[ [ [ La vie du camp, entre répression et désespoir - Yannis Lehuédé

Où l’on apprend, entre autres choses, comment la police s’amuse à monter les clivages ethniques entre détenus – dans les camps de rétention comme dans les prisons, comme dans l’espace colonial... L’ethnomanie française frappe partout...

« Les flics nous donnent les rasoirs entre 8 et 10 heures du matin en
échange de nos cartes. Pour pouvoir récupérer nos cartes, on doit leur
rendre le rasoir. On n’a jamais les mêmes rasoirs.
 »

« Samedi, un mec devait être expulsé vers l’Algérie. Pour ne pas partir, il s’est ouvert la jambe avec la lame du rasoir en allant prendre sa douche. Il a failli se couper une veine. Ils l’ont emmené à l’hôpital mais ils l’ont mal recousu. Ils l’ont ramené hier soir. Je lui ai dit que c’était une connerie. La semaine prochaine, ils le reprendront. »

« Depuis que je suis ici, quatre ou cinq gars ont fait des tentatives de suicide
pour ne pas être expulsés. Certains se pendent, d’autres avalent des
pièces de monnaies.
 »

« Ceux qui refusent l’embarquement sont ramenés au centre pour être
ré-expulsés plus tard. Si je suis expulsé, je vais accepter : quand
c’est la deuxième fois qu’ils tentent de t’expulser, ils te scotchent comme un
animal et je ne veux vraiment pas partir scotché comme un animal.
 »

« Il y a quatre ou cinq expulsions par jour. »

« Aujourd’hui, une bagarre a éclaté entre nous, entre un Algérien et un
Égyptien. Quand les flics sont montés, ils n’ont pas essayé de calmer
les choses. Le capitaine était là. L’un des flics m’a dit
 : « Pourquoi
t’y vas pas toi ? Tu dois être du côté de ton pote algérien. » Je lui ai
répondu que c’était à lui que j’avais envie de casser la gueule et pas à
mes frères !
 »

« Un autre flic nous a dit « vous les algériens vous êtes tous des
terroristes ! » L’un d’entre nous l’a insulté. Alors les flics sont
revenus à plusieurs. Ils ont pris le gars. Ils l’ont mis dans une
chambre et ils lui ont cassé la gueule, il a des marques partout. J’ai
demandé à parler à un responsable. On m’a répondu que personne ne savait
ce qui s’était exactement passé. Les flics avaient changé d’équipe. J’ai
dit au gars de porter plainte à la Cimade et d’aller chez le médecin
pour qu’il l’examine et il l’a fait. Si on n’a pas de réponse d’ici ce
soir, on va voir ce qu’on peut faire
. »

« Je vous ai vu samedi sur le parking. En montant l’escalier et en
s’appuyant sur une barre, on peut apercevoir le parking qu’ils ont
essayé de nous cacher avec la bâche verte.
 »

« Mais après les flics nous ont empêchés de nous rassembler. Pour nous en
empêcher, ils viennent à quatre ou cinq. Ils se mettent parmi nous. Ils essayent de capter l’attention des retenus en leur parlant d’autres choses. Les gens se font avoir facilement et ça marche. Il ne se passe rien.
 »

« Après votre visite sur le parking le commandant est venu en nous disant
qu’on pourra toujours crier, que ça ne servait à rien. Il nous a fait la
morale pendant plus d’une heure. Quand il vient, les détenus l’appellent
« chef ». Je leur demande toujours d’arrêter. Ce n’est pas leur chef ! De
toutes manières, ils veulent nous casser le moral. J’ai dit au gars :

« Vous arrivez à vous réunir pour faire la prière. Mais vous vous
bagarrez entre vous. Et quand les flics arrivent, vous n’arrivez pas à
vous unir contre eux » Certaines personnes sont d’accord avec moi, mais
finalement, ils s’en foutent.
 »

[Source : fermeturetention]

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