d’étudiant auprès de l’ambassade de France. Trop tard. Inscription refusée. Grâce au soutien d’un proviseur, Prince trouve alors une solution de choix : repasser son baccalauréat à l’école de la République pour avoir un diplôme français. « J’ai du refaire la première et la terminale. C’était ennuyeux mais je n’avais pas vraiment le choix », commente l’intéressé. Il s’inscrit ensuite à Dijon en BTS Techniques commerciales, option matériaux du bâtiment car, dit-il, c’est plus facile que de s’inscrire à l’université.

De problèmes familiaux, tu ne connaîtras point

Suite au décès de son père resté au pays, Prince se retrouve sans source de financement. Chose inacceptable pour la préfecture qui exige une garantie de ressources d’au moins 450€ par mois, soit près de 5.000 € par an, pour délivrer le titre de séjour. Frappé d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), Prince devient sans-papiers. Ce qui lui vaut un séjour en centre de rétention du Mesnil-Amelot dont il sortira pour vice de procédure : la police assurait l’avoir arrêté dans un parc alors qu’il s’était présenté de lui-même après convocation...

Libéré, il part vivre chez sa tante en banlieue parisienne. Il décide alors de s’inscrire en licence d’Administration économique et sociale. Après un refus non motivé de l’université Paris VIII-Saint-Denis, il tente sa chance à Paris X-Nanterre. Dossier encore rejeté. Prince contacte RESF qui le renvoie sur le collectif RUSF de Nanterre, précisément en train d’effectuer un dépôt collectif de dossiers d’étudiants étrangers auprès de la présidence. Trois ans après son arrivée en France, le Béninois aux deux bacs, même sans-papiers, peut enfin débuter ses études supérieures en France.

Suspect, tu resteras

Le calvaire de Prince n’est pas un cas un isolé. « De plus en plus d’agents administratifs regardent avec suspicion les étudiants étrangers, leur demandant de justifier en permanence qu’ils sont de "vrais" étudiants. Peu à peu l’Université épouse la logique et les intérêts de la préfecture. Elle oublie que sa mission est d’offrir l’accès au savoir, et non de juger si une personne étrangère est désirable ou non », s’inquiètent des étudiants toulousains du RUSF. Même son de cloche à Nanterre où le collectif clame que « l’université n’est pas une annexe préfectorale ».

Pourquoi certaines universités exigent ainsi un titre de séjour lors de l’inscription de ses futurs étudiants ? Aucun texte de loi ne les y oblige. « Il n’entre pas dans les attributions des établissements d’enseignement supérieur de vérifier la régularité de la situation d’un étudiant », reconnaissait Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, répondant le 28 juillet 2009 à un député du groupe Gauche démocrate et républicaine (Front de gauche et Verts) qui dénonçait le zèle de l’université de Franche-Comté. Serait-ce la peur d’une « invasion » d’étrangers dans les couloirs de leur établissement qui motiverait certaines présidences à prendre des allures de préfectures ?

Pour ton « bien être », sans papier tu seras

Que nenni, c’est au contraire pour leur bien-être, répond cyniquement le vice-président du Conseil des études et de la vie universitaire de Paris X à une délégation du réseau de défense des étudiants sans papiers. Selon lui, il en va de la responsabilité d’une université que de ne pas inscrire des étudiants qui n’ont pas droit, puisque sans-papiers, à la sécurité sociale ou à l’accès à un logement. Ils passeraient une scolarité dans de mauvaises conditions. « Qu’est-ce que ça peut leur faire ? Ce n’est pas leur problème ! Je ne comprends pas le rapport entre études et sécurité sociale. Tu as ton bac, tu t’inscris à la fac, pas de problème. Là, c’est n’importe quoi ! », s’emporte Prince. Quelle ingratitude face à cette généreuse intention !

De visa, tu rêveras

Tout étudiant non ressortissant de l’Union européenne qui souhaite s’inscrire pour la première fois dans un établissement d’enseignement supérieur français doit déposer une « demande d’admission préalable » (DAP) auprès de l’ambassade de France ou du service Espace Campus France de son pays neuf mois avant la rentrée universitaire. Cette demande recense la priorité des choix d’inscription dans trois universités françaises avant d’être soumise à l’appréciation des universités. Cette discrimination selon la nationalité est vivement critiquée par le RUSF : « Les étudiants étrangers doivent pouvoir s’inscrire à l’université dans les mêmes conditions que les autres étudiants, selon le seul critère de leurs acquis pédagogiques ou professionnels évalués par des commissions universitaires ».

Redoubler ou te réorienter, tu t’interdiras

Le parcours du combattant étudiant n’est pas pour autant terminé. L’acceptation du dossier par une université ne signifie pas nécessairement obtenir un visa. Les autorités préfectorales peuvent refuser la délivrance d’un titre de séjour au vu des études du candidat. « Les problèmes les plus fréquents concernent des refus de titre du fait du caractère "non réel et sérieux" des études ou des problèmes de changement de statut », constate un enseignant de la Sorbonne, à Paris. L’étudiant étranger n’a ainsi pas intérêt à avoir redoublé lors de son cursus.

Redoubler ? Et puis quoi encore ! L’étudiant étranger doit respecter à la lettre la circulaire du 7 octobre 2008 (pdf) sur « l’appréciation du caractère réel et sérieux » de ses études. Il risque en permanence d’être mis à l’index sur son assiduité aux examens, la cohérence de la progression de son cursus ou un changement éventuel d’orientation. Le risque d’un tel droit de regard arbitraire sur les études est de transformer indirectement les enseignants en agents de préfecture. Ce que déplorent des maîtres de conférence de l’Université Paris Saint-Denis-Vincennes dans une lettre interne adressée à leurs collègues : « Nous voyons notre notation, théoriquement conçue pour accompagner les étudiants puis apprécier leurs aptitudes, transformée en instruments de préfecture pour livrer des personnes à la clandestinité ou à l’expulsion. »

Kafka, tu reliras

Situation kafkaïenne pour ne pas dire inextricable. Côté universitaire, l’inscription est indexée sur la régularité du titre de séjour. Côté préfectoral, la délivrance de titres de séjour est lié à l’effectivité de l’inscription. C’est donc sur ces « deux fronts » que les militants du RUSF mènent des actions de défense des étrangers, comme les « parrainages solidaires » par exemple, lancés durant l’été : un étudiant français et un membre du personnel se portent garants d’un étudiant sans papiers en cas d’arrestation. En Île-de-France, on envisage d’empiler des mémoires d’étudiants étrangers devant la préfecture de Paris pour montrer l’importance de ces derniers.

Encore sans-papiers, peu de chance que Prince obtienne son titre de séjour avant la rentrée. Mais pour sa nouvelle carte étudiante, il reste confiant : « J’espère que ça ne va pas poser problème, maintenant je suis dedans ». Si Prince est clairement moins enthousiaste que Marusha la Croate, il la rejoint au moins sur un point : « Venir en France, ça forme ! »

Par Ludo Simbille (20 octobre 2010), bastamag.net

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