[ [ [ Témoignage du camp de Vincennes - Yannis Lehuédé

Le 22 juin 2008, un retenu est mort hier au centre de rétention de Vincennes n°2.
Un retenu témoigne.

« Le monsieur qui est mort hier dans le centre n’était pas cardiaque.
Avant de rentrer au centre il prenait déjà des médicaments tous les
jours, il avait une ordonnance du médecin. Il était dans un état
psychiatrique, il disait qu’il voulait à l’hôpital psychiatrique.

Il demandait des médicaments et on voulait pas lui en donner,
l’infirmière lui donnait pas sa dose, il demandait à d’autres retenus
d’aller à l’infirmerie pour demander sa dose. Si le médecin lui avait
donné sa dose il serait encore parmi nous aujourd’hui.

La veille du jour où il est mort, il tremblait beaucoup, il savait pas
pourquoi, il se sentait malade. Peu de temps avant de mourir, il a
décidé de faire une sieste et a demandé à son copain russe de le
réveiller pour qu’il puisse aller à l’infirmerie qui ouvre à 15h. Son
copain est venu une première fois, il a essayé de le réveiller, son
visage était tourné vers le mur, on voyait pas très bien. Il a cru
qu’il dormait profondément et il a préféré le laisser dormir. Dix
minutes après il est revenu, ça s’est passé pareil. Du coup il est
allé cherché un autre retenu, et tous les deux ils ont essayé de le
réveiller, ils lui ont tourné la tête, il avait du sang sur le nez et
la bouche, il était bleu turquoise, il était tout dur, tout raide,
froid.

Ils ont crié au secours, tout le monde est venu. La police a essayé
d’évacuer le lieu, les retenus exigeaient de savoir ce qui se passait.
Panique totale. Les policiers ont demandé des renforts, ils sont venus
avec des boucliers, ils ont tapé les gens dans le couloir, nous on a
pas pas répondu (de toute façon y’a pas de pierres dans le couloir avec
lesquelles on aurait pu répondre), on a quand même été gazé. J’étais
devant la porte, j’ai pris le gaz dans les yeux. Le chef de permanence
a aussi pris le gaz en plein visage. Il était tout rouge.

Alors la police a bloqué toutes les allées pour empêcher d’accéder aux
chambres. Ils ont bloqué les portes coupe feu, ils ont essayé de faire
une barricade. Les CRS étaient dans la cour. J’ai demandé à parler au
chef avec des camarades Ils ont autorisé quatre personnes à aller voir le chef. On lui a dit
“On veut en savoir un peu plus sur l’état du
retenu pour pouvoir calmer la population”. Le chef nous emmené dans
le réfectoire pour discuter, il nous a dit
“la priorité c’est de
s’occuper du retenu qui va pas bien” Il a promis de nous informer.

Deux heures après, toujours rien. Les gens se sont alors agités près
de la porte n°1, un retenu s’agitait plus que les autres, les
policiers nous ont chargé mais ils avaient une cible, ils ont pris le
retenu agité et ils sont rentrés avec lui.

J’ai encore parlé au chef : “vous envenimez la situation au lieu de
la calmer, il faut relâcher le retenu pour calmer la situation” le
chef a dit que comme il était agité on allait le mettre en isolement
et si possible on le relâchera sain et sauf, il a promis de rien lui
faire. J’ai promis au chef de calmer les autres. J’ai dit aux autres
qu’il fallait pas tomber dans la provocation qu’il fallait se calmer.
Celui en isolement a été relâché 2 heures après.

On a voulu avoir le nom du policier qui nous a gazé pour porter
plainte contre lui mais ils n’ont pas voulu nous le donner.

Au va et viens des policiers et des pompiers on a compris qu’ils
n’avaient pas pu le sauver. J’ai demandé au chef permanent, il m’a dit
que le monsieur était dans un état critique, mais qu’il était en vie.
Il n’a pas voulu nous dire qu’il était mort pour ne pas avoir des
représailles.

Le chef de rétention (il était en civil) essayait de téléphoner mais
comme il y a un problème de réseau dans le bâtiment, il est sorti dans
la cour pour téléphoner. Je suis allé le voir, je lui demandé de
m’accorder deux minutes, il a dit oui. On voulait savoir l’état de santé du
retenu, il m’a sorti le même refrain comme quoi son état était
critique, mais qu’il était en vie. Je suis resté sceptique
Les deux camarades du mort ont été appelés pour faire un témoignage
comme quoi quand il l’ont vu dans son lit il était déjà mort, raide.

Les policiers préparaient déjà leur défense. C’est contradictoire
parce que les policiers disaient toujours qu’il était vivant. Ils ont
fait signer un procès verbal aux retenu comme quoi quand ils sont
arrivés il était déjà mort.

De l’autre côté, du côté de la porte trois, la population s’est agitée,
les policiers ont pris un retenu qui était très agité, la population
s’est alors encore plus énervée, du coup la police a relâché le retenu.
Quand ils ont sorti le retenu mort avec le samu et les pompiers, j’ai
encore parlé avec le chef qui me disait encore qu’il était vivant. Et
puis on nous a dit qu’il était mort à l’hôpital.

Un des deux retenus qui a découvert sont camarade mort a parlé avec un
policier, même lui a reconnu qu’il était mort dans la chambre.
Pourtant, depuis 16 heures, où on l’a retrouvé mort, jusqu’à 21 heures il est
resté ici. Pendant tout ce temps en fait ils étaient en train de
prendre des photos, de discuter avec le commissaire....

Et puis le centre a pris feu dans une chambre. C’est une chambre qui
est près de la salle qu’on nous a réservée pour faire nos prières.
C’était quand on savait que c’était fini pour lui. Les policiers ont
éteint avec des extincteurs, les pompiers sont venus. Tout a brulé
dans la chambre, les chinois qui dormaient dedans ont perdu tous leurs
effets personnels.

Les chambres 1 à 11 étaient bloquées, ça a brulé du coté de la chambre
20. Je ne sais pas s’il y a eu des représailles ou si on sait pas qui
a mis le feu, moi j’étais de l’autre côté.

Aujourd’hui les policiers veulent pas parler de ce sujet, ce n’est pas
les mêmes qui étaient là hier soir, ils ont changé d’équipe.
J’ai parlé hier par téléphone avec un retenu du CRA1, ils ont
manifesté aussi là bas leur mécontentement. »

fermeturetention@yahoo.fr

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