[ [ [ Démenti, dont acte - Yannis Lehuédé

Ainsi que cela a été relevé dans une « lettre ouverte à Eric Besson » publiée sur ce site, l’immigration dite « clandestine » est en fait taxée par les consulats français qui prélèvent en liquide le prix des « passages »… Cette « lettre ouverte » signée dans un premier temps par la CSP75 aura fait l’objet d’un “démenti” que nous publions ci-dessous, ainsi qu’une analyse de la problématique soulevée au passage.

Ce 19 février, nous avons reçu dans notre boîte-aux-lettres un “démenti” de la CSP75 demandant de retirer de notre site le texte de la « lettre ouverte à Eric Besson » qui y figurait depuis quelques jours :

Démenti

Sur le site du Quotidien des sans-papiers est apparue une « Lettre ouverte de la CSP 75 à Éric Besson ». Nous démentons en être les auteurs.
Ce texte nous avait été proposé à la signature d’une manière précipitée pendant une réunion déjà en cours.

Nous rejetons la circulaire Besson sur la délation tout comme le Quotidien des sans-papiers, mais nous ne saurions la dénoncer publiquement dans les formes et avec les mots du texte publié sur son site.

Nous demandons donc au Quotidien des sans-papiers de supprimer sans tarder cette « lettre ouverte » et de la remplacer par le présent démenti.

Anzoumane Sissoko, coordinateur de la CSP 75

Paris, 18 février 2009

Nous publions tel quel ce “démenti”.

Quant à cette « Lettre ouverte à Eric Besson », elle était inspirée d’une remarque d’une occupante de la Bourse du travail qui avait provoquée une élaboration collective qu’une collaboratrice du QSP s’est chargée de mettre au propre.

Ainsi que c’est évoqué dans le communiqué ci-dessus, notre collaboratrice a effectivement soumis le texte de cette « lettre ouverte » aux délégués de la CSP 75, parmi lesquels Ansoumane Sissoko, signataire de ce communiqué. Ce n’est qu’après avoir obtenu l’approbation formelle – et enthousiaste – de tous que nous l’avons diffusé.

Nous enregistrons néanmoins le souhait exprimé ici de voir ce texte retiré. Dont acte.

Il semble bien que certains ne partagent pas l’humour de notre collaboratrice – et des sans-papiers occupants de la Bourse du travail avec qui cette “farce” très sérieuse a été conçue.

Cette lettre ouverte au ministre faisait mine de prendre au sérieux sa proposition de délation des « passeurs » contre régularisation, et dénonçait les consulats français au Mali, au Maroc, au Sénégal, en Guinée-Conakry, en Tunisie, en Algérie, en Bolivie, en Mauritanie, au Togo, au Sierra Leone, en Gambie, au Burkina Faso, au Cameroun, en Côte-d’Ivoire, au Tchad, en Chine, ou ailleurs, comme « trafiquants d’êtres humains ». Plus précisément était dénoncé le fait que « contre la délivrance de visas officiels, ceux-ci reçoivent des paiements réguliers ».

Reconnaissons ici que cette formule était inexacte : le prix des visas français infligés aux futurs sans-papiers, s’il est constant, n’est pas pour autant « régulier » aux termes du droit. Ces divers consulats organisent ainsi officieusement la perception de copieux dessous de table. Mais ils sont bien « réguliers » au sens où, dans chacun de ces pays, il existe un tarif du visa, généralement exorbitant, néanmoins variable selon les pays.

Faut-il souligner que ces variations sont manifestement déterminées par la politique migratoire du gouvernement ? Ainsi s’applique « l’immigration choisie » raciste : le dessous de table pour un visa est plus cher dans les pays d’Afrique noire, par exemple...

Bien évidemment les administrations consulaires font payer ces visas à des prix tels qu’elles savent bien que seuls des aspirants à l’immigration sont disposés à s’en acquitter – ce pourquoi ils doivent bien souvent s’endetter, exactement comme on fait pour payer un passage clandestin.

Le texte de cette « lettre ouverte » mettait également l’accent sur le fait que les bénéficiaires de cette immigration pas vraiment clandestine, d’ordinaire poursuivis au même titre que les « passeurs », ne sont pas moins intouchables, puisqu’il s’agit, comme on sait, d’importantes entreprises comme celle de « l’ami déclaré du président de la République, Monsieur Martin Bouygues, qui emploie sur ses chantiers un nombre considérable de sans-papiers, ainsi que ses confrères entrepreneurs du BTP, des sociétés de sécurité, des entreprises de restauration, des agences d’intérim, des entreprises d’aide à la personne notamment ».

Ainsi, il n’est pas exagéré de dire que “l’immigration clandestine” tant dénoncée, en fait n’existe pas. Quasiment personne ne passe la frontière clandestinement. Les sans-papiers persécutés aujourd’hui par monsieur Besson comme ils l’étaient hier par monsieur Hortefeux, sont pour l’essentiel issus de ce qu’il serait plus exact d’appeler “immigration officieuse”, et pour laquelle les consulats perçoivent de copieux dividendes.

Et il est tout aussi intéressant de relever que cette immigration officieuse est organisée pour répondre à des nécessités de l’économie française – permettant à certaines industries, comme celles du bâtiment ou du gardiennage, d’imposer des salaires d’autant plus “raisonnables” qu’ils échappent bien souvent aux charges sociales.

Il n’en reste pas moins qu’au passage ceci aura permis de mettre à jour un dossier particulièrement intéressant, celui de ce qu’il y a lieu d’appeler “l’immigration officieuse”. L’enquête est ouverte. Nous appelons d’ailleurs à témoignage tous ceux qui auront eu à payer de tels visas – afin d’éclaircir autant que faire se peut les conditions dans lesquelles ce “backchich” consulaire est perçu.

Rappelons au passage qu’aux termes de la loi Hortefeux de l’an dernier, la République exige des aspirants à l’immigration en France qu’ils s’imprègnent de ses “valeurs” – et qu’ils y adhèrent inconditionnellement. C’est dans ce contexte que l’administration ne se prive pas de faire étalage des plus sombres méthodes. Avant même que le candidat à l’immigration n’ait entrepris sa démarche, on lui impose la loi de la corruption, comme première “valeur” de la République...

À noter qu’il ne s’agit d’ailleurs pas ici de “corruption” au sens classique. Il ne fait aucun doute que cette taxe à l’immigration, si elle est fixée par pays de façon homogène, n’est pas le résultat d’initiative individuelles des fonctionnaires, ainsi que l’on comprend d’ordinaire le mécanisme de la corruption. Si ces tarifs imposés sont perçus en liquide, et ce de façon totalement illégale, ils n’en sont pas moins proposés par l’administration consulaire dans son fonctionnement ordinaire et “régulier”, ainsi que cela ressort des témoignages de ceux qui ont eu à en passer par là.

La “valeur” que la République suggère par cette surtaxation sauvage des visas, ce n’est pas tant la corruption comprise comme un système anarchique. Non : ce qui est mis à nu dans cette affaire, c’est un État qui se fiche du droit. Les aspirants à l’immigration sont ainsi prévenus de ce qu’en France, au-dessus de l’état de Droit, il y a le droit de l’État. Le droit d’abuser, absolu et sans limite.

QSP

Dans la même rubrique
Archives