[ [ [ Roms : vers "un remake de l’été 2010" ? - Yannis Lehuédé

Sur un blog de Médiapart, l’article ci-dessous, trop détaillé, trop précis, sans appel : pour ses premiers pas ce gouvernement de gauche n’hésite pas à prolonger – pis : réactiver –, la politique la plus critiquable du précédent gouvernement, on veut parler de la chasse aux roms proclamée en ce si sombre été 2010.

Il y a bientôt deux ans, le 4 septembre – en rappel de la fondation de le République en 1870 –, on était des dizaines (ou centaines ?) de milliers, à Paris, de la place de la République à celle de l’Hôtel de Ville, en passant par la Bastille, pour défiler contre la xénophobie d’Etat. Je me souviens avoir porté ce jour-là une banderole réclamant l’abrogation du carnet de circulation… Honte de la République, toujours en vigueur, un siècle après son instauration en 1911.

On attend du Parlement élu demain, quelle que soit la composition de sa majorité, qu’il abroge solennellement cette disposition inique. Qu’il présente les excuses de la République pour avoir discriminé une catégorie de population sur son territoire. Que l’on mette un terme à ce scandale.

Mais s’il ne veut pas se payer de mots, simultanément, le Parlement se doit d’adopter des résolutions censurant la politique mise en œuvre aujourd’hui par le ministre de l’Intérieur, si l’on en croit les informations soigneusement recueillies ci-dessous.

Que soit non seulement empêché mais sanctionné tout usage de la force publique mettant en danger des personnes et a fortiori des groupes humains. L’objet de la force publique est la protection des personnes, pas son contraire. Si toute discrimination est interdite, c’est deux fois plus grave si c’est l’Etat qui la commet.

Si c’est la tête de l’Etat – qu’incarne effectivement le ministre de l’Intérieur –, c’est encore moins pardonnable. Les prédécesseurs de Manuel Valls – de Brice Hortefeux à Claude Guéant –, n’hésitaient pas à appliquer des politiques contraires aux droits humains en invoquant la légitimité du suffrage populaire reçue par Nicolas Sarkozy en 2007.

Les rêveurs revendiquant que le respect de la personne humaine ne soit pas quotidiennement bafoué se voyaient renvoyés à leur idéalisme congénital, à l’heure où le peuple votait pour une politique énergique qui ne prenne pas trop de gants.

S’il y a eu un changement en ce mois de mai où les loups sont sortis de Paris, c’est bien que le peuple a voulu signifier qu’il n’était pas très joli de pourchasser les sans-papiers au point qu’ils se jettent par les fenêtres pour échapper à la police… De même, tout le monde aura entendu qu’en ce sombre été 2010, à Grenoble, le plus haut représentant de l’Etat osait proclamer une politique explicitement raciste.

Ce sont les centaines de groupes RESF, comme il y en a eu dans tant d’écoles de France, et où tant de gens ont participé… Ce sont les collectifs contre la xénophobie de l’été 2010… Ce sont les inlassables manifestations du 9ème collectif ou de la CSP75 – et les batailles non moins héroïques de la CSP59. C’est le grand-père qu’on venait arrêter à la porte d’une école à Belleville, suscitant une émeute…

"Trop de fractures, trop de blessures"… C’est à cette horreur de la terreur policière à laquelle l’Etat sarkozyste a soumis sans-papiers et roms qu’on a compris qu’il était fait allusion. C’est elle qui a suscité cette vague de rejet du régime terrifiant institué sur les cendres chaudes du 11 septembre et du 26 avril – portant François Hollande au pouvoir.

Lorsqu’il trahit ses engagements, explicitement rappelés dans le texte ci-dessous, le nouveau régime se délégitime profondément.

Qu’on nous permette de rappeler ici le précédent de Lionel Jospin, porté à la tête du gouvernement par une majorité parlementaire acquise sur la base du rejet de la politique contre les sans-papiers qui s’était manifestée dans l’épisode fameux de l’église Saint-Bernard. Dans sa campagne, Jospin avait promis une régularisation générale des sans-papiers – et une fois au pouvoir, son ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement trahissait cet engagement en ne régularisant que la moitié des dossiers présentés. Imaginez que certains des rejetés d’alors ne sont toujours par régularisés aujourd’hui...

La gauche laissait quasiment intact le problème – pis, le figeant, ouvrant la voie aux politiques semblables ou encore pire de ses successeurs.

Aux élections suivantes, Jospin passait derrière Le Pen – on s’en souvient.

Pourquoi ? Parce que sa politique déceptive sur un enjeu de société aussi fondamental n’avait fait qu’encourager la dispersion du vote et l’abstention

Hollande veut-il vraiment rejouer la farce tragi-comique de Jospin ?

Les socialistes avaient annoncé la couleur, avec leurs Etats généraux sur la sécurité, qu’ils ont tenu à l’automne 2010 d’ailleurs, sans trop de publicité, en pleine tempête sarkozyste. Sous la houlette de messieurs Rebsamen et Urvoas, était adopté un programme… en grande part plagié sur… le discours sarkozyste… On entendait déjà depuis un moment des Julien Dray, suivi de Manuel Valls, entonner la chanson qui fait depuis si longtemps les délices du populisme américain, "tough on crime"… Ils auraient fini par mettre tout le monde d’accord.

La seule critique faite au sarkozysme, c’était que sa politique sécuritaire n’était pas assez efficace… et que d’ailleurs il réduisait les effectifs – ce qui était seulement relativement vrai si l’on tient compte du fait qu’il les avait spectaculairement augmenté auparavant.

Lors du vote de la Loppsi, il n’y a rien eu à faire pour que le PS inclue dans son recours constitutionnel la critique de l’article 113 qui porte sur la création de milices de citoyens volontaires et autres réservistes, recrutables 90 jours par an, sur une base exonérée d’impôts et de charges… Ni contre la justice en visioconférence, ni contre la surpénalisation de la vente à la sauvette… Moins d’une vingtaine d’articles – sur les 150 barbaries que compte cette loi –, ne trouvaient pas grâce aux yeux du PS. Et le Conseil constitutionnels censurera finalement 11 dispositions, dont la moins populaire de toutes, le 32terA, qui permettait aux préfets d’expulser yourtes et cabanes en 48 heures.

Delphine Batho s’est crue obligée de répondre à l’admirable rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Claude Delarue. Celui-ci expliquait pourquoi il faut vite une amnistie pour désengorger les prisons. La sous-ministre de la Justice s’est empressée de déclarer que ça serait hors de question.

Au Parlement qui sera élu demain de la contredire aussi. Une loi d’amnistie pour commencer – et large, s’il vous plait. Et, sans attendre, paix aux roms, paix aux sans-papiers. Puis, n’oubliez pas : abrogation du carnet de circulation. Pour le 4 septembre.

Merci d’avance.

Paris s’éveille

Recensements, expulsions, charters : Valls marche à pas de Guéant

15 Juin 2012, sur un blog de Médiapart

Alors que tous les dirigeants socialistes poussent des cris d’orfraie contre Nadine Morano qui déclare publiquement qu’elle partage les mêmes valeurs que les électeurs du Front National, à Grenoble, Toulouse et Lyon, Manuel Valls, lui, applique scrupuleusement la même politique que Claude Guéant à l’égard des roms.

Grenoble, mercredi 22 mai

A 6 heures du matin une centaine de policiers entoure le camp de La Tronche occupé par des roms. Les enfants sont réveillés dans leur sommeil. Ils hurlent, c’est la panique. (1)

140 personnes sont « recensées » selon les termes de la police. Une vingtaine d’Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) est délivrée à la chaîne, toutes sont rédigées sur le même modèle. Deux personnes sont conduites en rétention. Depuis l’élection de François Hollande, les expulsions se multiplient à Grenoble. « C’est le grand nettoyage de printemps avant les vacances, comme en 2010 et 2011. Rien ne change », s’indigne un militant.

Toulouse, mercredi 6 juin

Un campement de roms situé le long de la Garonne qui abritait une trentaine de personnes est démantelé. La police est arrivée avec un bulldozer et a détruit toutes les cabanes. (2) Avec les 2 évacuations opérées par la police la semaine précédente, ce sont plus de 100 personnes qui sont jetées à la rue en quelques jours. Cette fois-ci, c’est la supposée dangerosité du site qui est mise en avant. Avec une possible montée des eaux, les personnes seraient en danger. La préfecture doit estimer que pour des enfants et des nourrissons, dormir à la rue, sous la pluie, sans abri, exposés aux dangers de la rue, c’est un sort beaucoup plus enviable.

Lyon, jeudi 14 juin

Environ 50 roms se retrouvent à Perrache pour attendre le car qui les conduira à l’aéroport où ils seront rejoints par d’autres en provenance de Saint-Etienne. Un charter a été spécialement affrété pour eux par l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration), direction Bucarest. L’OFII est toujours dirigé par Arno Klarsfeld, l’ex-boyfriend de Carla Bruni Sarkozy, qui déclarait qu’on pouvait bien renvoyer les roumains chez eux, car ce n’était quand même pas Auschwitz (3).

C’est la seconde expulsion collective à Lyon qui se fait sous le couvert de l’aide au retour humanitaire depuis l’élection de François Hollande. La précédente a eu lieu le 10 mai et à l’époque, on nous avait expliqué qu’on ne pouvait pas l’attribuer au nouveau gouvernement. Pour ceux qui auraient des doutes sur la politique de messieurs Hollande et Valls à l’égard des roms, le prochain voyage tous frais payés organisé par le gouvernement socialiste au départ de Lyon et à destination de la Roumanie est prévu début juillet.

En ce moment à Lyon, d’après les associations, les descentes de police se multiplient dans les camps et les squats. Un militant témoigne : « La police enchaîne les descentes pour recenser et préparer les expulsions. La situation a été calme après les présidentielles et là, depuis 3 semaines, on dirait qu’ils préparent un remake de l’été 2010. »

En novembre 2011, le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) a pourtant qualifié les expulsions collectives de roms comme étant "discriminatoires" et "contraires à la dignité humaine" car fondées sur l’origine ethnique des personnes concernées. Il s’agit d’ « une violation aggravée des droits de l’homme" selon le Conseil de l’Europe. Même le prétexte des retours volontaires est balayé par le CEDS : « Ces retours dits volontaires ont en pratique déguisé des retours forcés sous forme d’expulsions collectives ».

Le 27 mars 2012, François Hollande, candidat à la Présidence de la République, écrivait pourtant à Romeurope : « J’ai toujours dénoncé, et je continuerais à le faire, la stigmatisation dangereuse lancée par le candidat sortant en août 2010 à l’égard des populations de Roms : expulsions brutales à répétition, stigmatisation toujours plus forte d’une population, interdiction de travailler et de se former, reconduites aux frontières sans résultat… » (4).

Même Manuel Valls, lors de sa passation de pouvoir le 17 mai avait déclaré devant Claude Guéant et les caméras : « Il n’y aura ni angélisme, ni course effrénée aux chiffres, ni stigmatisation de communautés, d’une catégorie par rapport à une autre… » (5).

Beaucoup voulaient y croire après le sarkozysme et la stigmatisation des étrangers érigée en grande cause nationale. Il paraît que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent…Une preuve de plus.

Le 12 juin, à propos de la réforme de l’espace Schengen, Daniel Cohn-Bendit a accusé Manuel Valls de s’être glissé « dans les pantoufles de Claude Guéant » (6). Valls ne se contente malheureusement pas de se glisser dans les pantoufles de Claude Guéant. Il enfile le costume tout entier et trouve que cela lui va comme un gant.

Et si jamais certains pensent encore que l’habit ne fait pas le moine, le nouveau ministre de l’intérieur met un point d’honneur à appliquer scrupuleusement la même politique raciste et xénophobe que son prédécesseur à l’égard des roms : expulsions de camps, recensements, délivrances d’obligation de quitter le territoire, reconduites à la frontière et charters…

Décidément, pour les roms, le changement, c’est vraiment pas pour maintenant.

(1) http://www.20minutes.fr/article/939823/camp-tronche-sursis

(2) http://www.franceinter.fr/depeche-demantelement-d-un-camp-de-roms-a-toulouse

(3) http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-alain/220911/la-roumanie-nest-pas-auschwitz-mais-ici-cest-deja-vichy

(4) http://www.romeurope.org/IMG/pdf/Reponse_Parti_Socialiste.pdf

(5) http://www.dailymotion.com/video/xqw3ju_passation-de-pouvoirs-entre-gueant-et-valls_news

(6) http://www.liberation.fr/politiques/2012/06/12/cohn-bendit-valls-a-enfile-les-pantoufles-de-gueant_825747

[Source : Mediapart]

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