[ [ [ Contre les expulsions des jeunes scolarisés - Yannis Lehuédé

Alors que les lycéens descendaient encore aujourd’hui, dans la rue pour exiger que plus jamais leurs camarades de classes ne soient expulsés ; une enquête montre que plus de jeunes scolarisés ont été expulsés sous Hollande que sous Sarkozy ...

Le ministre de l’éducation, Vincent Peillon, compte probablement infantiliser les manifestants en déclarant que : "Leur émotion légitime a été entendue, le premier ministre et le ministre de l’intérieur ont rédigé une circulaire qui sanctuarise l’école et le périscolaire." M. Peillon a cependant exclu toute autre mesure susceptible d’assouplir la législation en matière d’expulsion de familles d’enfants scolarisés.

Ainsi à la suite des déclarations abracadabrantes et irrésponsables du chef de l’Etat lorsqu’il s’adressait directement à une mineur -Léonarda- en lui disant qu’elle pouvait revenir en France, mais sans ses parents, ni frères et soeurs ( pourtant eux aussi scolarisés) ; Peillon annonce que l’a police tentera de ne plus entrer dans les écoles pour faire leur sale besogne, mais qu’en outre partout ailleurs : La chasse est ouverte !

Ci-dessous un article paru dans Médiapart suite à une enquête menée a bien grâce au Réseau Education Sans Frontière qui retrace, les autres expulsions de jeunes gens scolarisés, moins médiatisés que le jeune Léonarda.

« Je n’ose pas dire que j’ai été expulsé. C’est trop la honte »

Les expulsions de lycéens majeurs sont plus fréquentes sous la présidence Hollande que sous celle de Sarkozy. Alors que les lycéens se mobilisent mardi pour y mettre fin, Mediapart a retrouvé Cheick, arrêté en juin dernier en route vers une épreuve du bac, et renvoyé au Mali. Son récit.
Scolarisés mais expulsés. C’est pour mettre fin à ces situations que les lycéens ont décidé, sitôt les vacances terminées, de retourner dans la rue. Mardi 5 novembre, des défilés sont organisés à l’appel des syndicats Unel et Fidl ; mais aussi de l’Unef, un syndicat étudiant. Avant les vacances de la Toussaint, des milliers de lycéens ont manifesté à plusieurs reprises, essentiellement à Paris, et bloqué l’entrée de quelques établissements. La circulaire annoncée par François Hollande face au cas Leonarda ne les satisfait pas : elle se contente de demander aux forces de l’ordre de ne pas intervenir dans le cadre scolaire et périscolaire lors des expulsions d’étrangers en situation irrégulière. En clair, on sanctuarise un lieu, l’école. Mais hors cadre scolaire, on peut continuer d’expulser tranquillement.
Khatchik Kachatryan, 19 ans, lycéen à Paris renvoyé le 12 octobre vers l’Arménie, est devenu à Paris la figure emblématique de ce combat. Mais il n’est pas le seul lycéen majeur à avoir subi ce sort depuis que François Hollande a accédé à la présidence de la République. Avant lui, quatre autre lycéens majeurs ont été renvoyés vers leur pays d’origine. Soit une fréquence plus élevée que pendant les années Sarkozy.
Description : Manifestation lycéenne à Paris pour Khatchik et LeonardaManifestation lycéenne à Paris pour Khatchik et Leonarda© Reuters
En effet après de nombreuses expulsions de lycéens entre 2003 et octobre 2005, une forte mobilisation, notamment du réseau alors naissant Education sans frontières (RESF), était parvenu à les limiter. En septembre 2005, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur demande au préfet de Seine-Saint-Denis de ne pas expulser vers le Cameroun Guy, lycéen d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), âgé de 19 ans, « à titre exceptionnel et humanitaire ». Cette décision survient après qu’à l’aéroport, des manifestants - parmi lesquels Bruno Le Roux, député de la circonscription, aujourd’hui chef de file des députés PS à l’Assemblée nationale - ont empêché qu’il soit embarqué.
Le 31 octobre 2005, une circulaire Sarkozy sanctuarise l’école et suspend jusqu’à la fin de l’année scolaire (juin 2006) les expulsions de lycéens et de parents d’enfants scolarisés. Puis les expulsions reprennent fin 2006 : Jeff à Paris, Fatima à Montluçon ou Suzylene à Colombes. Grâce aux mobilisations, les deux dernières reviendront toutefois.
D’après le décompte de RESF, qui tente d’être exhaustif sur le sujet, les cas se font cependant de plus en plus rares. Ibrahim, un jeune Kurde, en février 2007. Taoufik, un Marocain, le 11 septembre 2008 ; qui reviendra en avril 2009. Puis en 2010, Mohamed, Samira, Najlae,tous revenus en quelques semaines. Le président Sarkozy comprend-il alors qu’il a plus à perdre qu’à gagner en interrompant de la sorte la scolarité de jeunes étrangers et en créant de fortes contestations locales ? « Après ces retours en fanfares, les expulsions de jeunes scolarisés ont pratiquement cessé, constate Armelle Gardien, de RESF. Même si des jeunes étaient cueillis juste après leur sortie du système scolaire. »
Les archives de l’association mentionnent encore en 2011 le cas d’Iliès
, de Montceau les Mines, qui reviendra finalement lui aussi 3 semaines plus tard, grâce aux fortes mobilisations de ses amis. C’est tout.
Alors que sous Hollande, on compte déjà cinq situations de ce type. Ayma et Wissem, en décembre 2012, tous deux expulsés après avoir commis des délits. Dreini, en octobre 2013, à Audincourt. Khatchik, que nous avons déjà mentionné. Et puis, Cheick, qui venait d’avoir 18 ans. Et dont nous avons retrouvé la trace au Mali grâce à RESF.
On a l’habitude d’entendre des professeurs qui se mobilisent au moment de l’expulsion. Parfois des camarades de classe. Plus rarement les expulsés eux-même, et encore moins plusieurs mois après leur retour. C’est pour cela que nous avons demandé à Cheick, arrêté en juin alors qu’il allait passer son bac, puis renvoyé moins d’une semaine plus tard au Mali, de nous raconter son histoire. Grâce à RESF, nous avons pu le retrouver, et nous assurer de la véracité factuelle de son expulsion.
Ensuite, Cheick livre sa version, son récit, son ressenti. S’il a accepté de nous parler, alors qu’il n’a « envie de discuter avec personne », c’est parce qu’il croit qu’une médiatisation de son cas peut l’aider, même si l’année scolaire a recommencé sans lui, ce qui rend son retour plus compliqué. Cheick a en revanche demandé à ce que son nom de famille ne figure pas dans l’article, soucieux d’éviter qu’on retrouve facilement sa trace sur Internet. Car il n’a pas dit la vérité à ses amis maliens, qui le croient toujours de passage.
« Je n’ai pas été bien accueilli »
« Je suis arrivé en Europe il y a trois ans, pour passer un test de football dans l’équipe de Barcelone. C’est un agent d’origine congolaise qui m’avait amené avec un cousin et deux copains. Ca n’a pas marché. Il m’a alors dit de partir à Paris pour passer d’autres tests. Mais une fois en France, l’agent a disparu, je l’ai perdu de vue.
J’ai un demi-frère qui habite Montelimar, je l’ai appelé, il est venu me chercher à Ivry, et il m’a hébergé chez lui. Là-bas, j’ai rapidement eu la chance de croiser le président de l’équipe de foot. Il m’a fait passer un test, m’a dit que je jouais bien mais que sans papiers, je ne pouvais rien espérer. Il m’a conseillé de suivre une formation, en m’expliquant que cela me donnerait le droit de rester et de jouer. J’ai alors cherché comme cuisinier, puis en comptabilité. Au Mali, j’avais arrêté l’école à 14 ans. Mais j’avais envie de faire des études.
Je me suis inscrit en comptabilité bac pro, je me suis accroché, et finalement cela n’a pas été trop difficile. J’étais interne et le week-end, j’habitais chez mon frère. J’ai réussi ma Seconde, et à la fin de la Première, j’allais passer mes premiers examens. Mais pendant ce mois de juin, j’étais parti en stage à Pau, à Leader Price, grâce à des amis maliens rencontrés sur Facebook que j’allais voir là-bas pendant les vacances. Le stage devait durer deux mois mais le 11 juin, j’ai pris le train pour Crest pour passer un examen. Ce devait être un aller-retour. J’avais un billet, mon passeport. Mais 5 minutes après le départ, je vois des policiers.
Je leur ai dit que j’avais un examen, j’ai même réussi à faire envoyer la convocation mais ils disaient qu’ils ne pouvaient pas me relâcher. Ils n’ont pas arrêté de me dire que je mentais sur mon âge. “Tu es gros, tu es vieux. Vous faites tous ça les Africains. Basile Boli avait 40 ans quand il jouait à l’OM.” Moi je ne comprenais pas. Ca ne me servait à rien de mentir sur mon âge : de toute façon, j’étais majeur. Et ils disaient que Boli était Africain alors qu’il a joué pour l’équipe de France.
Je ne savais pas quoi faire. Je pleurais. Je m’embrouillais. J’ai refusé de signer une déclaration où ils voulaient me faire reconnaître que j’avais menti sur mon âge. J’ai finalement été transféré au centre de rétention de Hendaye. Là-bas, ça s’est plutôt bien passé, j’ai été bien traité. Un policier m’a même dit de passer le voir si je revenais un jour, qu’il essaierait de me faire jouer avec son club de foot de Hendaye.
Mes amis de Pau ont réussi à récolter de l’argent pour me payer un avocat. Mais le 14 juin, le tribunal administratif a demandé mon expulsion. Le 15, je suis parti au Mali. Aucun ami n’a eu le temps de faire le voyage depuis Pau ou Crest. J’ai décollé sans mes affaires, sans mes habits, sans ma Playstation 3. C’est allé très vite. Je n’ai même pas mes chaussures de foot.
Ma prof d’anglais s’est mobilisée, elle a alerté la Cimade, RESF. Mes copains ont fait signer une pétition à la gare de Valence, sur le marché de Crest. Une page Facebook a été crée. J’ai été très soutenu par ma petite amie Malhaury et par une copine de classe, Stéphanie. Mais ça n’a pas suffi.
Description : Cheick et MalhauryCheick et Malhaury© DR
A mon retour, je n’ai pas été bien accueilli. Ma mère est venue me chercher à l’aéroport avec mon sac de sport. Mais je ne suis même pas sorti de l’avion en même temps que les autres passagers, c’était la honte. Elle était en larmes. Je suis revenu avec rien. C’est comme si j’avais perdu trois ans. Alors que je n’ai pas commis un seul délit, que j’ai tout le temps cherché à être exemplaire.
Aujourd’hui, chaque jour je pleure. C’est trop la honte. Je suis rentré sans formation, sans ordinateur. Je n’ai pas réussi à intégrer un club pro ni fini mes études. Je voulais revenir ici un jour, mais avec un diplôme de la France.
Là-bas, j’étais adapté, j’avais des amis. Ici, je suis déconnecté, je ne sais plus où je vais. Je ne fais rien du tout. Le travail ce n’est pas facile au Mali : il y a plein de gens qui ont des bacs, des études universitaires, qui ont fait du droit. Mais ils passent la journée dans la rue à boire du thé.
Mon demi-frère, lui, est toujours en France. Il a des papiers, il est marié à une Française. Il a 29 ans, il a joué dans un club. Il m’a appelé il y a deux semaines. Mais je n’ai pas envie de parler avec des gens au téléphone. Je n’ai plus envie de parler à des gens du tout. Je ne joue même plus au foot en club, je n’ai pas la tête à ça.
Tout est tombé à l’eau même si en France, j’ai l’impression qu’on ne m’oublie pas. Il y a une conseillète générale de la Drôme qui poste toujours des messages sur sa page Facebook. Mais je ne sais pas comment faire. Leonarda a eu la chance d’être médiatisée. Je me dis que parler à un journaliste peut m’aider à être mieux pris en compte.
Toute la journée, je suis sur Facebook avec Malhaury. Nous étions ensemble depuis janvier. Elle me manque. Elle a voulu venir ici, mais elle n’a pas de sous. On prévoit de se marier, pas pour la France mais pour l’amour. Certains pensent que je veux faire un mariage blanc. Ca me rend furieux. J’espère vraiment revenir pour les études mais ma demande de visa long séjour à l’ambassade de France a été refusée. Sans qu’ils me donnent le motif.
Mes amis de Bamako ne connaissent pas ma situation. Ils savent que je n’ai pas de papiers. Mais je leur cache depuis cinq mois que j’ai été expulsé. S’ils savaient, je ne pourrais pas sortir de chez moi. C’est trop la honte. Les gens se moqueraient, me montreraient du doigt. Tous les jours, on me dit : “Mais alors qu’est-ce que tu fais ? Quand est-ce que tu vas y retourner ? Personne ne reste cinq mois ici !” Et moi j’invente. Je dis que j’attends des documents. Je ne veux pas qu’ils disent : “Cheick, il a été refoulé”. Ils auraient du mal à comprendre que ce n’est pas de ma faute. Puisque d’autres arrivent à rester. »
04 novembre 2013 | Par Michaël Hajdenberg

Source : Mediapart

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