[ [ [ Lettre d’Ibrahim Arpaci - Yannis Lehuédé

Je suis né le 30 août 1986, à Sunnet, village du district
d’Elbistan dans le département de K.Maras où j’ai vécu
jusqu’à l’été 1991. Parce qu’il devenait de plus en plus difficile
de rester au village nous sommes allés rejoindre
mon père à Iskenderun où il travaillait.

À cause de son
soutien à la lutte nationale kurde alévie, il a été touché
par la répression de l’armée turque. Plusieurs villages ont
été détruits. Du nôtre, en 1993, il ne restait plus personne.

A Iskanderun j’ai commencé mes études. Diplômé du
lycée en 2004 puis recherché par les forces de l’ordre, je
n’ai pas pu poursuivre d’études supérieures. Les Kurdes
alévies de la région d’Elbistan ont massivement lutté dans
les rangs des organisations illégales de gauche turque et
dans celles du mouvement national kurde, du fait qu’ils
ont été depuis fort longtemps opprimés par les autorités et
la population civile turque sunnite.

Ethniquement et religieusement, ce sont deux communautés
dont les autorités ont attisé les différends tout en
soutenant activement les Turcs sunnites contre les Kurdes
alévies. Ainsi, nous faisions l’objet d’une double répression
ethnique et religieuse. Il suffit de donner l’exemple
du massacre de K.Maras en 1978, tristement célèbre. Des
centaines d’alévies avaient été massacrés sauvagement par
les Turcs sunnites encouragés et soutenus par les forces de
l’ordre. A Iskenderun, j’ai été constamment témoin de
cette intolérance vis-à-vis de notre communauté.

Pendant tout le mois du ramadan, nous vivions dans la
crainte de persécutions car nous ne jeûnions pas. Les
membres de ma famille et mes proches parents ont fait
l’objet de graves persécutions du fait de leur opposition à
l’État turc. Des dizaines de mes cousins ont été arrêtés et
torturés à de multiples reprises. Beaucoup ont quitté la
Turquie et sont aujourd’hui réfugiés dans différents pays
européens.

Mes cousins paternels Kemalettin, Ali Rahmi, Ismet
Arpaci, Abuzer, Garip, Sait, Huseyin, Mehmet, Hasan,
Kazim sont réfugiés en France, ainsi que ma soeur aînée
Zarife Arpaci, depuis 1991 et le mari de ma tante paternelle,
Kudret Gungor. Mes cousins paternels Dogan,
Cebrail et Tacettin Arpaci sont, quant à eux, réfugiés en
Allemagne.

Mon père et mon frère aîné ont été plusieurs fois placés en
garde à vue. Mon frère Mustafa a fait l’objet de graves persécutions
lors de son service national et a été condamné à
plusieurs mois de prison. Le 21 décembre 1991, mon
grand-père paternel, Ibrahim Arpaci, a été tué à
Iskenderun, certainement par les forces spéciales turques.
Il a été assassiné alors qu’il venait nous rendre visite à
Iskenderun. Nous avons reçu sans cesse des menaces pour
abandonner nos recherches en vue de trouver ses assassins.

Les perquisitions incessantes à notre domicile, les persécutions
et les injustices subies ne pouvaient que me pousser
à lutter dans le mouvement national kurde. C’est véritablement
à partir de 2002 que j’ai commencé à avoir des
activités politiques. En octobre, alors que nous collions des affiches électorales, nous avons été arrêtés par la
police. Nous étions quatre jeunes. Battus toute la nuit,
nous n’avons été libérés que deux jours plus tard.

La police m’a mis en garde de ne pas poursuivre ces activités
sous peine de subir le même sort que mon grandpère.

Ils m’ont posé des questions sur mon cousin Ismet
Arpaci qui à l’époque était activement recherché pour
son militantisme dans le PKK. Nous n’avions pas renoncé
à retrouver les assassins de mon grand-père.

Nous songions
à porter l’affaire devant la Cour européenne des
droits de l’homme. Mon frère Mustafa a été enlevé en
février 2003 par les forces spéciales turques. Pendant trois
jours, il a été affreusement torturé et menacé de mort.

Le 21 mars 2003, je fus arrêté au cours d’une manifestation.

Pendant trois jours, ils m’ont torturé pour me faire
avouer mes liens avec le PKK. Traduit devant le procureur
le quatrième jour, j’ai finalement été libéré faute de
preuves, malgré toutes sortes de menaces.

Des coups reçus lors de mon arrestation et des tortures
subies au commissariat de police, je garde deux séquelles
bien visibles à ma hanche droite et à mon genou gauche.

Malgré tout, j’ai poursuivi mes activités politiques. Début
août 2004, j’ai participé à une action d’affichage dans
notre quartier pour réclamer une amnistie générale en
Turquie. Après le passage d’une patrouille de police, nous
avons tous réussi à prendre la fuite. Par mesure de sécurité,
je ne suis pas rentré chez moi.

Deux jours plus tard, mon père et mon frère ont été
emmenés au commissariat. Mon père était libéré le lendemain,
mais mon frère Mustafa a été détenu trois jours.

Entre-temps, j’ai appris que le responsable du groupe
avait été arrêté chez sa tante en possession de publications
du PKK. La police n’a pas tardé à savoir que c’était
lui qui avait organisé l’action de l’affichage et que je lui
avais téléphoné la nuit de l’affichage. Confronté aux perquisitions,
je suis parti à Istanbul.

Grâce à des amis avocats,
j’ai appris qu’une procédure judiciaire était ouverte
contre moi pour le délit de soutien aux membres d’une
organisation illégale et qu’un mandat d’arrêt avait été
lancé. Je n’avais pas d’autre choix que de quitter la
Turquie, le 10 janvier 2005 dans un camion de marchandises.
Je suis entré en France le 15 janvier 2005.

Il est certain que je serai arrêté dès mon retour en
Turquie. Pour les motifs ci-dessus, je vous demande de
bien vouloir donner une suite favorable à ma demande
d’asile politique.

Ibrahim Ali Arpaci

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