[ [ [ LA VOIX DES FEMMES - Yannis Lehuédé

Meriem, Nora, Adam, Mme Diabaté et Dialo parlent.

La Bourse du travail est devenue la maison des sans-papiers, un lieu de vie à part entière où s’organise la lutte quotidienne. La solidarité est le fondement de l’occupation : on mange ensemble, on dort ensemble, on se bat ensemble. Sans cette communauté de vie qui donne forme à l’unité des revendications, il est clair que le mouvement n’aurait pas pu tenir plus de quelques jours. Chacun a son rôle, chacun participe à l’effort de tous.
Plus discrètes et réservées, les femmes sont particulièrement actives dans l’organisation interne. Il est indispensable que leur voix soit entendue à la mesure de leur importance pour la survie du mouvement.

Cinq d’entre elles, Meriem, Nora, Adam, Mme Diabaté et Dialo ont accepté de répondre.

Elles sont sénégalaises, maliennes, algériennes et mauritaniennes. À la Bourse, « tous des noirs, tous des africains », lance l’une d’elle pour marquer le sentiment d’appartenir à une même famille. La plus jeune, Meriem, a 19ans et demi. Elle est en France depuis 2006. Mais pour la plupart, elles sont arrivées il y a longtemps, plus de quinze ans parfois, pour travailler ou en accompagnant leur mari. Nora était garde d’enfant jusqu’en 2005, déclarée. Son récépissé de deux ans lui a été retiré après son mariage car, pour les autorités, elle ne cherchait qu’à faire régulariser son mari. Elle a dû trouver un emploi au noir, jusqu’à l’occupation. Comme Nora, Mme Diabaté gardait des enfants et suivait une formation d’auxiliaire parentale… mais toujours sans-papiers.

Cela veut dire ne pas pouvoir aller travailler « dans la dignité, sans se cacher », c’est pourquoi elles sont toutes venues ici, rejoindre la coordination 75 à la Bourse du travail. Déjà habituée à la lutte, Dialo participe aux actions de la coordination depuis un an et a naturellement jeté ses forces dans l’occupation. Cependant, la solidarité avec la coordination est tout aussi naturelle de la part de celles qui n’ont rejoint la Bourse que plus tard, après avoir entendu un ami ou les medias en parler.

« J’ai entendu parler de l’occupation à la télé et je suis venue les rejoindre. Je suis rentré ici le 6 mai », précise Mme Diabaté. Meriem, elle, est “en famille”, avec son cousin, son oncle. Sa sœur aussi est là, assise avec son enfant. Car les mères sont nombreuses, accompagnées de leurs petits garçons et petites filles, et elles sont inquiètes : « Les enfants, tout petits, c’est des innocents, ils ne sont pas en sécurité ici. Ils peuvent attraper n’importe quelle maladie. »

Lorsqu’on leur demande pourquoi elles sont là, la réponse est unanime : obtenir la régularisation de tout le monde, de tous les sans-papiers. Elles savent alors que le cas par cas est incompatible avec cette exigence, « parce que nous sommes tous différents ». Mme Diabaté explique ce qui la dérange dans le cas par cas : « On n’en veut pas parce qu’on est tous solidaires. Nous sommes tous du même père, tous frères. C’est la même famille. Si toi tu as des papiers et que tu as un frère qui n’en a pas c’est comme si toi-même tu n’en avais pas. » La solidarité est le mot d’ordre qui unit profondément ces femmes à tous les occupants et à tous les sans-papiers. Elles veulent être là pour encourager tous ceux qui se battent, elles savent que c’est dur, que tout le monde est préoccupé. « On n’est pas tranquilles parce que beaucoup d’occupants ont des familles nombreuses et que d’autres ont leur famille au pays. » D’autres ont laissé leur travail pour faire grève. À l’image d’Adam, elles portent l’espoir que la situation s’améliore et sont confiantes : « Je sais qu’on ne sortira pas de là sans être régularisés. Il faut que tout le monde soit courageux et patient. »

Au quotidien, elles se chargent de nombreuses tâches indispensables comme la cuisine. Chaque jour il faut donner à manger à des centaines de personnes, ce qu’elles font courageusement, aidées par les hommes. Même avec trois enfants, Adam trouve le temps de participer aussi aux manifestations. Toutes, elles n’hésitent jamais à défiler avec les autres dans la rue, à se rendre aux rassemblements. Mme Diabaté ne fait que découvrir ce genre d’actions mais reste toujours avec le groupe : « Je suis ceux qui savent. Je leur fais confiance, sinon je ne les aurais pas rejoints. »
Pour que le mouvement aboutisse, elles sont conscientes qu’il faut que la lutte s’accentue car l’occupation n’est pas le but mais le moyen. Meriem veut rappeler que les occupants ne sont pas là par plaisir : « On n’est pas venu ici pour dormir et manger. On n’est pas là pour ça. Si c’est pour dormir on a des chambres chez nous. Si c’est pour manger on a du mangé chez nous. » Un jour ou l’autre il faudra sortir, mais pas n’importe comment, avec des papiers. Mme Diabaté pense qu’il faut, comme l’ont fait les immigrés aux États-Unis, que tous les travailleurs sans-papiers sortent pour organiser une marche massive : « On a déjà convoqué tous les foyers du 93 pour nous rejoindre. » Nora attend surtout que s’expriment les hommes politiques car il faut trouver, d’après elle, les bons interlocuteurs pour trouver une solution au problème. L’important c’est que tout le monde entende parler de la Bourse du Travail. L’important c’est que les dossiers aillent de l’avant et ne restent pas en arrière comme c’est le cas actuellement.

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