[ [ [ Du plombier polonais au géomètre malien - Yannis Lehuédé

Depuis plus d’un an, on attendait, non sans une certaine
curiosité, la forme qu’allait prendre la relance légale de
l’immigration (de travail et donc « utile »), telle qu’elle a
été orchestrée par la loi du 24 juillet 2006, adoptée dans
l’urgence.

Nous voilà donc presque arrivés au terme du
processus.

Il y a eu d’abord l’étape du décret d’application sur les
autorisations de travail du 13 mai 2007. On mesure à sa
lecture les difficultés techniques que son élaboration a
suscitées. Il décline les différents statuts, en prenant soin
de ne laisser aucune brèche permettant de passer d’un statut
à un autre et, pire, de demeurer en France alors que la
personne est devenue sans utilité économique. On prévoit
avec soin les mentions à écrire sur les titres, afin que
l’étranger soit dans la plupart des cas confiné à un métier
et à une zone géographique. Tout est calibré ; tout doit
marcher comme sur des roulettes pour répondre aux
besoins exprimés des entreprises.

Il ne manquait donc que la liste des métiers pour lesquels
il existe des difficultés de recrutement, comme l’annonçait
vaguement la loi précitée. Du côté des organisations
syndicales, on ne sait rien sur la fabrication de ladite liste.
La consultation prévue par la loi se fera sans doute plus
tard, quand tout sera bouclé. Et puis un beau matin, on
découvre le scoop de Libération, l’existence de deux listes,
une pour les ressortissants de l’Union européenne, une
seconde pour les étrangers issus de pays tiers. Certes, à
l’heure où nous écrivons ces lignes, rien ne serait définitif
et les listes susceptibles encore d’évoluer, mais le tempo
est donné.

Pour les premiers, une liste longue de près de cent cinquante-
deux métiers, dans l’ensemble peu qualifiés, du
moins ne demandant pas des diplômes de l’enseignement
supérieur. On a ainsi cité cuisiniers, serveurs, intervenants
auprès d’enfants ou encore laveurs de vitre (sic !). Les
Communautaires, qui ne peuvent pas encore bénéficier
de la libre circulation accompagnée du droit d’exercer
n’importe quel emploi dans l’Union européenne (les huit
pays de la vague 2004, plus la Bulgarie et la Roumanie),
sont en principe soumis, comme tous les autres étrangers,
au régime des autorisations de travail. Ils obtiendront
cette autorisation s’ils disposent d’un contrat de travail ou
d’une promesse d’embauche correspondant à l’un des cent
cinquante-deux métiers listés.

Pour les autres, l’ouverture est étroite, mais la procédure
identique. La liste comprendrait seulement trente métiers
demandant, pour la plupart cette fois, une formation et
des diplômes de l’enseignement supérieur (informaticien
expert, conducteur de travaux ou encore géomètre) sauf
pour cinq métiers « ouvriers ». Les personnes qui semblent
correspondre à ce profil pourraient de prime abord
être les mêmes que celles qui sont susceptibles de prétendre
à une carte « compétences et talents ».

À quoi bon
faire alors une telle liste restrictive pour faire venir des
étrangers hautement qualifiés ? Dans le dispositif légal,
cette liste renvoie en effet à deux statuts – « salarié » et « 
travailleur temporaire » – dont le caractère attractif ne
saute pas aux yeux… Le droit des étrangers n’est pas à une
incohérence près si cela sert à communiquer. Par ailleurs,
concernant la liste des trente, les besoins sont précisés par
région (ainsi en Île-de-France, on manquerait de 26 500 informaticiens d’études). Pour autant, il ne serait pas établi de
quotas proprement dits, ces éléments chiffrés servant à examiner
les demandes au regard des deux facteurs prévus par la loi, le
métier et la zone géographique, entendue ici comme région.

L’éxistence de ces deux listes revêt un caractère discriminatoire
qui a heurté plusieurs organisations syndicales. Ainsi, la CGT
demande que « pour le moins, toute discrimination soit éliminée des
listes de métiers ouverts aux travailleurs migrants », alors que FO
condamne de façon générale tout pilotage de la politique migratoire
en fonction des seuls besoins économiques.

Cette ouverture à deux vitesses est à relier à une nouvelle disposition
légale, se nichant dans la loi Hortefeux. L’article 43, dit « 
amendement Lefebvre », prévoit de donner une carte, au titre de
l’admission exceptionnelle au séjour, à des sans-papiers exerçant
un métier de la liste. Or les préfectures disposent déjà d’un pouvoir
discrétionnaire pour délivrer, dans ce cadre, un titre de
séjour.

Et ce n’est pas la présence d’une commission nationale
d’admission exceptionnelle au séjour, pouvant être saisie par les
préfets, qui apporte des garanties sérieuses d’équité et d’égalité
dans le traitement des dossiers. Par ailleurs, au regard des métiers
qui y figurent et de la réalité des emplois occupés par les étrangers
en situation irrégulière, les chances d’obtenir une régularisation
sont bien minces. Cet amendement Lefebvre, c’est « du
vent », comme l’écrit la CGT.

En tout cas, ce n’est pas lui qui
permettra effectivement à des dizaines de milliers de sanspapiers
travaillant dans les hôtels, cafés, restaurants, ateliers ou encore
sur les chantiers de voir le bout du tunnel. Peu sont géomètres,
informaticiens experts ou conducteurs de travaux.

Ce n’est
aucunement du reste un problème de qualification, de compétences
ou encore de qualités ; cela a juste à voir avec la réalité
du marché des emplois « offerts » aux travailleurs sans-papiers.

Et, une fois de plus, des sans-papiers vont être leurrés en espérant
vainement la régularisation ; ils vont, dans le même temps,
prendre à nouveau le risque d’être expulsés en livrant aux autorités
les éléments nécessaires pour mettre en marche la procédure
d’éloignement, à savoir principalement domicile et lieu de
travail.

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