[ [ [ Comités citoyens ou milices de quartiers ? Un projet de loi fait (...) - Yannis Lehuédé

Merci à Sud-Ouest pour nous alerter sur un nouvel étage de la construction de l’État milicien que nous dénonçons ici depuis plusieurs mois [voir ci-dessous].

Il s’agit d’un nième projet de loi s’ajoute à l’article 113 de la Loppsi (ex-37-quater du projet de loi).

Nous avons ainsi pu dénoncer, début avril, un autre projet de loi, permettant le recours à la mobilisation de citoyens, comme en temps de guerre, en cas de “crise majeure”. Dans leur argumentaire les sénateurs qui proposent celle-ci évoquent Fukushima, comme exemple d’une situation qui mériterait une telle mesure d’exception. Leur texte est néanmoins assez vague pour qu’y compris en cas de crise politique ou sociale le premier ministre puisse mobiliser autant de citoyens qu’il le souhaite – et ce aux frais de leur employeur qui maintiendrait leur salaire au titre d’un “mécénat patriotique” dont les modalités restent à définir dans la loi des finances.

Tous ces textes convergent pour mettre en œuvre ces milices voulues par le "livre blanc de la défense et de la sécurité intérieure" présenté par Sarkozy en juin 2008, où déjà figurait cette notion de “crise majeure”.

La LDH-Toulon – dont le travail est toujours admirable, et le site plus que recommandable – a récapitulé les étapes de cette construction qui trouve son origine dès la suppression du service militaire, en 2001 :

• 2003 : création par la loi LSI de la réserve civile de la police nationale,

• 2007 : création par la loi de prévention de la délinquance du service volontaire citoyen de la police nationale,

• 2011 : la LOPPSI 2 intègre les citoyens volontaires dans la réserve civile,

• 2010-2011 : examen en cours au Parlement d’une proposition de loi permettant au premier ministre, en cas de crise grave, de mobiliser par décret les réserves civiles,

• 2011 : dépôt d’une proposition de loi consacrant en droit français la possibilité de créer des « comités citoyens de surveillance ».

Nous avons là, découpé en de multiples morceaux adoptés séparément, un projet parfaitement cohérent pour instaurer en France un système de milices bien plus performant que ne pouvaient l’être celles organisées par l’État fasciste du maréchal Pétain pendant la guerre.

La sophistication de ce système laisse pantois.

Le plus grave dans cette affaire, c’est qu’elle n’a pas été dénoncée par la gauche institutionnelle jusque-là. Au contraire, des parlementaires socialistes que nous avons pu solliciter à cet effet, au nom de la coordination antiloppsi, alors qu’ils rédigeaient leur recours contre la Loppsi devant le Conseil constitutionnel, ne nous ont pas caché qu’ils ne comptaient pas dénoncer l’article 113 parce qu’ils n’étaient pas contre…

Soyons charitables, et accordons leur qu’ils pourraient ne pas avoir bien compris ce dont il est question dans cette redoutable construction…

C’est qu’il est aujourd’hui absolument nécessaire que l’ensemble de ces dispositions soient abrogées pur et simplement en cas de changement de majorité. Toute alternance qui ne prendrait pas en compte une telle revendication serait une pure moquerie.

De même qu’il importe que soient abrogées l’ensemble des lois racistes et sécuritaires depuis dix ans – en remontant à la LSQ, adoptée sous le gouvernement Jospin par une majorité de gauche...

Seule une gauche qui s’engagerait très clairement sur ces points aurait une chance d’incarner une véritable alternance.

Sinon, c’est d’un État fasciste, autoritaire et raciste, qu’il s’agit – qu’il soit de droite ou de gauche.

L’appel à la Résistance lancé par le CNR-Midi Pyrénées pendant le combat contre la Loppsi n’est pas une simple formule. Loin de là. Contre un État qui se munit de moyens aussi illégitimes pour imposer une politique aussi attentatoire aux droits humains, c’est un soulèvement généralisé des consciences qu’il faudrait.

D’urgence.

Paris s’éveille

PS. Ci-après l’article de Sud-Ouest, une lettre adressée à la coordination antiloppsi début avril au sujet de l’autre loi, présentée simultanément au Parlement, sur la possibilité mobilisation, non plus volontaire mais contrainte, en cas de “crise majeure”, de telles milices citoyennes. Il n’est pas impossible que l’actuel texte sur les “comités de surveillance” de quartiers servent de camouflage pour cette autre loi qui, elle, institue une véritable armée de guerre civile.

27 avril 2011

Une proposition de loi visant à la création de comités citoyens de surveillance a été déposée début mars. La Ligue des droits de l’homme dénonce une tentative de « légalisation de milices ».

Le projet n’en est qu’au tout début de son existence législative, dans les bureaux de l’Assemblée nationale, mais il fait déjà parler de lui. Le député UMP Patrick Calmejane (Seine-Saint-Denis), à déposé début mars une proposition de loi visant à mettre en place des « comités citoyens de surveillance », dispositif permettant d’associer les habitants d’un quartier à la prévention de la délinquance. L’initiative fait bondir les associations de défense des droits de l’homme, qui dénoncent un projet de légalisation de milices locales. Pour la Ligue des droits de l’homme (LDH), il s’agit même d’une initiative dangereuse, qui ne peut déboucher que sur des excès.

« On pourra appeler ces comités comme on veut, ce seront toujours des milices de quartier, commente Patrick Lecocq, président de la LDH 33, rebondissant sur un dossier ouvert sur Internet par ses homologues de Toulon. Nous sommes très réservés quant à cette initiative qui ne peut que créer des problèmes. Quel que soit l’esprit qui préside à cette initiative, quelle que soit la bonne volonté des gens qui y seront associés. Le danger vient des dérives. Et il y en aura forcément. Il existe une police nationale républicaine. Il y a également des polices municipales, qui peuvent faire de la surveillance, coller des PV. Mais ces fonctions régaliennes doivent rester aux mains de professionnels agissant dans le cadre de procédures. »

Des exemples aux États-Unis, en Angleterre et en Italie

Le député UMP Didier Quentin, cosignataire du projet de loi, ne reconnaît pas le terme de milice. Pour l’élu charentais-maritime, il s’agit bel et bien, au contraire, de placer le citoyen au cœur du dispositif. « De plus en plus de communes expérimentent ce concept anglo-saxon de “neighbourhood watch”. Ce système consiste à créer un groupe de voisins pour organiser l’auto-surveillance de leur rue/quartier. Ce dispositif existe depuis longtemps aux États-Unis, au Canada ainsi qu’au Royaume-Uni. Plus récemment, l’Italie a légalisé la création de “ronde citoyenne”. Depuis la mise en place de ces dispositifs, une diminution de la délinquance a été constatée. »

Le député-maire de Royan, ancien collaborateur de Robert Pandraud et Charles Pasqua, place cette proposition dans la logique des options menées depuis plusieurs années par le gouvernement. Il y voit également la possibilité d’en décliner l’esprit au niveau des communes. « Il n’est nullement question de constituer des “milices”, mais de mieux associer nos concitoyens à cette question essentielle pour notre vivre ensemble. » Pour Didier Quentin, l’organe privilégié pour définir les modalités de cette participation est le Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, structure qui existe déjà dans de nombreuses communes. Le CLSPD, « présidé par le maire, comprend notamment le préfet, des représentants des services de l’État désignés par le préfet ainsi que le procureur de la République. »

Patrick Lecocq n’ignore rien des précédents. « Nous connaissons bien les exemples anglo-saxons. Et nous en connaissons les dérives. Le risque, c’est de voir des personnes, même bien intentionnées au départ, commencer à faire régner leur loi dans leur quartier. Le chevalier blanc peut très bien se muer en chevalier noir et devenir un problème. De tels comités, en outre, vont attirer les zorros et les va-t-en-guerre, ainsi que des membres de groupes d’extrême droite. Nous comprenons que tout-un chacun puisse être inquiet pour son quartier. Mais cela ne justifie pas l’auto-surveillance. »

Pour le président de la LDH 33, cette mesure est inscrite dans la droite ligne de la politique menée par Nicolas Sarkozy depuis sa nomination comme ministre de l’Intérieur en 2002. « Même président, il est toujours ministre de l’Intérieur, sourit Patrick Lecocq. Il enchaîne loi sur loi. On nous a amené le service volontaire citoyen de la police nationale. Et on nous parle de rappeler des gendarmes à la retraite. Tout se passe comme s’il y a allait avoir une guerre civile et que l’on devait s’y préparer. C’est exagéré, bien sûr, mais c’est l’image est là… Il faut en finir avec ces lois liberticides et cette compétition malsaine avec le Front National. Cela risque pourtant de continuer jusqu’en 2012. »

Le projet de loi, pour l’heure, est entre les mains de la Commission des lois à l’Assemblée nationale.

[Source : Sud-Ouest]

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